Souvent taxés de violence gratuite, les jeux vidéo épousent désormais une nouvelle tendance baptisée  » serious games « . Une arme de pacification massive ?

L’info est quasiment passée inaperçue. Il y a trois semaines à peine, le pape Benoît XVI se prononçait farouchement contre les jeux vidéo, estimant que ces loisirs technologiques faisaient, je cite,  » la promotion de la violence et des comportements antisociaux au nom du divertissement  » et qu’ils pouvaient donc  » réduire substantiellement les valeurs morales de nos jeunes.  » A l’heure où les politiciens allemands intensifient leur lobbying auprès de l’Union européenne pour qu’elle adopte des nouvelles lois plus sévères en la matière, la condamnation du souverain pontife ne pouvait pas tomber mieux. D’autant plus qu’un néologisme est apparu outre-Atlantique pour désigner précisément les jeux vidéo à caractère violent : désormais, on parle de  » killographic games  » aux Etats-Unis, ce que l’on pourrait traduire par  » jeux tuographiques « , exactement comme on qualifie certains films de pornographiques, et cela afin d’évaluer leur danger potentiel.

Dieu merci, tout n’est pas perdu dans ce bas monde informatique. Benoît XVI l’ignore peut-être, mais une nouvelle tendance de jeux vidéo émerge tout doucement des bains de sang pixellisés et pourrait bien remettre quelques brebis  » tueuses  » sur le droit chemin. Et donc redorer, à terme, le blason de ces loisirs vécus par écran interposé. Baptisés  » serious games « , ces jeux vidéo dits sérieux ont en effet pour vocation de sensibiliser les ados à un problème social ou à une cause humanitaire via le divertissement. Prenez  » Food Force  » par exemple. Conçu à la demande du Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations unies, ce jeu (téléchargeable gratuitement en français sur www.food-force.com/fr) met en scène une équipe de bénévoles sur l’île fictive de Sheylan. Leur mission : venir en aide aux habitants démunis en organisant la distribution de l’aide alimentaire dans cette zone de crise. Bien sûr, la route est balisée de contrariétés en tout genre (budget limité, sécheresse, guerre civile…), mais le parcours se fait toujours dans la non-violence. Bref, pas de méchants zombies ni de soldats ennemis à zigouiller à la mitraillette.

L’initiative  » Food Force  » est loin d’être un exemple isolé. Egalement offerts gracieusement sur le Net, les  » serious games  » www.darfurisdying.com et www.3rdworldfarmer.com font eux aussi vibrer la corde sensible de l’humanitaire en demandant au joueur d’endosser ici le rôle d’un réfugié sur les terres dévastées du Darfour, là d’incarner un fermier du tiers-monde censé développer sa minuscule exploitation familiale dans un paysage franchement hostile. Certes, on peut parfois reprocher à ces jeux une certaine naïveté dans les scénarios, mais ils ont au moins le mérite de conscientiser des ados trop souvent égarés dans leur réalité virtuelle ou tout simplement déconnectés de la vraie vie sur la planète Terre.

Dans cette noble mission de sensibilisation, une mention spéciale doit être attribuée au produit  » A Force More Powerful  » ( » Une force plus puissante « ), le premier jeu de simulation destiné à renverser les tyrans sans la moindre effusion de sang. Créé à l’initiative de l’International Center on Nonviolent Conflict de Washington, ce jeu de stratégie (vendu 15 euros sur www.afmpgame.com) enseigne les techniques de mobilisation non violente pour affronter un régime totalitaire : récolte de fonds, distribution de tracts, actes de désobéissance civile, grèves, manifestations… Toutes les armes pacifiques sont à la disposition des joueurs qui souhaitent se débarrasser des dictateurs incarnés par l’intelligence artificielle du logiciel. Bien sûr, ce  » serious game  » entend d’abord ouvrir les yeux des jeunes Occidentaux qui oublieraient un peu trop vite les régimes despotiques, mais les visées pédagogiques de  » A Force More Powerful  » s’adressent aussi, évidemment, aux militants des droits de l’homme de ces pays cadenassés. Car le jeu, finalement, n’est pas qu’un simple jeu…

C’est précisément ce constat qui fait dire aux spécialistes du divertissement informatique que les ventes des  » serious games  » connaîtront une croissance importante dans les années à venir. Surtout si Benoît XVI poursuit sa croisade contre les jeux violents et que les politiciens de son pays natal obtiennent gain de cause auprès des instances européennes. Tiens, ça pourrait faire un chouette  » serious game « , ça, non ?

Retrouvez Frédéric Brébant, chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même  » de Jean-Pierre Hautier sur La Première (RTBF radio) et également sur le site www.lapremiere.be dans la rubrique Podcast.

Frédéric Brébant

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