La majesté silencieuse des ruines de Persépolis, des effluves de roses à Chiraz, un parfum de mystère à Yazd, le raffinement or et turquoise d’Ispahan… Les splendeurs de l’Empire perse se dévoilent… Magnifique.

Ciel limpide, air immobile. Rien ne trouble le silence du désert. Minéral, mirifique, il s’étend à l’infini. Loin, beaucoup plus loin, deux rangées rectilignes d’arbres gigantesques déchirent, enfin, l’horizon. Deux mille cinq cents platanes mènent tout droit vers les ruines de Persépolis. Mohammed Reza Pahlavi les a fait planter pour célébrer les fastes du 2 500e anniversaire de la fondation de l’Empire perse. Là, le dernier chah d’Iran vécut son dernier triomphe sous les regards éblouis du monde entier. Persépolis ! Darius Ier en a fait la capitale légendaire de son empire qui s’étendait de l’Indus à la Méditerranée. Dès 515 avant notre ère, jaillit, dans un océan de verdure, créé en plein désert, une cité impériale splendide faite de somptueux palais, d’oeuvres d’art spectaculaires, de tombeaux grandioses. Et partout, des bas-reliefs d’un raffinement exquis. Finement sculptés, militaires, paysans, chameliers, tous les sujets de Darius Ier (représentant 24 peuples) défilent, successivement, pour déposer leurs présents aux pieds du Roi des rois. Deux siècles plus tard, en 330 avant notre ère, le nouveau Roi des rois s’appelle Alexandre. Il a déjà vaincu la vieille Egypte et a conquis Babylone, la millénaire. Sa soif de puissance ne connaît aucune limite. Le nouveau maître du monde ordonne donc la destruction de Persépolis. La fabuleuse cité s’embrase et dans le fracas des murs et des colonnes qui s’écroulent, tout un empire agonise quand un autre naît. Ainsi va le monde. C’en est fini de l’empire achéménide, premier empire perse. Mais si les ravages provoqués par la mégalomanie et la folie des hommes n’ont laissé que des ruines, ils n’ont pu effacer la grandeur de Persépolis, toujours très impressionnante. Il faut la découvrir à la fine pointe de l’aube, quand les premiers rayons esquissent les contours des montagnes lointaines. Dans le silence du jour naissant, Persépolis semble s’animer et revivre. Cette illusion est également présente dans le site tout proche de Naqsh-E Rostam, où les tombeaux creusés au sommet d’une falaise seraient ceux de Darius Ier et de ses successeurs. Un instant magique, hors du temps.

Routes du désert

Après Persépolis, c’est de nouveau le désert, colossal, infini, qui a inspiré à Nicolas Bouvier, célèbre écrivain – photographe suisse, cette belle phrase :  » Dans un paysage de cette taille, même un cavalier lancé à fond de train aurait l’air d’un fainéant  » (*). Dans cette étendue immense et silencieuse, hostile, en apparence, à toute vie, des milliers de nomades vivent paisiblement avec leurs troupeaux. Les Bakhtyâri (Soraya, la deuxième femme du dernier chah, était la fille d’un chef de tribu Bakhtyâri et d’une Allemande), les Qashqâi, les Mamasani et les Komâchi privilégient la discrétion, car personne ne connaît leur nombre, même approximatif. Une petite tribu bivouaque au bord de la route. Sourires, grands gestes amicaux. Il est difficile de refuser l’hospitalité des Iraniens, omniprésente. A l’ombre d’une tente apparaissent immédiatement théières, narguilés, pâtisseries. On bavarde. L’air est doux, les bêtes font la sieste, le temps s’est arrêté. La vie peut être si simple. On comprend vite que, malgré les incitations régulières à la sédentarisation, les nomades n’ont aucune envie de quitter ce royaume de paix et de liberté, si éloigné des bruits et de la fureur du monde.

