Tout en douceur, Kris Van Assche (30 ans) s’est imposé parmi les créateurs belges les plus prometteurs de sa génération. Charmant, il met sa passion au service de l’élégance masculine. Rencontre à Paris avec un créatif toujours à vif.

Imposant, Beaubourg fait les beaux jours des Parisiens et des touristes. Pour accéder au restaurant Georges niché au sommet de l’édifice, il faut emprunter un ascenseur particulier. Arrivé tout en haut, la récompense : vue imprenable, déco originale et serveurs dignes de top models. C’est ce lieu branché qu’a choisi Kris Van Assche pour notre entretien. Vêtu d’un tee-shirt blanc en V et d’un pantalon camel, le créateur belge arbore un look décontracté et élégant.

Nouveau chouchou des rédactions de mode, ce garçon modeste semble étonné par l’engouement suscité. Son parcours a pourtant de quoi épater. Né à Londerzeel en 1976, le jeune Kris rêve de s’exprimer à travers la mode et choisit l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers. Diplômé en 1998, il entre comme stagiaire chez Yves Saint Laurent Homme. Le timing est parfait car Hedi Slimane est justement en train d’y révolutionner la mode masculine. Lorsque Slimane est transféré chez Dior Homme, le styliste entraîne son poulain avec lui. Mais le jeune Belge éprouve rapidement le besoin de créer sa propre griffe et passe à l’acte en 2004. Un pied dans le passé, un pied dans le présent, il crée un style qui lui ressemble et présente sa première collection de prêt-à-porter homme en janvier 2005. La presse est séduite. Le buzz s’installe. La collection se vend.

Teintée d’un léger accent flamand, la voix calme de Kris reflète une certaine timidité. Une fois la glace rompue, il se laisse aller à un sourire craquant et quelques confidences. Interview sur fond d’une après-midi parisienne, où le soleil joue à cache-cache avec la pluie.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir choisi le restaurant du Centre Georges Pompidou pour cette interview ?

Kris Van Assche : Paris ne serait pas pareil sans ce lieu unique. Je travaille à cinq minutes d’ici. Très vivant, ce quartier me plaît pour son charme et ses habitants. Comme j’ai grandi à la campagne, je savoure le luxe de venir dîner sur la plus grande terrasse de la ville. Le Georges offre une vue sublime. A la fois calme et spacieux, il me correspond.

Aimez-vous aussi profiter de la collection d’art, des expos et de la bibliothèque ?

J’ai honte, mais ce n’est que lorsque je voyage à l’étranger que je prends le temps de visiter des expos. L’art contemporain m’intéresse car il reflète l’air du temps, mais j’aimerais apprendre à mieux le connaître. En tant que créatif, je suis attentif à ce qui se passe aujourd’hui. Cela m’inspire pour la mise en scène de mes défilés. Quant à la littérature, je préfère passer des heures à regarder des livres de photos. J’aime la réalité : cette faculté à capturer les gens en mouvement me fascine. C’est très inspirant… En ce moment, j’apprécie  » Les Choses communes  » de Nicolas Pages (Flammarion). Un bout de phrase me parle particulièrement :  » Je me souviens… « .

Précisément, quels sont vos souvenirs d’enfance ?

Ce n’est pas facile d’être enfant unique. Je l’ai toujours ressenti comme une lourde responsabilité car tous les espoirs sont fondés sur un seul être. Mes parents sont très travailleurs et classiques, ils ont dû évoluer avec moi. Dès l’âge de 12 ans, je rêvais de devenir styliste. Conscient que j’étais différent des autres enfants, j’en ai parfois souffert. D’autant que je vivais dans un petit village, Londerzeel, où la mode n’était pas au goût du jour. A 15 ans, j’ai pu intégrer l’Académie de dessin de Malines. Tous les samedis, je prenais le train de 6 heures du matin avec joie. Pour la première fois de ma vie, je me sentais dans mon élément au sein de ce mouvement créatif.

