Projets architecturaux, espaces arty, quartiers bobos… En marge de ses monuments et sites historiques, La Magnifique est une métropole qui bouge. Démonstration à l’occasion de la première Biennale du design qui s’y tient actuellement.

En parcourant le chemin qui sépare l’aéroport Atatürk du centre-ville, on flaire déjà le vent du changement. La cité, au carrefour de l’Europe et de l’Asie, a le visage de ces territoires en mutation. Dans le melting-pot urbain, les chantiers sont légion et offrent des contrastes saisissants entre petits logements décrépis et immenses buildings en construction. Dans ce paysage en mouvement, grouillant de ses – officiellement – 13,5 millions d’habitants, les vieilles pierres et les bâtiments pastiches restent massivement présents dans le paysage… Mais une fois passé le pont de Galata pour rejoindre l’Istanbul moderne, l’art et l’architecture contemporains se faufilent dans les ruelles, s’immiscent dans les quartiers, s’imposent par touches de plus en plus franches, au fur et à mesure qu’une frange de la population découvre les joies de la vie de bobo… Dernier signe en date de cette évolution : la naissance d’une Biennale du design qui se tient là-bas jusqu’au 12 décembre et à laquelle participe la Belgique, sous l’impulsion de Wallonie-Bruxelles Architecture (lire en page 73).

Bien sûr la capitale culturelle de la Turquie continue à se chercher une identité entre Orient et Occident. Bien sûr les défis urbains restent titanesques. Bien sûr la volonté de progrès s’embourbe dans les diktats d’un pouvoir central très (trop) fort. Mais ces contraintes catalysent les forces de ceux qui entrevoient une Istanbul tournée vers le futur. Et même si Sainte-Sophie et les croisières sur le Bosphore gardent leur charme éternel, le renouveau stambouliote et l’énergie débordante qui l’accompagne valent à eux seuls un citytrip. Voire plusieurs, pour observer, au fil des ans, la métamorphose d’une ville ancestrale en cité du IIIe millénaire. On vous livre les spots à surveiller de près…

BEYOGLU BOBO LAND

On pourrait surnommer cet endroit le Cinecittà turc car c’est là qu’habitent acteurs, réalisateurs, agents… des mille et une séries télévisées produites dans le pays et qui font désormais un tabac, aux Émirats notamment. C’est aussi à Cihangir – envahi peu à peu par les bourgeois bohèmes et tous les commerces hype qui vont avec – qu’on trouve la plus grande concentration de francophones stambouliotes. Le mieux est d’y flâner sans but pour humer l’air du temps et du changement. À deux pas, toujours dans Beyoglu, dans un triangle formé par les rues Çukurcuma, Faik Pasa et Turnac?bas?, se situe le quartier des antiquaires. Lampes, fauteuils, amphores et oeuvres d’art s’amoncellent devant les vitrines des brocanteurs, dans un joyeux foutoir. Ici aussi, on se laisse porter par l’ambiance, en se baladant sans se presser – mais avec de bonnes chaussures tant le relief est escarpé !

Une fois détendu par cette visite calme, rien de tel que de se replonger dans l’effervescence urbaine en parcourant de part en part la fameuse Istiklâl caddesi, une rue piétonne de plus d’un kilomètre fourmillant, jusqu’aux petites heures, d’une foule hétéroclite et bruyante. L’originalité de cet axe qui relie la place Taksim à la tour Galata : un vieux tram qui circule en son centre. Sur cette avenue cosmopolite se bousculent magasins, restaurants, clubs mais aussi des espaces dédiés à l’art telles les galeries Alter ou Salt Beyoglu, petite soeur de l’institution près de Galata (lire plus bas), ou encore la Borusan Music House, un lieu consacré à la musique et rénové avec des accents très contemporains.

KARAKÖY LA GENTRIFICATION EN PLEIN

De la tour de Galata, l’un des derniers vestiges de l’enceinte génoise datant du XIIIe siècle, jusqu’à la rive du Bosphore, à l’ombre du fameux pont de Galata rénové en 2002, s’étend le quartier de Karaköy, voué à une refonte profonde dans les prochaines années. Certaines rues aux abords de la tour sont déjà en pleine reconversion. C’est le cas de la Sedar-i-Ekrem Sokak, il y a dix ans encore occupée par des ateliers textiles et glauque dès la tombée du jour, où s’installent aujourd’hui magasins branchés et hôtels aux lignes épurées. Dans les artères voisines, on découvre aussi de temps à autre quelques gestes constructifs audacieux, à l’image de cette façade ondulante en bois (25, Tatar Beyi Sok) etderrière laquelle se cachent les appartements luxueux de Istanbullux Suites. Une prouesse quand on sait que les règlements urbanistiques sont stricts et imposent généralement de reconstruire à l’identique. Plus loin, en descendant vers l’eau dans le dédale urbain, le bâti se resserre, les marchands ambulants et les petits ateliers vétustes redonnent un cachet populaire au lieu. Aux abords du vieux port génois, c’est un véritable bric-à-brac qui encombre la berge. Devant les bazars vendant du matériel de navigation et de pêche d’un autre âge, quelques buvettes improvisées proposent le thé avec vue imprenable sur le fleuve. Authentique mais à savourer d’autant plus que ces îlots seront plus que probablement démolis prochainement. Symbole de cet upgrade de Karaköy : la très pointue plate-forme artistique Salt Galata, implantée depuis peu dans une demeure élégante du XIXe – on est dans la rue des banques qui tranche avec le reste du quartier – grâce à un sponsoring privé. Chaque pièce – restaurant, hall, toilette, bibliothèque… – y a été réaménagée par un designer turc d’aujourd’hui. Autre marqueur de renouveau du quartier : le musée Istanbul Modern a pris possession, en 2004, d’un entrepôt en bord de cours d’eau, derrière la mosquée Nusretiye, à l’extrême est de Karaköy. C’est notamment dans cette institution qu’a pris place la Biennale du design d’Istanbul.

