Carnet d’adresses en page 147.

Difficile d’imaginer que l’histoire de Ralph Lauren ne soit pas un jour adaptée au cinéma. Le scénario qui construit le mythe de ce magnat de la mode est, en effet, presque parfait. Le début du film se situe quelque part à New York, dans les années 1940, au c£ur d’un quartier misérable du Bronx. Travelling sur les fumées qui sortent des bouches d’égouts. Ralph Lauren, de son vrai nom Ralph Lipschitz, grandit dans une famille juive d’origine russe, sans le moindre petit dollar en poche. Les temps sont durs, l’avenir morose. Futé et téméraire, le petit Ralph est bien décidé à conquérir le monde ou, du moins, à gravir un à un les barreaux de l’échelle sociale. Gros plan sur son regard limpide, délibérément tourné vers des jours meilleurs. Engagé comme vendeur dans un magasin de vêtements, le jeune homme dessine, à ses moments perdus, une collection de cravates. Larges, colorées et à contre-courant des tendances du moment, ses créations séduisent les acheteurs du célèbre magasin new-yorkais Brummel. Plan large sur les passants qui s’extasient devant les premières cravates signées Ralph Lauren. La carrière du futur homme d’affaires est lancée. Nous sommes à la fin des années 1960 et le créateur de mode imagine alors sa première ligne complète de vêtements pour hommes. Le style se veut américano-britannique et surtout romantique. Zoom très lent sur un plateau de cinéma pour découvrir un film dans le film : en 1975, Ralph Lauren est prié de concevoir les costumes de  » Gatsby le Magnifique « , avec Robert Redford et Mia Farrow. Son nom est de plus en plus cité, sa marque de plus en plus adulée. Accélération du processus narratif dans les années 1980 pour accentuer le développement de l’empire et la diversification des produits placés sous l’emblème du célèbre joueur de polo. Lunettes, chaussures, sacs, parfums, bijoux, vaisselle, linge de maison, mobilier… La gamme s’élargit et le nombre de boutiques augmente rapidement. Montage nerveux pour découvrir Ralph Lauren à l’aube du xxie siècle, avec femme et enfants, entre son appartement de Manhattan, son ranch du Colorado et sa jolie propriété en Jamaïque. Le tout doit évidemment être rythmé avec des plans aériens pris dans son jet personnel. Pour l’instant, le film s’arrête là. Mais l’histoire de cet homme de 63 ans est loin d’être finie. A ce stade du scénario glorifiant le rêve américain, Ralph Lauren dispose d’une fortune personnelle évaluée à un milliard d’euros. Mieux, il règne sur un empire dont le chiffre d’affaires atteint 2,3 milliards d’euros rien qu’aux Etats-Unis. Et ce n’est pas tout. Prochaine cible : le continent européen où la marque est encore, selon ses dires, trop peu présente. Moment choisi pour l’interview. Ralph Lauren, clap première !

Weekend Le Vif/L’Express : Après 35 années passées dans le monde de la mode, quelle est votre plus grande fierté ?

Ralph Lauren : Je suis très fier de ma famille, de ma femme Ricky et de nos enfants Andrew, David et Dylan. Je suis également fier des gens talentueux qui travaillent avec moi. C’est leur passion et leur créativité qui m’aident à concrétiser mes idées.

Considérez-vous aujourd’hui Ralph Lauren comme une marque mythique ?

Je suis très flatté quand j’entends ce genre d’allusion, mais il est dans ma nature de regarder constamment vers le futur. Je préfère toujours me concentrer sur le prochain challenge.

Pourriez-vous définir, en trois mots seulement, le secret de votre réussite ?

Le leadership, la passion et une certaine vision.

Certains vous décrivent volontiers comme un  » working class hero « , autrement dit un héros de la classe ouvrière. Qu’en pensez-vous ? Seriez-vous l’exemple parfait du rêve américain ?

Je sais à quel point j’ai de la chance d’être là où je suis. J’ai commencé mon business il y a trente-cinq ans avec une cravate et avec la conviction que j’avais quelque chose à dire. Le fait que j’ai pu réussir en faisant ce que j’aime est très gratifiant.

Quelles valeurs américaines incarnez-vous au juste ?

Je pense que, pour certaines personnes, j’incarne le  » self-made man  » dans le sens où j’ai créé moi-même mon propre succès. Les Américains sont ambitieux par nature et la faculté de pouvoir réaliser ses rêves est, en définitive, une sensibilité très américaine.

Vous avez décidé d’être plus actif sur le marché européen. Certains n’hésitent pas à parler, à ce sujet, de  » ralph laurenisation  » de l’Europe…

Nous pensons que l’Europe peut représenter, pour nous, un potentiel d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires dans les prochaines années. Il y a là une réelle opportunité de croissance pour nous. J’ai d’ailleurs le projet d’ouvrir de nouvelles boutiques en Europe et de développer la notoriété de la marque.

