L’Américaine Liz Goldwyn vient de publier Sporting Guide, un roman historique sulfureux sur la prostitution. L’occasion de découvrir la réalisatrice et écrivaine. Son travail, ses obsessions et sa célèbre famille.

Il fait déjà nuit ici, mais, à L.A., il n’est que 9 heures du matin lorsqu’une voix traînante et veloutée à l’accent 100 % californien répond par un  » Hello ? » à notre appel téléphonique. L’espace d’un instant, on est intimidée au point de ne pas trop savoir comment enchaîner. Car à l’autre bout de la ligne se trouve Liz Goldwyn, c’est-à-dire, au royaume du septième art, le sommet de l’aristocratie : son grand-père Samuel Goldwyn, le  » G  » de la MGM, les studios de cinéma Metro-Goldwyn-Mayer, est un des pères fondateurs de Hollywood. Mais, d’emblée, elle nous met à l’aise en parlant de l’Europe, Paris en particulier.  » L’histoire de la ville m’obsède depuis mes 16 ans « , dit-elle avec enthousiasme. Pas étonnant : avec sa peau de porcelaine, son goût presque nerdy pour les bibliothèques et sa charmante tendance à ramener toutes les conversations vers le sujet de la sexualité, elle se fond plus naturellement dans la Rive gauche que dans Beverly Hills et son soleil éblouissant. Et pourtant, son deuxième livre (récemment publié aux Etats-Unis) est une plongée dans les rues de la cité des Anges. Son titre, Sporting Guide. Los Angeles. 1897, est une référence non pas au sport au sens olympique du terme, mais aux guides qui circulaient dans toutes les grandes villes de la planète jusqu’au début du XXe siècle, et qui énuméraient minutieusement les gymnases dévolus au sport le plus vieux du monde.  » Ces tomes, avec leurs mystérieuses couvertures en cuir, étaient publiés chaque année de Macao à Londres, en passant par New York, et circulaient en cachette. Ils détaillaient avec grand soin tous les bordels d’une ville, en incluant les noms des filles les plus appréciées, les spécialités et les services qu’offraient certains d’entre eux « , explique Liz. C’est à partir de ces livres (dont elle possède quelques exemplaires) et de recherches sur les stars du vice du Los Angeles pré-hollywoodien qu’elle a construit son roman historique.  » Les gens s’émerveillent souvent de découvrir que L.A. existait avant l’arrivée, avec leurs caméras, de D.W. Griffith, de Cecil B. DeMille et de mon grand-père. Pourtant, à la fin du XIXe, la ville était en pleine expansion grâce aux chemins de fer et à son climat paradisiaque. C’était le Far West, et les nouveaux magnats, comme les travailleurs des trains, avaient envie de s’amuser.  » Ce qui explique l’importance de Cora Phillips, propriétaire (britannique) de la plus luxueuse des maisons closes de la ville, ou de Bartolo Ballerino, le roi italo-américain des macs de Downtown, tous deux de vrais personnages, sortis de l’oubli grâce aux huit ans que Liz a passés à lire de vieux journaux dans les bibliothèques de l’Université de Californie à Los Angeles et de Yale. Mais pourquoi avoir choisi ce sujet aussi glamour que sordide ?  » Lorsque j’avais 9 ans, j’ai regardé Mayflower Madam, un téléfilm avec Candice Bergen. J’ai été aussitôt fascinée par la prostitution. Plus tard, lorsque j’étais en pension, je me cachais derrière la bibliothèque pour fumer et je fantasmais à l’idée de transformer le pensionnat en bordel. J’aurais été la tenancière, évidemment ! », avoue-t-elle entre deux éclats de rire. Mais cet intérêt pour le proxénétisme relève aussi d’une pensée plus profonde :  » J’admire ces femmes qui ont fait du sexe leur commerce à une époque où la prostitution était presque le seul moyen pour elles de s’émanciper et de gagner leur vie. Elles étaient – parfois malgré elles – rebelles dans une société qui exigeait des femmes qu’elles soient modestes et couchent avec leurs maris juste pour procréer, sans plaisir. Pour les filles de mon livre, la prostitution était la porte d’accès au rêve américain.  »

