Inconnue chez nous, elle est pourtant une figure incontournable du paysage audiovisuel flamand. Indra Dewitte a présenté pendant six ans l’émission politique phare de la VRT, De Zevende Dag. A la rentrée, elle rejoindra la rédaction du Belang van Limburg. Un retour professionnel dans la province qui l’a vue grandir et où elle vit désormais. Rencontre.

Née à Louvain, Indra Dewitte a pas mal roulé sa bosse dans le pays. Après avoir habité et travaillé de nombreuses années à Bruxelles, elle vit aujourd’hui dans la province de son enfance, le Limbourg. Elevée dans une région placée sous le signe des charbonnages, au sein d’une famille de soixante-huitards, elle a grandi  » entourée de parents qui [lui] ont appris à poser les bonnes questions, même si [elle n’était] pas toujours d’accord avec leurs analyses « . Sans doute les prémices de sa passion, le journalisme. En juin dernier, elle présentait son dernier De Zevende Dag, après avoir été, pendant six ans, le visage du magazine politique de la VRT. En octobre prochain, elle accèdera au poste de rédactrice en chef adjointe du journal Het Belang van Limburg. Un vrai retour aux sources.

Comment êtes-vous entrée dans le journalisme ?

J’ai grandi sans télévision, parce que mes parents avaient une préférence pour la presse écrite, pour la radio et pour les livres. On lisait beaucoup à la maison. Mon intérêt pour le métier a commencé vers 12 ans. J’ai découvert Le Journaliste indésirable de Günter Wallraff. Ça, c’était du journalisme ! Chaque jeudi, nous étions reçus chez les voisins et nous regardions Panorama. Je suis devenue une grande fan de ce magazine d’information de la VRT, plus particulièrement du courrier des lecteurs et des réponses qui y étaient apportées. Après mes études, je suis entrée comme journaliste dans une petite maison de production, avant de débarquer chez VTM. Les premiers mois, j’étais sur un nuage, comme une gamine dans un magasin de bonbons, même si j’avais déjà voyagé davantage que les gens de mon âge. J’étais déterminée à faire ce métier. J’ai proposé à quelques journalistes et présentateurs réputés d’écrire leurs introductions pour apprendre. Ils ont trouvé l’idée formidable et m’ont beaucoup aidée. Après ma journée de boulot, je restais jusqu’au bout de la nuit pour m’initier au montage d’un reportage. Un an et demi plus tard, Dirk Tieleman (NDLR : célèbre présentateur en Flandre) m’a fait venir à la VRT. Je me souviens d’avoir été émerveillée. C’est selon moi la base du journalisme : ressentir un vrai plaisir à faire ce que vous faites. Et travailler sur la chaîne publique vous offre énormément d’opportunités.

Vous êtes originaire d’une région plutôt dévastée…

Lorsque j’étais jeune, la mine était synonyme d’une intégration réussie. Le slogan était  » Tout le monde est noir dans la mine « . Cela s’appliquait au sens propre comme au figuré. Dans les écoles, de nombreuses nationalités se côtoyaient, Polonais, Grecs, Italiens… Le centre culturel de Genk, C-Mine, est très symbolique à cet égard : n’oublions jamais l’importance du travail et des projets d’avenir. Sans cela, il n’y a pas d’intégration possible. Au début, lorsque les mines ont fermé, les choses n’ont pas vraiment changé, grâce aux indemnités de départ. Mais petit à petit, j’ai vu apparaître les premiers mendiants, les premiers actes racistes, les premières frictions. Mes condisciples formaient la dernière génération d’enfants de mineurs entrant à l’université.

Pourquoi alors revenir vivre à Genk ?

Parce qu’il s’agit d’une ville industrielle appauvrie, d’une société miniature avec tous les problèmes que cela comporte. J’ai vécu durant des années à Bruxelles et j’ai même acheté un terrain dans la périphérie. Jusqu’à ce que je me demande si j’avais envie d’y voir grandir mes enfants. J’ai choisi Genk parce que c’est une ville au fort caractère identitaire, où l’on rencontre, certes, des problèmes de chômage, mais où l’on se trouve aussi très près de la nature. C’est une grande communauté pleine de vie. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais regretté mon choix.