Vous êtes donc confiant quant à un éventuel succès en Europe…

Je suis très excité par rapport au potentiel que représente le marché européen. A Milan, les réactions aux défilés de mode de notre ligne  » Purple Label  » ont été formidables. D’ailleurs, le fait de présenter cette collection dans la capitale mondiale de la mode masculine est  » frissonnant « . D’un point de vue commercial, il y a beaucoup d’enthousiasme envers Ralph Lauren. La nouvelle boutique que nous avons ouverte à Londres et le magasin  » Double RL  » que nous avons récemment inauguré à Paris ont été très bien accueillis. Nos consommateurs européens ont des goûts très raffinés. Ils apprécient la qualité et le luxe et ils aiment ce que nous leur proposons.

Ne craignez-vous pas les éventuelles conséquences que peut avoir la politique étrangère de George Bush sur vos propres affaires ? Les Européens pourraient en effet boycotter certains produits américains…

Quelles sont vos sources d’inspiration créative ?

Je puise constamment mon inspiration dans les voyages, le cinéma et la photographie. Cependant, je pense que ce sont les films qui ont eu le plus grand impact sur la manière dont je vois les choses. Quand j’étais jeune, les films m’ont donné cet accès au monde qui était plus large que ma propre vie. Lorsque je voyais un film sur le base-ball, j’étais Mickey Mantle. Lorsque c’était un western, je devenais John Wayne.

Je suis la même personne qu’au début de l’aventure Ralph Lauren, mais mon rôle s’est toutefois diversifié avec le temps. La société a tellement grandi qu’il y a désormais de nombreux aspects à gérer auxquels on ne pensait pas au début. Chaque jour a été et sera donc différent.

Mais ne pourrait-on pas dire, en définitive, que vous avez réussi à vendre davantage un style de vie que des vêtements ?

Dans mon esprit, les collections font toujours partie d’un plus grand tableau et je dessine d’ailleurs mes vêtements dans une approche  » lifestyle « . Je n’ai jamais voulu m’inscrire dans les tendances. Je suis davantage intéressé par l’homme ou la femme qui porte les vêtements. En fait, je n’ai jamais séparé les vêtements de la vraie vie.

Selon vous, quelle doit être la véritable mission de la mode ?

Dès le début, j’ai dessiné des choses que je voulais personnellement avoir : des vêtements que ma famille pouvait porter ou des objets qui pouvaient garnir notre maison. Que ce soit une veste, une robe ou un superbe fauteuil en cuir, cela doit faire partie d’un style de vie et devenir, au fil du temps, de plus en plus personnel. Je dis toujours :  » Si ce que je crée aujourd’hui a encore meilleure allure l’année suivante, alors j’ai réussi !  »

La créatrice de mode belge Veronique Branquinho a dit un jour :  » La mode n’est pas de l’art. Elle n’est pas faite pour les musées.  » Quelle est votre opinion ?

Je suis d’accord avec elle dans le sens où la mode doit être portable. Ce n’est pas suffisant de créer quelque chose de beau. Il faut aussi que cela soit confortable. Je suis très relié avec tout ce que je crée. Je suis toujours en train de réfléchir :  » De quoi ai-je vraiment besoin ? Qu’est-ce que je veux porter ? Qu’est-ce qui pourrait être superbe sur ma fille Dylan ou sur ma femme Ricky ? »

Pensez-vous que les créateurs peuvent encore, aujourd’hui, révolutionner la mode ?

Les consommateurs n’attendent pas que les créateurs de mode révolutionnent quoi que ce soit. Ils recherchent un point de vue, une sensibilité créative qui colle avec leur style de vie. Mes consommateurs sont suffisamment confiants pour exprimer leur propre style. Ils veulent poser un acte d’élégance et non pas acheter quelque chose qui aura l’air démodé après une saison.

Pour Vivienne Westwood,  » l’élégance doit être théâtrale « . Quelle est votre propre définition de l’élégance ?

L’élégance est une expression de confiance. C’est une attitude. C’est le fait de se sentir bien dans sa peau. Ma femme Ricky est une femme très élégante. Elle est intelligente, superbe et elle a une incroyable confiance en elle. Elle sait vraiment comment porter un vêtement, mais lorsqu’elle entre dans une pièce, c’est sa personnalité qui brille.

Au fait, comment définiriez-vous le style Ralph Lauren pour les collections du printemps-été 2003 ?

C’est une espèce de chic inattendu qui casse les règles. La collection dégage un sentiment romantique, féminin, mais avec des bords légèrement effilochés. Il y a un aspect vintage, mais l’attitude est complètement moderne.

Avez-vous déjà songé à passer la main ? Si oui, votre fils David pourrait-il diriger l’empire Ralph Lauren ?

J’aime ce que je fais. Je trouve cela vivifiant. Le fait de devoir créer quelque chose de nouveau à chaque saison me régénère. Je suis complètement concentré et pris par mon travail. Et puis, je m’amuse. Alors…

Propos recueillis par

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