BILGI ET ARNAVUTKÖY ENTRE PASSÉ ET FUTUR

Une fois arrivés au Bosphore, ceux que l’art de bâtir ne laisse pas indifférents feront certainement un détour au nord-ouest de la Corne d’Or – l’estuaire entre la nouvelle et la vieille Istanbul – pour voir Santral Istanbul. Ce musée d’art contemporain est aménagé dans une ancienne friche industrielle selon les plans d’Emre Arolat et Nevzat Sayin. Une superbe rencontre entre passé et présent.

En s’éloignant du pont de Galata, le long du fleuve, vers le nord-est cette fois, on arrive au fameux palais de Dolmabahçe – métaphore de la démesure des sultans -, à la mosquée blanche d’Ortaköy – en style rococo -, et plus loin au quartier d’Arnavutköy. Ici, il n’est point question de révolution constructive. L’atmosphère rappelle plutôt l’Istanbul d’il y a deux cents ans. Pêcheurs avachis le long des quais, maison de bois à front de voirie et arrière-cuisine fleurant le poisson. Mais on voit aussi que certaines habitations ont été rénovées, que, par endroits, les bicoques d’antan se modernisent et on peut présumer que, bientôt, tout le lieu se dévoilera sous un jour nouveau. Une fois à cette hauteur, il est par ailleurs possible de rejoindre le quartier de Besiktas et son marché aux poissons, une ample halle couverte par un impressionnant voile de béton futuriste dessiné par le bureau Gad.

LA RIVE ASIATIQUE FEMME D’EXCEPTION

La partie asiatique d’Istanbul, accessible par bateau mais qui, dans un avenir plus ou moins proche, sera reliée à l’Europe par un tunnel, cache elle aussi quelques trésors architecturaux ou arty. C’est le cas du quartier Kuzguncuk, où les vieilles demeures en bois sont aujourd’hui investies par des artistes dans un esprit très cool. Moda, une sorte de station  » balnéaire  » des années 70, recèle également son lot de curiosités. Enfin, s’il est un lieu à visiter, au moins pour le symbole, c’est la mosquée de Sakirin à Üsküdar… Et pour cause, elle a été aménagée par une femme, Zeynep Fadillioglu, ce qui est inédit dans le monde arabe ! Les clichés ancestraux y sont revisités avec des moucharabiehs allégés, un décorum épuré et une utilisation franche des couleurs.

NISANTASI ET LEVENT FOR FASHION ADDICTS

En quelques années, Istanbul est devenue une capitale du luxe et du shopping, suivant le modèle dubaïote entre autres. Le film publicitaire pour le parfum Chanel n°5 y a été tourné et, en 2010, Karl Lagerfeld s’est même inspiré de l’ancienne Byzance pour sa collection ottomane dédiée aux métiers d’art. Ceux qui ne peuvent se passer de shopper BCBG pourront parcourir dans Nisantasi, le quartier  » chic « , l’Abdi Ipekçi caddesi dans laquelle toutes les grandes marques ont pignon sur rue : Cartier, Louis Vuitton, Roberto Cavalli… Au-delà de ces enseignes, l’endroit ne présente cependant pas de caractère particulier. Seul détail amusant : ici, les trottoirs sont impeccables et ne ressemblent pas à des pistes de VTT comme c’est le cas dans la plupart des autres coins de la ville. Résultat, on se demande dans quelle métropole on se balade, jusqu’à ce qu’un vendeur ambulant de simits – petites couronnes de pain garnies de sésame – débarque d’on ne sait où…

Les pointus de la mode (et surtout d’archi !) se devront également de faire un détour par le très beau centre de la mode de la griffe turque Vakko construit par Rex, un bureau d’architecture dirigé par un ancien de chez Oma, l’atelier de Rem Koolhaas. Même s’il est situé en périphérie, sa façade sculpturale en verre est à ne pas rater.

Par ailleurs, à Istanbul, de nombreux centres commerciaux grandiloquents ont vu ou sont en passe de voir le jour. L’un de nos préférés est installé dans le quartier d’affaires du Levent (accessible en métro) : le Kanyon Shopping Mall, inauguré en 2006. Ce temple de la consommation est intégré dans un immense complexe multifonctionnel, comprenant entre autres une tour de bureaux et logements, et affichant une volumétrie impressionnante, tout en courbes et en terrasses, suggérant la topographie d’un canyon. Ce paradis des shoppeuses aura d’ici peu un concurrent de taille puisque le groupe Zorlu livrera, fin 2013, un luxueux ensemble signé par Emre Arolat et Murat Tabanlioglu à l’est des quartiers du Levent et d’Etiler. Le projet de la décennie, comme on dit ici ! Le site du Zorlu Center, au-delà de l’espace consacré aux boutiques, aux salles de spectacles et à un hôtel, accueillera quatre tours de bureaux et logements. Certains experts estiment que les prix de l’immobilier de luxe pourraient y grimper jusqu’à 15 000 euros/m². De quoi projeter l’ancienne capitale turque dans la quatrième dimension.

PAR FANNY BOUVRY

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