Sa haute couture, son prêt-à-porter, sa collaboration avec Hermès, son expo pour la Fondation Cartier… Jean Paul Gaultier est partout, à toute allure. Tournez manèges de la mode !

En garde ! Un pour tous… Tous pour lui. Mais c’est sans coup férir que ses mousquetaires haute couture ont conquis la planète mode, le 8 juillet dernier, sous les arches new-look du Palais des Arts et de l’Avenir du Prolétariat, au c£ur de Paris. Cape en peaux de renne roux reliées par un surjet en cuir à double frange, tunique à capuche en cote de maille bronze, pantalon en agneau marron, cuissardes en tricot au point irlandais sapin… d’Artagnan lui-même aurait rendu les armes, terrassé à la seule vue de ce modèle baptisé  » De cape et d’épée « , une des 31 créations virtuoses de la romanesque collection hiver 04-05 signée Jean Paul Gaultier.

Le Palais des Arts et de l’Avenir du Prolétariat ? Ce lieu chargé d’histoire, 5 000 m2 entièrement réhabilités par l’agence Moatti-Rivière, est aujourd’hui le QG du Groupe Jean Paul Gaultier (150 personnes). Les affaires (haute couture, prêt-à-porter, accessoires, parfums…) de la société s’étant considérablement développées au fil des ans, certains services avaient dus être disséminés dans tout Paris. Désormais, donc, toutes les activités sont à nouveau réunies et l’esprit maison retrouvé grâce à ce pari magnifique, à la fois convivial et architectural :  » regrouper sous le même toit toute la famille Gaultier et recevoir  » chez soi  » les invités des défilés « . Habillée de matériaux révolutionnaires, nimbée d’une savante lumière, cette nouvelle résidence offre un décor sur mesure à la prodigieuse créativité du maître de céans. Car Jean Paul Gaultier se partage désormais entre sa haute couture, son prêt-à-porter, sa collaboration avec Hermès… Sans oublier ses créations pour le cinéma, le show-business et tous ces projets proétiformes qui boostent encore son talent.

Pour son prêt-à-porter Femme de la saison hivernale, Jean Paul Gaultier a joué la surprise en présentant ses modèles sur des poupées articulées par des marionnettistes. Des trenchs, des manteaux, des blazers… des kilts aussi pour célébrer une femme qui ne renie en rien sa part de masculinité et de mystère. Une collection dont on retiendra, également, le travail du cuir et de la fourrure, associés à de la mousseline et à des imprimés panthère.

Pas, trot, grand galop… Jean Paul Gaultier a pris le mors aux dents pour se mettre au service de l’élégance griffée Hermès. Sa première collection pour la ligne de prêt-à-porter du prestigieux sellier parisien a, elle, été dévoilée dans un endroit hautement symbolique : le manège de l’Ecole militaire. Standing ovation pour une parade de pantalons jodhpurs, de capes d’amazones, de bottes cavalières, de ceintures queue de cheval et autres coiffes harnais. Le clou pour l’hiver 04-05 ? Un époustouflant corset en cuir façon sac Kelly, l’accessoire star chez Hermès.

Cette année, Jean Paul Gaultier est aussi entré au musée. La Fondation Cartier pour l’art contemporain lui a donné carte blanche pour  » Pain Couture « , une expo à voir et à savourer jusqu’au 10 octobre prochain.  » Une vraie création « , commente l’artiste qui s’est, une fois encore, surpassé pour concevoir des silhouettes en pâte à pain dans une mise en scène très croustillante (lire encadré page 48).

