De la fourrure, des couleurs acidulées, des animaux… Les préférences en décoration pour l’année 2006, entre baroque revisité et modernité, luxe et bas de gamme, sur-mesure et prêt-à-jeter, signent le triomphe des extrêmes. Etat des lieux. Pile dans la tendance ou dépassé ? Ce qu’il faut savoir.

Simon a passé son week-end à trier et jeter des objets ébréchés ou des meubles inutiles. Cet acheteur compulsif a décidé d’aller enfin à l’essentiel. Le superflu, trop peu pour lui. Sa maison doit lui ressembler et le réconforter quand tout se disloque autour de lui. Finis les bibelots qui s’entassent et les fauteuils affaissés, il veut du pérenne et des valeurs sûres. Simon n’est pas une exception. En ce début de xxIe siècle, les Occidentaux ont besoin de repères. D’ailleurs, beaucoup sont prêts à s’endetter pour s’offrir le canapé de leurs rêves. Le moyen de gamme un peu bâtard est en effet en train de péricliter. Les premiers prix attirent car ils permettent de changer de décor sans culpabiliser. Le luxe, lui, représente un investissement affectif et patrimonial qui rassure en ces temps troublés.

Dans ce contexte, la création du label Haute Facture ne tient pas du hasard. Cette dénomination regroupe dix éditeurs de mobiliers et artisans français, reconnus pour la très grande qualité de leurs réalisations, qui associent savoir-faire traditionnel, innovation et création contemporaine. Résultat, la lampe  » Thèbes « , en marqueterie de paille de l’architecte d’intérieur Nicolas Aubagnac côtoie le vase  » Coquille « , à l’intérieur en or 24 carats de Sylvie Coquet ou la chaise  » Very Nice « , signée François Azambourg pour Domeau et Pérès. Au-delà de cette initiative, la pièce unique ou les éditions limitées se généralisent. Bruno de Caumont conçoit une collection réalisée à la main de fauteuils, canapés et tables basses d’exception, diffusés à cinquante exemplaires. Entre ébénisterie et sculpture, Ernst Gamperl fait sensation, avec ses coupes et ses bols en bois, aussi beaux qu’une £uvre d’art. Et pour cause.  » Derrière l’objet, on a besoin de sentir l’humanité de celui qui l’a créé « , dit Vincent Grégoire, chasseur de tendances au bureau de style Nelly Rodi. D’ailleurs, la frontière s’estompe entre l’art, l’artisanat et le design, dont la valeur marchande s’accroît. La preuve : les lampes d’Ingo Maurer peuvent atteindre 40 000 euros aux enchères.

Plumes et poils

Au-delà de la fièvre spéculative, le besoin de réassurance s’affirme. « Le design a une dimension politique. Il reflète une humeur de la société. Il est évident que les gens développent une vision frileuse du monde. Lorsque l’avenir fait peur, on se réfugie dans ce que l’on connaît. Le mouvement de balancier entraîne vers les fondamentaux « , analyse le designer Guillaume Bardet. Ainsi, la nouvelle esthétique revisite le passé. Des époques longtemps ringardisées sont réhabilitées. Le designer néerlandais Marcel Wanders baptise « New Antics  » sa collection de meubles pour Cappellini. Les lustres de Régis Mathieu jouent la carte du baroque revisité, la lanterne en bronze argenté et cristal de roche, réalisée pour l’hôtel de ville de Nancy, place Stanislas, en atteste. Oscar Larrat, lui, modernise le style Napoléon avec du noir, du strass et des feuilles d’or. Le couturier Christian Lacroix évoque une « sorte de classicisme décalé. Un conservatisme au énième degré avec une dose de kitsch, de libertaire ou de banal « . Côté style, cette tendance s’illustre par un retour des colonnes, des frontons ou des frises gréco-romaines. Côté thèmes, nos amies les bêtes se déclinent sous toutes les formes. Les porcelaines de Nymphenburg se transforment en hippopotames quand Marie Christophe sculpte des chiens. L’objet doit être familier, la maison douce et chaleureuse.

Du coup, sur les housses de coussins, autour des luminaires, voire même sur des chaises, les plumes comme les fourrures se déploient sous toutes les coutures. Douces, confortables, moelleuses, elles apaisent les urbains stressés et les ruraux angoissés. Matejewski a séduit la presse et le grand public avec ses abat-jour recouverts de plumes naturelles de coqs, d’oies ou de dindes. Maison de Vacances ose les bouillottes en fourrure. Chez Home Autour du Monde comme chez Domeau et Pérès en version chic et chère, le traditionnel fauteuil club est habillé… de peau de vache. On veut se rassurer, pas question de céder à la morosité ambiante. On met de la gaieté chez soi. Les ventes de papiers peints explosent. Habitat a même demandé à plusieurs designers de créer chacun un motif pour sa dernière collection. En version unie, les couleurs chaudes comme le prune, l’orange ou le bleu pétrole s’imposent. Et finis les mélanges, l’heure est au parti pris radical, à une vision plus monomaniaque de la décoration d’intérieur. Les créateurs jouent, quant à eux, sur les contrastes : le grand et le petit, le sacré et le profane, le rustique chic. A l’instar de Paola Navone qui réinterprète la main de Fatma et en fait un plateau pour Gervasoni, les invocations religieuses se multiplient.

S’affirmer avant tout

Mais surtout, l’heure de l’émotionnel a sonné. Face à la concurrence, il faut se démarquer. Un dialogue doit dorénavant s’instaurer avec l’objet. A l’instar des Brésiliens et des Africains passés maîtres dans l’art de détourner des matériaux pauvres ou industriels, Ikea a lancé la sixième édition de sa collection PS en octobre dernier. Fauteuil en fibre de banane, tabouret en fil de laine ou encore boîtes en papier journal, tous ces meubles et accessoires sont écologiques. Car une chose est certaine, « le produit banal, inutile, sans valeur ajoutée, est mort « , résume François Lemarchand, P. D.G. de Nature et Découvertes. Il doit sortir du lot pour se démarquer et réussir à nous toucher.

Maya Lebas

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