Les femmes de ménage oublient parfois de nettoyer dans les coins, soit. Il arrive qu’elles nous révèlent notre double fond si bien dissimulé.

 » J’ai renvoyé Marta « , par Nathalie Kuperman, Gallimard, 157 pages.

Elle l’a fait avant moi, me suis-je dit. Et je lui en ai voulu pendant cinq bonnes minutes. Parce que moi aussi j’aurais adoré écrire un roman sur ma femme de ménage. J’aurais adoré évoquer nos premiers instants, le lieu, les circonstances exactes de notre première rencontre, pourquoi elle et pas une autre ?, les premières paroles échangées et nos premiers regards. J’aurais adoré raconter comment, à dater du jour où ma femme de ménage a débarqué chez moi, je n’ai plus été la même femme.

Mais voilà, Nathalie Kuperman l’a fait avant moi et j’ai donc lu son livre en me calant dans mon canapé en dessous duquel je devinais sans les voir les moutons oubliés par ma femme de ménage, comment parviendrais-je un jour à lui dire ? Et je me suis mise à rire au bout de la deuxième ligne parce que c’était exactement ça, à quelques détails près – tenons-le nous pour dit, Nathalie Kuperman est plus maniaque que moi – mais j’y étais, oh je me reconnaissais bien dans la description de ces petits malaises qui caractérisent les débuts, ces idées fixes, ces conversations avec un mari qui ne veut rien savoir, et l’absurdité de ces comportements qu’on a toutes un jour ou l’autre (nettoyer la crasse de la baignoire juste avant qu’elle arrive, on l’a toutes fait un jour, non ?). Et je me suis surprise à penser à chaque page  » j’allais le dire « , notant tout de même que Nathalie Kuperman n’avait pas besoin de moi pour ça et le disait très bien, avec une justesse et un humour jouissif.

Et puis est arrivé le moment où j’ai réalisé que je n’avais plus du tout envie de dire  » j’allais le dire « . C’en était fini d’écrire le même livre qu’elle, les névroses apparemment bon enfant de la narratrice ne m’appartenaient plus et n’avaient plus rien de bon enfant. Son histoire familiale se glissait dans ces pages et, toujours calée dans mon grand canapé, je me suis aperçue que ces petites obsessions qu’on aurait pu trouver ridicules prenaient un sens terrible. Je croyais lire un roman bourgeois anecdotique et drôle et c’était exactement l’opposé. Je plongeais dans sa détresse avec la gorge serrée, et je ne l’en aimais que plus fort…

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