Avec  » East X West « , Daniël Ost démontre, une fois encore, toute sa maestria. Ce bel ouvrage, superbement illustré, témoigne aussi de la passion inextinguible du célèbre artiste floral belge pour l’art de vivre de l’Extrême-Orient et du Japon en particulier.

Carnet d’adresses en page 99.

« Si le Japon ne s’était pas ouvert au monde avec la période Meji, Van Gogh, Monet, Manet auraient peint autrement. Sans japonisme, il n’y aurait pas eu l’Art nouveau. A ses débuts, Vincent Van Gogh a littéralement copié deux £uvres de Hiroshige, comme s’il avait besoin de cet exercice pour ensuite trouver sa propre voie. Mon mentor s’appelle Noboru Kurisaki, il est un maître d’art floral réputé au pays du Soleil-Levant. La pyramide de baies rouges qui se trouve photographiée en ouverture de mon livre est une des £uvres que je lui dédie aujourd’hui.  » Daniël Ost se passionne depuis longtemps pour le Japon et l’Extrême-Orient. Et l’art de vivre oriental s’épanouit dans un raffinement extrême au c£ur de  » East X West « , ce bel ouvrage superbement illustré que le célèbre artiste floral belge publie en cette fin d’année 2005 à l’occasion de ses 50 ans.

A la manière des grands voyageurs d’autrefois, Daniël Ost puise dans les cultures orientales des  » points de repère « , qu’il intègre ensuite dans ses créations. Il découvre le Japon en 1983. Alors jeune fleuriste à Saint-Nicolas, il vient de décrocher la deuxième place à la coupe d’Europe d’art floral. Une entreprise locale fabriquant des ballons de baudruche prépare un voyage d’affaires au Japon, de Tokyo à Osaka, et ses dirigeants ont la brillante idée de l’associer à l’aventure : ils lui proposent de réaliser des décorations florales associant leurs petits joujoux.

 » Pendant un de mes premiers moments libres, je suis allé à la librairie Maruzen de Tokyo. Avec le seul mot Ikebana comme sésame, je me suis fait conduire au rayon des livres de fleurs. C’est là que j’ai découvert un ouvrage de Noboru Kurisaki. Les images étaient magnifiques. J’apprendrai plus tard que l’auteur était entouré des meilleurs photographes et comment ceux-ci magnifiaient ses compositions.  » A la fin du séjour, les commanditaires de Daniël Ost, ravis de la collaboration, pour le remercier, lui demandent ce qui pourrait lui faire plaisir, avant de rentrer en Belgique.  » Voir le magasin de l’auteur de ce livre que j’ai acheté « , répond le jeune homme sans hésiter. Un de ses hôtes japonais, visiblement au fait du sujet, ne peut réprimer un sourire. Car Noboru Kurisaki n’a pas de boutique : il est le propriétaire d’un club très sélect à Roppongi, rendez-vous des artistes et de la jet-set homosexuelle de Tokyo.

Daniël Ost se souvient parfaitement de sa première visite à ce personnage… aussi grand maître de l’Ikebana.  » C’était incroyable. Il y avait là, sur 50 m2, plus de fleurs que je n’en avais jamais eu dans ma boutique. Et puis, il y avait cette collection de vases Art nouveau qui représenterait aujourd’hui des millions d’euros… Nous avons conversé par l’entremise d’un interprète. J’ai ensuite proposé à mes deux accompagnateurs de leur offrir un verre. Nous avons pris chacun une bière et j’ai payé 450 euros, voici plus de vingt ans ! En partant, Noboru Kurisaki m’a offert deux autres de ses livres.  »

Depuis ce jour, les deux hommes ont construit une amitié faite de respect mutuel.  » Noburu Kurisake m’a dit un jour qu’une seule fleur peut exprimer plus de choses que dix mille. Il m’a littéralement appris à travailler avec l’âme des fleurs. J’ai souvent terminé les nuits à discuter avec lui de mon travail, de son travail. Un jour, alors que la salle du club était bondée, il a retiré toutes les fleurs de leurs vases et a entrepris de me faire une démonstration magistrale. Il a souvent volé à mon secours, lorsque j’avais besoin de vases pour une démonstration ou une exposition. Un simple coup de téléphone et il envoyait un taxi avec un Daum ou un Gallé signés !  »

Avec plus de septante voyages au Japon (sans compter ceux effectués dans les pays limitrophes), Daniël Ost a fait bien d’autres rencontres.  » Chaque personne, chaque souvenir évoque un lieu, une saison, une atmosphère, une fleur.  » Il en est ainsi de cette orchidée sublime qui émerge, image de la vie, d’une petite  » montagne  » de binchotan, du bois de bambou carbonisé à haute température.  » J’avais déjà réalisé pareille composition à l’occasion d’une exposition de printemps à Kyoto. L’£uvre est si forte qu’elle a fait l’objet d’une carte postale éditée au Japon, au profit de l’Unicef. Un ou deux ans plus tard, pour les besoins d’une démonstration, je me suis présenté chez un des grands spécialistes japonais en orchidées. Une de ses fleurs revenait d’un concours où elle avait gagné le premier prix, ce qui est un grand honneur mais confère aussi une immense valeur commerciale à la plante primée. L’horticulteur, ayant pris connaissance de la parution de mon troisième livre, a voulu me l’offrir et l’a tout simplement coupée ! Lorsqu’on vous fait un tel cadeau, il faut accomplir ce à quoi il est destiné. Je me suis donc procuré du charbon de bois de bambou et, dans ma chambre d’hôtel, nous avons recréé l’£uvre, de manière plus impressionnante encore que son modèle.  »

Avec plus de 150 créations,  » East X West  » illustre ainsi le croisement des cultures de l’Extrême-Orient avec la créativité de Daniël Ost. On est pourtant loin de l’assimilation.  » Ce que les Japonais apprécient, c’est ma liberté de formes. L’ikebana, lui, est fait de codifications. S’il faut placer une fleur à douze degrés par rapport à un axe, ce ne sera pas treize. C’est évident que, ici et là, on peut retrouver des traces, des indices de l’art floral japonais. Mes inspirations sont autres. Leur art graphique, par exemple, m’interpelle, parce qu’il se base sur des matériaux botaniques épurés. Une des compositions reprises dans « East X West », avec des jonquilles, interprète avec brio le couvercle d’une boîte en laque. Toute la difficulté fut de la reconstituer avec des vraies fleurs et les éléments à ma disposition. C’est sur ce plan que je puis revendiquer une maîtrise, celle de la connaissance du végétal et des techniques qui permettent de le conserver le temps que doit durer l’£uvre, celui d’une exposition ou d’une photographie. La pyramide de baies rouges de Noboru Kurisaki était beaucoup plus petite que la mienne, moins régulière. Mais la photo était magnifique. En la réalisant à ma manière, c’était comme si je lui disais : « Maître, vous m’avez montré le chemin. Voilà ce que j’en ai fait. »  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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