Romantiques, vénéneuses, graphiques ou excessives, les fleurs témoignent de toutes les humeurs de la saison. Retour sur un motif qui ne cesse d’inspirer.

« Les fleurs sont belles justement parce qu’elles sont éphémères « , selon l’artiste britannique Damien Hirst. Et la fascination des créateurs à leur égard ne faiblit pas. Depuis des siècles, roses, tournesols, orchidées et gardénias décorent robes, manteaux et même accessoires, au point de faire dire à une Miranda Priestly – rédactrice en chef terrible dans Le diable s’habille en Prada -, blasée et sarcastique :  » Des motifs floraux ? Pour le printemps ? Quelle idée révolutionnaire !  »

Associées depuis toujours à la féminité – aussi bien en raison de leur délicatesse que de leur troublante anatomie -, les fleurs n’entrent dans le vestiaire occidental qu’à partir du Moyen Age tardif. Les soies et les velours brodés qui les immortalisent viennent alors d’Extrême-Orient mais ne tardent pas à être imités en Italie, car les mondaines en raffolent. Elles arborent des motifs en forme de grenades et de vignes comme symboles de leurs charmes féminins, mais aussi de leur statut social. Au Royaume-Uni – où, d’ailleurs, les élégantes sont qualifiées d’English roses -, c’est le chintz qui fait fureur dès le XVIIe siècle. Cette toile de coton légère et imprimée de fleurs en arabesques, originaire d’Inde, évolue et trouve avec le temps sa place dans la tradition textile anglaise. Particulièrement sensibles à la beauté pittoresque des jardins, les Britanniques se sont vite pris de passion pour les motifs qu’invite le grand magasin londonien Liberty, inspiré de l’Art nouveau, au tournant du XXe siècle. Dans le même temps, les Français découvrent des variétés exotiques, graphiques et sensuelles que Paul Poiret, s’inspirant des kimonos japonais, reproduit sur des robes et des manteaux du soir, et mélange de manière provocante à des transparences et à de la fourrure.

VIE ET MORT

Pas de doute, les fleurs sont devenues le langage universel de la mode. Lorsque Boy Capel – l’amour de sa vie – lui offre, en 1912, un bouquet de camélias, Gabrielle Chanel fait de la fleur son logo officieux. Tout au long de sa carrière, elle l’utilisera pour décorer chapeaux, sacs et bijoux. Christian Dior, lui, ne s’inspire pas d’une variété mais de toutes quand, trente-cinq ans plus tard, il présente à Paris sa ligne Corolle. Le contraste entre le volume de ses jupes et ses vestes corsetées transforme ses mannequins en filles-fleurs et fait s’écrier Carmel Snow, à l’époque rédactrice en chef du Harper’s Bazaar :  » Dear Christian, your dresses have such a new look !  » ( » Cher Christian, vos robes ont une allure si nouvelle ! « ) Pourtant, les motifs floraux ne tardent pas à subir une autre révolution. Celle des flower children qui, dans les années 60, les passent à travers un filtre psychédélique et pop, presque naïf, rappelant les sérigraphies d’Andy Warhol.

Si, au coeur d’une décennie optimiste et pétillante, les fleurs représentent la vie pour les hippies, pour Alexander McQueen, au début d’un second millénaire marqué par la peur et l’insécurité, elles symbolisent la mort et la pourriture. Dans sa collection printemps-été 2007, le créateur de Bristol présente Sarabande, une robe en organza transparent splendidement brodée de fausses et de véritables roses.  » Tous les objets vivants se décomposent, confiait-il à l’époque, et j’ai utilisé des fleurs fraîches pour les voir mourir peu à peu sur le vêtement. Mon état d’esprit est à la fois romantique et sombre.  » McQueen fait aussi preuve d’une prédilection florale peu commune pour le chardon. Piquant et dangereux, il est la métaphore parfaite de ses créations.

