Perdu au large du Sénégal, cet archipel montagneux, ancienne colonie portugaise, entraîne le voyageur à la rencontre d’un peuple accueillant et musicien.

Eblouis par le fascinant panorama qu’ils découvrent de la crête séparant l’ancien cratère de la Caldeira de Cova et la vallée de Paul, les marcheurs descendent lentement le sentier empierré. Accroché au flanc de la montagne, cet ancien chemin muletier, aménagé pour l’acheminement des denrées, serpente au-dessus du vide. De nos jours, il est surtout fréquenté par les randonneurs venus d’Europe découvrir l’île de Santo Antao, l’une des plus remarquables des dix îles du Cap-Vert, et certainement celle dont les paysages sont les plus variés. Au cours de la descente, les voyageurs prennent le temps d’observer les mouvements des nuages, qui embrument par moments les sommets environnants, alors qu’à cet endroit l’altitude ne dépasse pas 1 000 mètres. En contrebas, dans la vallée, le village de Passagem et quelques maisons isolées sont égarés au milieu de la végétation, ici exceptionnellement verdoyante.

La vallée de Paul est en effet bénie des dieux, puisqu’elle bénéficie de sources en nombre suffisant pour permettre une activité agricole intense, impensable ailleurs dans l’archipel. Cannes à sucre, papayers, bananiers, plants de haricots, de patates douces et de tomates poussent à profusion. L’eau s’écoule dans de petites rigoles aménagées le long des cultures en terrasses. Le contraste est grand avec les autres îles cap-verdiennes, et même avec les autres vallées de Santo Antao. Là, l’aridité l’emporte : sur fond de volcans, des paysages désertiques, où se mêlent zones terreuses et magmas de concrétions ocre, marron ou noires, offrent des panoramas impressionnants et inquiétants, fascinants pour des touristes en quête de dépaysement et de sensations, mais souvent inhospitaliers pour une population qui trouve difficilement de quoi subsister. Ce n’est pas un hasard si deux tiers des Cap-Verdiens vivent à l’étranger, surtout en Europe et en Amérique du Nord.

Avec la pêche, principale ressource de l’archipel, l’agriculture fournit une bonne part des maigres revenus de Santo Antao. La canne permet la fabrication d’un excellent alcool, le  » grogue « , distillé à environ 40 degrés. Il n’est pas rare de rencontrer le long des sentiers quelques hommes, installés en bordure de champ, presque toujours vêtus de maillots de grandes équipes de football mondial, comme la plupart des jeunes Cap-Verdiens. Ils s’affairent autour d’un  » trapiche « , presse rudimentaire tirée par des mules ou des boeufs et servant à la fabrication du jus de canne, la  » calda « . Le  » grogue « , que l’on vous fait déguster sur place, encore tiède, se révèle excellent!

Après quelques pauses dégustation, le groupe de randonneurs, requinqué, reprend cahin-caha sa marche et atteint Passagem, où la vie s’écoule paisiblement, à l’instar de toutes les localités de l’archipel. Ici, point d’activité trépidante. Le climat est de ceux qui favorisent la lenteur et la nonchalance : situées entre le tropique du Cancer et l’Equateur, à 500 kilomètres au large de la côte sénégalaise, les îles du Cap-Vert subissent un chaud soleil toute l’année, parfois embrumé. La pluie? Cela fait bien longtemps, dans ces îles, qu’on n’en a pas senti les gouttes rafraîchissantes…

Les liaisons entre les îles peuvent s’effectuer soit par avion (toutes sont dotées d’un aérodrome capable d’accueillir de petits coucous; seul l’aéroport de Sal permet l’atterrissage des vols internationaux), soit par la mer. De Porto Novo, port de Santo Antao, on peut rallier matin et soir, en une heure de traversée, Mindelo, capitale de l’île de Sao Vincente, à bord du Mar Azul, un navire chargé d’hommes, d’animaux et de marchandises. Capitale culturelle de l’archipel, Mindelo est avant tout le fief de Cesaria Evora, la star de la  » morna « , et le repaire de nombreux musiciens. Quelques peintres exposent leurs toiles dans l’unique centre culturel du pays, installé dans une ancienne halle réaménagée sur le front de mer, près du port. A proximité, tournée vers le large, se dresse une pâle imitation de la tour de Belém, l’un des symboles de Lisbonne, qui rappelle, avec sa voisine la statue du navigateur portugais Diego Afonso, que les îles du Cap-Vert (Cabo Verde) ont été découvertes et colonisées par le Portugal à partir du XVe siècle.

Complètement désert, l’archipel revêtit très vite une importance stratégique en servant de point d’escale aux navires qui se rendaient au Brésil et, plus tard, à ceux qui pratiquaient le commerce triangulaire entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe. Ils laissèrent sur place des esclaves, dont les descendants peuplent aujourd’hui le pays. Comme les autres colonies alors encore sour tutelle portugaise, les îles du Cap-Vert arrachèrent leur indépendance en 1975. Pendant longtemps, le pays fut administré par un régime prosoviétique, mais le multipartisme et une véritable démocratie sont instaurés depuis 1991. De sa longue période coloniale, l’archipel ne peut guère se targuer d’avoir hérité de remarquabes vestiges architecturaux. Les églises sont peu élaborées et le colonisateur a fait l’économie des édifices prestigieux tels que résidences et palais, ou encore fortifications impressionnantes, sans doute réservés à son fleuron brésilien. Néanmoins, selon un très classique plan quadrillé, les rues de Mindelo, bordées de façades aux couleurs pastel ornées parfois d’élégants balcons de fer forgé, dégagent un charme certain.

A une quarantaine de minutes de vol vers l’est, l’île de Sal, aride, ne déploie pas les mêmes atouts. Elle possède en revanche la plus belle plage, qui s’étend à l’extrême sud de l’île, à Santa Maria. Mouillée par une eau turquoise et balayée par un vent régulier, cette langue de sable immaculé est le paradis des fondus de funboard et, depuis peu, de flysurf, sport qui permet d’évoluer sur les vagues tout en étant tiré par une aile animée par le vent. C’est aussi une base de départ pour les plongeurs qui vont visiter les épaves ou les récifs nombreux dans les fonds marins, très poissonneux par ici. Et c’est bien sûr, tout simplement, un bel endroit doté de suffisamment d’hôtels pour se reposer en toute quiétude. Seules curiosités de l’île : les rochers déchiquetés de Buracona, au nord-ouest, qui forment une petite piscine naturelle, sur laquelle se brisent les flots impétueux; et, au nord-est, la saline de Pedra do Lume, un étonnant marais salant aménagé au centre d’un ancien cratère, que l’on découvre après avoir traversé un tunnel sous la montagne. Ce site extraordinaire pourrait servir de décor à plus d’un film d’aventures! A proximité, la plage, moins belle que celle de Santa Maria, est très fréquentée, notamment le dimanche, par les Cap-Verdiens : on vient en famille pique-niquer au son des guitares, sauter dans les rouleaux et, surtout, profiter du temps qui passe. Tout l’esprit du Cap-Vert se trouve ici résumé.

Pierre-Yves Mercier

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