Mais quelle est donc la botte secrète de Jean Paul Gaultier ?  » Je prends souvent des risques, mais j’adore ça. Je n’hésite jamais, quitte à être parfois déçu « , a-t-il confié à Weekend Le Vif/L’Express. Notre fine lame û qui ne craint donc pas de se planter, même si tout pourtant semble lui réussir û commente avec enthousiasme et simplicité ces derniers mois bien remplis, révélant aussi ses rêves de music-hall. Et si  » l’enfant terrible  » de la mode avait tout bonnement gardé de l’enfance ce goût du jeu, du plaisir, du merveilleux ? Cet appétit inextinguible de la vie qu’on appelle, aussi, la foi.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous exposez à la Fondation Cartier. Comment avez-vous réagi quand ce temple de l’art contemporain vous a donné carte blanche ?

Jean Paul Gaultier : D’abord, je me suis dit : non, ce n’est pas pour moi. Je suis un artisan, pas un artiste. Je suis curieux de l’art, mais je ne suis pas un collectionneur. En fait, je me suis décidé après avoir discuté avec Souhed Nemlaghi. Cet ami décorateur a déjà collaboré à la mise en scène de plusieurs de mes défilés, notamment celui de mars 2003 au Carrousel du Louvre, pour lequel il avait conçu un immense podium de verre, soutenu par près de 1 000 baigneurs de Celluloïd. C’est avec lui que j’ai pensé à  » Pain Couture « .

Pourquoi cette idée du pain ?

Cela rejoint d’abord mon premier rêve d’enfant, celui d’être boulanger. J’étais tout petit, c’était bien avant d’avoir envie de faire des costumes, bien avant d’avoir transformé mon nounours en danseuse des Folies-Bergère ! Et puis, le pain, la baguette, c’est aussi le symbole de Paris et du Parisien que je suis devenu.

Quelle mise en scène avez-vous imaginée ?

Tout tourne autour du pain. La Fondation est transformée en une immense boulangerie, où même les stores sont en baguette. On vend des pains customisés à la Gaultier, expose des robes avec des bustiers en pain… J’ai aussi utilisé l’osier, inspiré des panières des boulangers. Bref, je me suis servi de tout ce que je pouvais réinterpréter.

Y a-t-il des points communs entre la boulangerie et la mode ?

Bien plus qu’on ne l’imagine. J’ai découvert qu’il y avait beaucoup de mots communs entre le pain et la couture : l’enrobage, la pâte ourlée, le feuilleté… Mais, ici, le plaisir a surtout été de surprendre et d’inventer. Il ne s’agissait pas de présenter une rétrospective classique comme celle du Victoria & Albert Museum, à Londres, l’an dernier. C’est une vraie création.

N’est-ce pas un pari risqué ?

Je prends souvent des risques, mais j’adore ça. Je n’hésite jamais, quitte à être parfois déçu. Comme lors de mon dernier défilé personnel, où la mise en scène, avec les marionnettes, n’a pas été aussi réussie que ce que j’avais imaginé.

Votre rencontre avec Hermès a-t-elle été à la hauteur de vos espérances ?

Absolument. D’abord parce que Jean-Louis Dumas ( NDLR : le PDG d’Hermès) m’a fait réellement confiance et que lui aussi m’a donné carte blanche.

Pourtant, quand le nom de Gaultier a été annoncé, beaucoup se sont étonnés ?

Oui, les gens ont des clichés. C’est un peu agaçant, car j’ai fait mes preuves, justement avec la couture. Mais pour certains, je reste encore  » l’enfant terrible  » de la mode.

Comment avez-vous plongé dans ce nouvel univers ?

J’ai beaucoup travaillé, mais ça a été facile pour moi. C’était une évidence. Je suis allé au musée Hermès, où j’ai vu des tas d’archives, belles et inspirantes. Evidemment, j’ai mis du Gaultier dans ma façon de voir les choses, mais le résultat est bien un  » bébé Hermès « . D’ailleurs, quand je travaille rue du Faubourg-Saint-Honoré, je ne veux pas être dérangé par les gens de la maison Gaultier, je suis 100 % Hermès. Dans ce nouveau registre, j’ai employé la maille de cachemire, que je n’utilisais pas jusqu’à présent dans mes propres collections. Et puis, bien sûr, je suis parti des codes Hermès. J’ai, par exemple, fait réaliser, avec l’aide d’un artisan anglais, un corset en cerf tabac dont les fermoirs sont des clins d’£il à ceux du sac Kelly. J’ai aussi été inspiré par les clous de selle, je les ai retravaillés en boutons de cabans et de canadiennes. Et j’ai détourné l’étrivière pour en faire des ceintures, des harnais portés sur la poitrine, et même, sur certains mannequins, en bandeau de tête.

