Uji, petite localité de la préfecture de Kyoto, est réputée pour deux attractions : le temple Byodo-in et ses thés verts. Cap sur le Japon pour savourer un art de vivre millénaire… et l’extrême qualité du Gyokuro.

Le train pour Nara quitte la gare JR de Kyoto, la plus grande ville de pèlerinage de la planète avec ses 5 000 temples et ses plus de 40 millions de visiteurs annuels. A mi-chemin, il enjambe la rivière Uji, avant de s’arrêter à la gare du même nom. Un arrêt s’impose en effet. La petite localité d’Uji abrite le temple Byodo-in et son célèbre pavillon du Phénix, seul édifice d’époque épargné par les guerres et les incendies. Le toit en tuiles grises de ce gigantesque hall en bois construit en 1053 est ponctué en différents endroits de petites statuettes représentant le Phénix, l’oiseau mythique à qui les légendes attribuent le pouvoir de s’immoler par le feu pour renaître ensuite de ses cendres.

Pour les érudits de la littérature romanesque nippone, Uji est aussi associée à une oeuvre majeure :  » Le Dit du Genji « , un recueil de 54 livres écrits vers l’an mil par Murasaki Shikibu, au service de Shoushi, la fille de Michinaga Fujiwara, le Premier ministre de l’empereur d’alors. En effet, les dix derniers livres du  » Genji monogatari  » se déroulent essentiellement à Uji.

Les passionnés d’art culinaire et les fins amateurs de thés se donnent aussi rendez-vous à Uji. C’est en effet sur les collines qui entourent la ville qu’on produit la plus belle qualité de Gyokuro – traduisez perle de rosée -, lui-même considéré comme le meilleur thé vert du Japon.

Une infinité de saveurs

Les thés verts sont surtout produits en Chine, à Formose et au Japon. Et ils développent une infinité de saveurs. Le qualificatif vert indique simplement que les feuilles n’ont pas subi de fermentation. Au contraire, celle-ci est stoppée immédiatement après la cueillette dans les jardins de thé.

Le Japon produit, selon les années, de 80 000 à 90 000 tonnes de thé vert qui proviennent essentiellement des jardins ou cha-en, (le radical cha signifie thé) de cinq régions de production : Fukuoka et Kagoshima dans le Kyushu, l’île méridionale de l’archipel et de Saitama, Shizuoka et Uji (Kyoto) dans le Honchu. Les plantations de théiers du Japon sont souvent constituées de longs boudins verts réguliers, taillés au cordeau, quasi manucurés, épousant le profil ondulant des collines. L’arbuste, lui, nous est familier, par sa feuille comme par sa fleur blanche. Le théier est en effet un camélia (Camellia sinensis cultivé qui, dans la nature, peut atteindre 6 à 10 mètres de hauteur).

Le thé provient de la cueillette des jeunes pousses et repousses de l’année. A Uji, la première récolte a lieu en mai et dure une vingtaine de jours. La seconde récolte commence début juillet. Si la saison le permet, une troisième récolte est programmée début septembre.

Selon la manière dont le jardin est aménagé, on distingue deux grands types de thés d’Uji : les thés d’ombre et les thés de plein soleil. Les thés de plein soleil, produisant davantage, sont récoltés mécaniquement et fournissent la qualité la plus ordinaire. Ils portent le nom de kawayanagi, sencha ou bancha.

Les buissons destinés aux deux qualités de thé gyokuro et tencha font l’objet d’une attention toute particulière. En avril, deux semaines avant la première cueillette, ils sont couverts de grands filets noirs eux-mêmes recouverts de paille de riz. De la sorte, 95 % de la lumière solaire est filtrée. Il en résulte une concentration d’arômes et d’acides aminés, au nombre d’une trentaine dans le thé vert. La récolte est aussi différente puisque tencha et gyokuro sont issus de la première cueillette et plus précisément les premières feuilles (entre 3 et 5), exclusivement prélevées à la main.

Il s’agit de bloquer ce processus naturel de la fermentation le plus rapidement possible. Pour ce faire, le produit de la cueillette est immédiatement passé à la vapeur durant 30 à 40 secondes, temps nécessaire pour interrompre les transformations chimiques et bactériennes. Viennent ensuite deux séchages à l’air chaud suivis chacun d’un roulage. Un dernier séchage intervient de manière à plafonner l’humidité du thé à 5 % de son poids total. Entre-temps, la feuille verte d’origine aura perdu les trois quarts de son poids initial.