Vous êtes aussi à un tournant dans votre carrière…

J’aurais aimé pouvoir rester à la VRT. Je ne pars pas parce que j’étais insatisfaite ou que l’on m’empêchait de faire ce que je voulais. Mais la fermeture de l’usine automobile Ford Genk m’a beaucoup touchée. C’était un moment pénible car je me souvenais encore parfaitement de celle des mines. J’avais d’autant plus un sentiment de déjà-vu que l’entreprise Ford elle-même s’était établie dans la région pour permettre une reconversion. On a alors entendu la même rengaine :  » Nous allons dégager un budget qui ira à la recherche de solutions.  » De mon côté, je me disais que personne ne se donnait la peine de se rendre dans le Limbourg pour prendre les choses en mains. Je me suis rendu compte que c’était mon devoir, que j’habitais à nouveau à Genk depuis quelques années et qu’il ne s’agissait pas d’un événement qui ne me concernait pas. Je suis devenue journaliste parce que j’avais un intérêt particulier pour la société et le monde dans lequel j’évolue, pour la manière dont les gens vivent. Mon engagement est une des raisons pour lesquelles je suis devenue journaliste.

Ivo Vandekerckhove, rédacteur en chef du Belang van Limburg, vous a aussi invitée à intégrer son équipe…

Il me l’avait déjà demandé à plusieurs reprises et cela ne m’intéressait pas vraiment. Aujourd’hui, il a 59 ans et il m’a proposé de m’impliquer pour éventuellement le remplacer plus tard. J’ai analysé les chiffres : un quotidien dont le tirage est 2,5 fois plus important que De Morgen, aussi important que De Standaard et qui est lu par 87 % des Limbourgeois… Cela fait réfléchir. Les Limbourgeois ont un sentiment très fort d’appartenance à leur province. Lorsque je suis revenue vivre à Genk, je ne pouvais pas faire un pas sans que les gens me posent des questions :  » Vous avez entendu ce que ce politicien a dit ? Dois-je déposer mon argent sur un ou deux comptes d’épargne ?  »

Vous êtes en quelque sorte une représentante du peuple…

Oui ! (rires). Mais réellement indépendante. Je suis un peu la voix du peuple et c’est un aspect que j’avais sous-estimé. J’ai quitté Genk à 17 ans et j’étais déterminée à ne jamais y revenir. Quand j’ai finalement décidé de retrouver mes racines, les gens m’ont demandé si je n’avais pas de regrets, si je savais vraiment ce que je faisais. Plus je me posais de questions et plus je réalisais que j’avais pris la bonne décision.

Votre rôle de maman a-t-il eu un impact sur votre décision ? Souhaitiez-vous être plus présente ?

Honnêtement, je pense que cela n’a pas joué. Je savais que je prenais une décision professionnelle, un engagement. Je ne culpabilise pas vis-à-vis de mes enfants parce que je leur consacre beaucoup de temps. Je privilégie toujours la qualité à la quantité, mais lorsqu’on a aussi la quantité, je ne trouve cela pas si mal. Comme je travaillais le week-end, c’est mon mari qui s’occupait des enfants et j’étais à la maison tous les lundis et mardis. Cela signifiait que durant quatre jours entiers, au moins un des parents était avec les enfants – un luxe que peu de gens connaissent. J’ai deux enfants heureux qui appréhendent la vie avec bonheur et je sais que j’ai tout ce dont j’ai besoin. Si j’avais choisi HetBelang van Limburg uniquement pour mes enfants, je leur aurais fait du tort autant qu’au journal.

Vous semblez être une femme de vocation…

Je ne suis pas pour les vocations ou les adhésions. Je souhaite simplement accomplir des choses pour la communauté, même si c’est par pur égoïsme. J’aime vivre dans un monde agréable et je veux y contribuer.

PAR PIERRE DARGE / PHOTOS : JULIEN POHL

J’AI CHOISI GENK PARCE QUE C’EST UNE VILLE AU FORT CARACTÈRE IDENTITAIRE, OÙ L’ON RENCONTRE, CERTES, DES PROBLÈMES DE CHÔMAGE, MAIS OÙ L’ON SE TROUVE AUSSI TRÈS PRÈS DE LA NATURE.

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