OEIL GOLDWYNIEN

Ledit rêve américain est un sujet que Liz connaît presque aussi bien que la prostitution. Après tout, sa famille en est l’incarnation ultime. Son grand-père, né Shmuel Gelbfisz, quitte sa Pologne natale, alors qu’il n’est qu’un teen-ager, pour gagner l’Angleterre, puis New York. Il ne tarde pas à s’associer à Jesse L. Lasky et Cecil B. DeMille pour produire des films. Ils débutent avec Le mari de l’Indienne (1914), qui sera aussi le premier long-métrage tourné à Hollywood. Le reste, comme disent les Américains, c’est de l’histoire, et le producteur devient Samuel Goldwyn, magnat du cinéma connu pour son audace, son oeil pour repérer les talents et ses légendaires difficultés avec la langue anglaise, au point que ses remaniements involontaires (et hilarants) des expressions anglo-saxonnes seront vite baptisés des  » goldwynismes « . Ceux-ci semblent être la seule chose que Liz n’a pas héritée de son célébrissime grand-père.  » Je ne l’ai jamais connu, mais j’ai grandi dans la maison qu’il a fait construire à Beverly Hills (NDLR : une de ces propriétés d’inspiration anglaise des années 30, avec cinéma, terrain de tennis et piscine, d’ailleurs achetée l’année dernière par… Taylor Swift) et entourée par ses souvenirs de l’âge d’or hollywoodien. Adolescente, mon idée de la rébellion était de ne pas faire des films… Je ne suis visiblement pas très rebelle !  » Car, après un flirt avec la mode, d’abord chez Sotheby’s comme fondatrice du fashion department, alors qu’elle est encore à l’université, puis comme consultante pour Shiseido et correspondante new-yorkaise de Vogue Paris à l’époque de Carine Roitfeld, Liz réalise, à 29 ans, Pretty Things (2005), un documentaire sur les danseuses de cabaret burlesque.  » C’était ma façon d’unir les deux choses que je préfère – la mode vintage et la sexualité – en un seul projet.  » Car Liz a un oeil goldwynien et un amour presque obsessionnel pour les vêtements anciens, au point d’avoir un garde-meuble réservé à sa collection et de prêter des pièces à des musées.  » Pourtant, je ne suis pas une puriste. Souvent, je porte mes nuisettes en satin des années 30 pour dormir, même si elles sont bien trop délicates. Je ne peux pas m’en empêcher, elles sont tellement sexy « , avoue-t-elle. Ce goût pour la dentelle, le rouge à lèvres (dont Liz a fait son signe distinctif) et la sensualité ne susciterait-il pas la fureur de certaines féministes ?  » Ah ! (Elle soupire.) J’avais souvent cette dispute avec ma mère (NDLR : l’écrivaine Peggy Elliott). Elle était féministe de la deuxième vague, et elle ne comprenait pas lorsque je lui disais que le burlesque et le féminisme n’étaient pas forcément ennemis « , se souvient-elle, avant d’ajouter :  » Pourtant, c’est elle qui m’a eu mon premier job à 16 ans… à Planned Parenthood (le planning familial) ! Impossible pour moi donc de ne pas être féministe à 100 %, ce qui ne veut pas dire que je n’aime pas explorer ma sexualité ou me maquiller.  » Une affirmation habituelle parmi les féministes de la nouvelle génération, mais qui, pour Liz, est le résultat d’une enfance passée auprès d’une mère militante et d’un père bon vivant.  » Mon père était un play-boy. Il adorait la fête, le luxe, les femmes… Maman était une activiste politique dans les années 60. Le mélange était explosif, mais ce sont souvent les mélanges explosifs qui marchent le mieux, dans la vie comme dans le sexe.  » Car le sexe est la plus grande inspiration de Liz (elle-même divorcée à 29 ans et qui, paradoxalement, reste muette lorsqu’on lui pose des questions sur sa vie personnelle).  » Parce que, peu importe comment on explore le sujet, on n’arrive jamais réellement à le décrypter. Et parce que je crois vraiment que le féminisme peut avancer à travers la sexualité. En communiquant plus, en apprenant à s’éloigner des rôles préétablis, en étant en contact avec son corps et ses intuitions… Mais n’hésitez pas à m’interrompre : quand je commence à parler de ça, je ne m’arrête plus ! J’aimerais orienter mes prochaines recherches vers ça.  » Pour l’instant, deux projets occupent le temps de Liz : un documentaire inspiré par Sporting Guide et une série, produite par HBO, en cours d’écriture.  » Je ne peux pas dévoiler grand-chose, juste que je parle de l’industrie de la mode à Paris et que le casting sera très international.  » Et à quand un documentaire sur son passé hollywoodien ?  » Chaque chose en son temps, dit-elle, j’ai plus d’un tour dans mon sac.  » Comme d’habitude avec Liz, la surprise est garantie.

PAR MARTA REPRESA

 » LE FÉMINISME PEUT AVANCER À TRAVERS LA SEXUALITÉ. EN APPRENANT À S’ÉLOIGNER DES RÔLES PRÉÉTABLIS, EN ÉTANT EN CONTACT AVEC SON CORPS ET SES INTUITIONS…  »

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