La route vers l’est, vers l’étonnante citadelle de Bam, est longue. Enfin, sa formidable silhouette crénelée se découpe dans le ciel, tel un mirage sorti de l’imagination des voyageurs. Forteresse d’argile et de briques séchées au soleil, elle est entourée par 1 800 mètres de remparts, hauts de huit mètres et flanqués de 36 tours en demi-ronde. Une sorte de mystérieuse Afrique, avec la dimension supplémentaire apportée par deux mille ans d’histoire écrite. Bâtie sur l’ancienne route sud de la soie, cette extraordinaire cité-fantôme comptait, à l’époque de la dynastie des Safavides (XVe-XVIIIe siècles), plus de 10 000 âmes, réparties dans 400 habitations. Mohammad Ali Dastras, un guide émérite,  » marié avec la citadelle « , nous expliquera que juifs, chrétiens, musulmans et zoroastriens vivaient ici dans le plus grand respect de la tolérance et des libertés. Réputée imprenable, la ville aurait été abandonnée en 1722, suite à une invasion afghane et ne cessera plus de décliner. Depuis 1970, l’Etat iranien poursuit une vaste opération de restauration. Aujourd’hui, cette  » émeraude du désert  » est devenue l’une des principales destinations touristiques. Ce long crochet vers l’est mérite vraiment le détour.

Chiraz est une ville très douce qui aime cultiver l’art de vivre. C’est la ville des deux plus grands poètes persans : Saadi, au XIIIe siècle, et Hâfez, au XIVe siècle. Jadis, ce fut la ville du vin. Elle reste la ville de l’amour, des rossignols, des roses et des jardins. Les jardins d’Erâm, d’Affifabad ou de Delgosha offrent des instants de pure félicité. Ils ne prétendent ni à l’abondance ni à la luxuriance, oppressantes, tous comptes faits, mais offrent des oasis d’ombre, de quiétude et de paix. La lumière se reflète au coeur des bassins, les rayons de soleil caressent les cyprès séculaires, se glissent entre les massifs de roses. Un parfum de séduction et une impression d’éternité flottent dans l’air.

Ville des Mille et Une Nuits

Surgie de nulle part, en plein milieu d’un océan de sable, la ville de Yazd est l’une des plus anciennes du monde. Entièrement construite en pisé (terre et paille), elle est admirable par sa cohérence, par son apparence ocre et monochrome et par son architecture cubique et intemporelle. Yazd, c’est également le fief des zoroastriens, adeptes de la pensée du prophète Zoroastre. Après la conquête arabe, au VIIe siècle, la majorité de la population se convertit à l’islam, mais de nombreux fidèles poursuivirent la pratique de leur culte à l’ombre. Ils sont aujourd’hui environ 30 000 en Iran, dont 10 000 à Yazd. Dans ce pays immense, fort de quelque 73 millions d’habitants, musulmans chiites à 95 %, la paisible communauté zoroastrienne continue à vénérer discrètement Ahura Mazda, son Dieu unique.

Voici, enfin, Ispahan, l’Esfahân des Safavides. Face à ces merveilles, on comprend le fameux adage du XVIe siècle : « Esfahân nesf-e jahân  » ( » Esfahân est la moitié du monde « ) ! Abbas Ier, cinquième chah de la dynastie des Safavides est le bâtisseur de cette cité des Mille et Une Nuits, tout or, bleu et turquoise, somptueuse et magique. Il fit d’Ispahan sa capitale en 1598 et la rebâtit autour d’une place royale gigantesque (destinée aux festivités, aux tournois de polo et… aux exécutions capitales), bordée de mosquées, de palais et de longs murs à double arcade. La ville, c’est surtout un plan rigoureux, des lignes, des masses et de formidables perspectives. Bref, de l’allure, de l’envergure, de la véritable grandeur. Soigneusement rénovée, pomponnée et pimpante, Ispahan, est redevenue la plus belle ville d’Iran, la ville d’art. Ses monuments, la mosquée de l’Imam, la mosquée du Sheikh Lotfollâh, le palais Ali Qâpu, sont d’une beauté à couper le souffle. On ne se lasse pas à détailler leurs gouffres magiques, les traînées de stalactites et les cascades d’alvéoles, les admirables harmonies chromatiques. C’est aussi une ville où il fait bon flâner tout le long de la rue Châhâr Bag où des élégantes voilées font du lèche-vitrines, chiner des objets rares dans le bazar ou encore faire une halte dans une  » tchaïkane  » (maison de thé) sous le Si-o-Seh pol, le célèbre pont aux trente-trois arches. Ispahan, c’est exactement l’émerveillement qu’on s’imaginait. Elle vaut à elle seule le voyage.

(*) « L’Usage du monde », p. 194.

Barbara Witkowska Photos: Christophe Boisvieux

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