BOUQUET GARNI

On pourrait croire que les fleurs ont été traitées sous tous les angles possibles. Loin de là : cette saison, elles ont fait un retour en force sur les podiums. En septembre dernier, le nouveau wunderkind de la mode britannique, Christopher Kane, épatait le milieu avec un défilé printemps-été 2014 dans lequel orchidées et narcisses étaient les sujets d’une étude scientifique.  » Je n’aime pas faire les choses comme les autres, avoue-t-il en parlant de sa collection. Je voulais que mes fleurs soient révélatrices et un brin provocantes. L’idée m’est venue par hasard, lorsque j’ai visité mon ancienne école primaire. Je suis entré dans une des salles de sciences et j’ai été captivé par deux croquis accrochés au mur qui représentaient l’anatomie des plantes avec une froideur clinique.  » L’Ecossais imagine alors des robes avec des découpes en forme de pétales, des pulls brodés des mots flower et petal – un terme affectueux dans son Lanarkshire natal -, des sweat-shirts ornés de végétaux pailletés – best-sellers garantis – et des jupes en organza parsemées de dissections florales.  » Bien sûr, j’étais intéressé par la similitude entre l’anatomie d’une fleur et celle du sexe féminin. Il y a là quelque chose de pervers et d’extrêmement séduisant.  »

Mais Christopher Kane n’est pas le seul à surprendre avec une collection entièrement florale cette saison. Raf Simons revisite lui la ligne Corolle et la veste Bar en y insérant des empiècements en soie plissée et imprimée de roses orange, violettes et bleues. Quelques-unes de ses robes portent des slogans inquiétants ( » Alice Garden  » ou  » Primrose Path « , expression qui, en anglais, fait référence au plaisir qui conduit à la destruction), rendus encore plus oppressants par le décor : une jungle florale exubérante.

FLOWER POWER

 » L’impact des fleurs est souvent sous-estimé. Leur pouvoir peut devenir écrasant, dit Mark Colle, fleuriste à Anvers, qui collabore régulièrement avec Raf Simons. Comme la mode, elles sont éphémères. Il n’est donc pas étonnant que l’une s’inspire de l’autre.  » Mark Colle a aussi travaillé avec Dries Van Noten, un autre amoureux des fleurs, cette saison. Le Belge avait déjà expérimenté différents bouquets lors de son défilé masculin, expliquant qu’il avait fait ses recherches au musée des Arts décoratifs, à Paris, pendant qu’il travaillait sur sa rétrospective, aujourd’hui ouverte au public. S’il s’est inspiré pour l’Homme d’Oscar Wilde, de Jean Cocteau et de Jimi Hendrix (souvent coquettement habillés de motifs floraux), ses références pour la Femme puisent du côté d’esprits libres, décadents et excentriques comme Tamara de Lempicka ou Loulou de la Falaise. Négligeant volontairement les couleurs et l’esprit typique du printemps, Dries Van Noten propose une collection de bouquets de tulipes fanées, de tissus de Damas et de broderies aux tons bordeaux, noirs et dorés, mélangés à des lins et à des calicots de coton naturel.

Le noir et le rouge, cette fois-ci dans une nuance corail, sont également au coeur du printemps de Christophe Lemaire pour Hermès. Ainsi que des fleurs, des spécimens exotiques comme ceux qui poussent sur les palmiers des jungles du Brésil ou du Vietnam. Jonathan Saunders, lui, brode des pavots aux couleurs hallucinogènes sur des robes en organza et sur des Teddy en satin. Les versions de Marni (inspirées du design textile du début du XXe siècle), d’Etro (façon wax) et de Dolce & Gabbana sont, quant à elles, plus sages. Dans une ligne à l’esprit byzantin, le duo insère quelques robes transparentes brodées de cerisiers en fleur. Le résultat est ultra-féminin, frais, joyeux. Pour Stefano Gabbana,  » les fleurs expriment tout simplement le bonheur « . Un beau symbole pour le printemps.

PAR MARTA REPRESA

 » L’impact des fleurs est souvent sous-estimé. Leur pouvoir peut devenir écrasant.  »

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