Le roulage des feuilles sous pression entre des cylindres permet de rendre plus solubles leurs composants au moment de l’infusion. Autre conséquence: les feuilles roulées prennent ainsi une forme caractéristique d’aiguille. Pour conserver toutes leurs qualités, les meilleurs thés verts sont alors conservés au frigo, dans de grosses boîtes en bois en attendant leur commercialisation.

Au moment de l’emballage, les feuilles de thé devront encore être triées et débarrassées de leurs poussières et tiges. C’est seulement alors que peut commencer la fabrication du matcha, le plus  » spirituel  » parmi les thés verts. Les feuilles de tencha sont moulues avec une délicatesse toute orientale. Dans les échoppes d’Uji, comme dans les autres zones de production de thés d’ombre, de petits moulins en marbre produisent la poudre de matcha destinée à la cérémonie du thé au rythme de quarante grammes par heure !

Les spécialistes en thé – ils sont légion à Uji – commercialisent toute la gamme des thés, du sencha ordinaire – les 4/5e de la production nationale – au Gyokuro dont le prix atteint aisément 3 000 francs les 100 grammes. Le Genmaicha, lui, est un mélange de feuilles de thé et de riz et de maïs soufflés, dont on réalise également des infusions assez sucrées.

Plusieurs échoppes effectuent également la transformation du bancha (un thé assez amer issu des feuilles de moindre qualité) en hojicha. Pour ce faire, on grille les feuilles séchées à 180°C dans des machines à tambour. L’amertume originelle du bancha est supprimée, pour faire du hojicha un breuvage doux, très séduisant.

La cérémonie du thé

Reste le thé le plus emblématique, celui du chanoyu, terme japonais pour la cérémonie du thé, dont Kyoto est la patrie historique. La municipalité de Uji a eu l’heureuse initiative de reconstituer, face à l’office du tourisme, quelques pavillons traditionnels de thé où chacun peut prendre la mesure des gestes de la cérémonie du thé et de la symbolique profonde de ce rituel zen décrit au XVIe siècle par le moine Sen Rikyu.

Toutes les étapes sont fidèlement reproduites. L’eau est chauffée sur d’authentiques charbons de bois. On prétend qu’il faut des années d’expérience pour mener à bonne fin ce brasero, de sorte que l’allumage soit rapide, que l’eau de la bouilloire en fonte arrive à la bonne température – 50 °C – au moment voulu.

Trois instruments sont nécessaires pour passer de la poudre au liquide mousseux que devient le matcha : la louche en bambou (hisaku) pour prélever l’eau, la cuiller en bambou (chasaku) pour doser la poudre et le fouet (chasen) destiné à émulsionner le mélange afin d’obtenir l’aspect d’une  » mousse de jade « . Illustré pour la première fois au XVe siècle, le chasen traditionnel compte approximativement 160 dents. Elles sont finement taillées dans l’écorce médiane d’une tige de bambou, la partie externe et la moelle interne étant enlevées. Autrefois, ce fouet ne pouvait servir qu’une seule fois ; il était précieusement conservé, comme un talisman.

Le bol (chawan), sa facture, la manière de le tenir font l’objet d’autres codifications et rites. Chaque bol possède une façade décorative, synonyme de l’offrande. C’est cette face avant qu’on présente à la personne qui reçoit le thé. Avant de le porter aux lèvres, elle doit le retourner pour offrir le côté esthétique à ses interlocuteurs et partager ainsi ce moment particulier.

D’un point de vue diététique, le matcha se distingue des infusions puisque, dans ce cas, la boisson contient toutes les composantes de la feuille, dont la vitamine A et la chlorophylle, insolubles dans l’eau. Ce breuvage possède une autre caractéristique : son amertume. C’est la raison pour laquelle on l’accompagne d’une pâtisserie. Il est conseillé de la consommer avant le thé, de manière à lester l’estomac avant d’avaler cette boisson épaisse et forte.

Texte et photos: Jean-Pierre Gabriel

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