Et le clin d’£il Gaultier dans tout ça ?

Il était partout, mais peut-être encore plus sensible au dernier passage du défilé, avec un jupon de flanelle superposé à une robe longue en crépon, le tout avec une double ceinture en cuir et une véritable queue de cheval en crin !

Et que préparez-vous pour le prochain défilé ?

C’est trop tôt pour le dire, mais il y a tellement de choses encore à utiliser dans ce patrimoine. Je travaille aujourd’hui dans l’esprit de mon premier défilé. Je veux continuer à profiter du savoir-faire Hermès et de ses matières exceptionnelles : la souplesse des peausseries, les points sellier faits à la main, les surpiqûres comme une sculpture sur la peau. C’est une merveille !

Avec Hermès, vous avez montré que vous saviez vous mettre au service d’un univers. Avez-vous la même démarche pour le cinéma ?

Les cinéastes ont des désirs très précis. Quand je fais mes collections, c’est moi qui suis le metteur en scène, alors que là, j’entre dans l’univers de quelqu’un d’autre. Même si je trouve des points communs avec mon propre monde, je ne sais pas dans quelle histoire il va m’embarquer. Que ce soit avec Peter Greenaway, Caro & Jeunet ou Luc Besson, ç’a été chaque fois une découverte et un enrichissement total. J’avais lu le script du  » Cinquième Elément  » mais, quand Luc Besson me l’a raconté, j’étais comme un gamin à qui on offre une belle histoire. Il a une façon très sobre de s’habiller dans la vie, mais, pour ses héros, il a eu une vision très esthétique, très avant-gardiste.

La rencontre a-t-elle été aussi forte avec Almodovar ?

Nous nous connaissons déjà depuis longtemps, nos deux mondes sont très proches. La première fois que nous avons travaillé ensemble, c’était en 1994 pour  » Kika « , avec Victoria Abril. A l’occasion de  » La Mauvaise Education « , le film qu’il a présenté au Festival de Cannes, en mai dernier, j’ai réalisé plusieurs vêtements dont ce fourreau de sirène, très spectaculaire et très  » Gaultier « , qui colle complètement à l’univers de Pedro. Almodovar est quelqu’un que j’admire, comme tous ceux avec qui je travaille : 99 fois sur 100, je collabore parce que je suis réellement fan. Du coup, j’ai le trac pour eux et, lors des projections officielles, je ne peux même pas apprécier vraiment le film tellement je suis attentif aux réactions du public.

Aucune de ces collaborations artistiques ne vous a déçu ?

J’ai eu très peu de déceptions, sauf avec Sylvie Vartan, que j’avais habillée pour l’Olympia. Je croyais que ça s’était bien passé et puis je me suis aperçu à la lecture de ses Mémoires qu’elle n’en gardait pas le même souvenir que moi. Cela m’a assez étonné, m’a blessé… Mais, en tout cas, ne m’a pas ôté l’envie de toucher à la scène. Après Madonna ( NDLR : en 1990, avec son bustier aux seins coniques, et en 2002 à Bercy), après Johnny l’an dernier, mon rêve serait de travailler sur une revue de music-hall, genre Lido ou Las Vegas. Pas seulement pour réaliser les costumes, mais aussi pour toucher à la mise en scène, apporter des idées, un projet de A à Z.

Marie-Christiane Marek

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content