Qui vous a transmis cette flamme créative ?

Oma, ma grand-mère. En prêtant beaucoup d’attention à sa manière de s’habiller et de dresser une table, elle m’a donné le goût de l’esthétisme. La mise en valeur est ce qui fait toute la différence dans la vie. C’est elle qui a éveillé ce petit plus en moi. Réalisant ses propres vêtements, elle m’a confectionné mon premier pantalon (rires). Elle m’a aussi transmis le sens de l’effort. Lors de mes travaux à l’Académie d’Anvers, elle m’a aidé à coudre mes créations. Toujours encourageante, Oma a tout vécu de très près, y compris mes crises d’angoisse. A 86 ans, elle met aujourd’hui un point d’honneur à assister à mes défilés. Je sais qu’elle est fière de moi. Parfois, il faut une différence de génération pour s’apprécier.

Comment avez-vous réagi à votre admission à l’Académie d’Anvers ?

J’étais très étonné parce que je ne dessinais pas bien, mais c’est ma motivation qui a convaincu le jury. C’était si indispensable à l’accomplissement de mon rêve que c’était le plus beau jour de ma vie. Dans cet univers particulier, j’ai trouvé mes amis et mon style. Tout au long de mes études, on m’a reproché que je ne me lâchais pas assez, mais c’est lié à mon éducation. On me disait que j’étais trop classique et pas assez commercial, or il m’est impossible de concevoir des vêtements non portables.

Comment s’est passée votre arrivée à Paris ?

Au début, c’était très difficile. J’étais triste car je ne parlais pas la langue et je ne connaissais personne. Ici, tout est compliqué et les Parisiens sont assez hermétiques aux étrangers. Entrer comme stagiaire chez Yves Saint Laurent représentait un tel rêve que le jeu en valait la chandelle. Brusquement, je suis passé du style underground anversois à la mousseline et aux paillettes parisiennes. Cette rencontre avec la haute couture a été la chance de ma vie. J’ai beaucoup d’admiration pour le travail des artisans, les brodeuses, les plumassiers, et désormais, je fais souvent appel à eux.

L’expérience Yves Saint Laurent et Dior vous a fait basculer dans la création masculine. En quoi Hedi Slimane vous a-t-il influencé ?

Il est vrai qu’au départ je m’attendais à dessiner des cravates et des chaussettes. Hedi Slimane m’a appris que la mode pour hommes pouvait être intéressante. Bien qu’étant moins flamboyante que la mode féminine, elle tend aujourd’hui à la rattraper. J’ai été l’assistant d’Hedi pendant six ans. Il m’a enseigné comment appliquer certaines règles classiques pour en faire quelque chose d’inventif. Déterminé et très présent, il dessinait et il décidait de tout. Même si ça a été un rêve de le suivre, j’ai décidé, à un moment donné, de voler de mes propres ailes.

Etait-ce l’occasion de donner votre propre interprétation à la mode masculine ?

Oui, d’autant plus que celle-ci est en pleine évolution. L’homme contemporain est comparable à David Beckham : il s’intéresse à la mode sans perdre pour autant sa virilité. Désireux d’exprimer sa personnalité, il ne souhaite pas ressembler à Monsieur Tout-le-monde. Il s’agit donc d’un véritable challenge pour les créateurs. Mes modèles ? Johnny Depp pour son côté intellectuel, chic, humain, masculin, sensible et imaginatif. Et puis, le père de ma grand-mère. Je ne le connais qu’à travers les histoires et les photos, mais c’était quelqu’un de  » classe « , d’éduqué, de respecté et de respectable. Si j’étais né à son époque, j’aurais été ravi de créer ses costumes.

Quelle touche aimeriez-vous apporter à l’homme aujourd’hui ?

J’adore capter l’air du temps. Du coup, je tente d’apporter une certaine élégance masculine. Celle-ci est trop vite cataloguée dans les registres sport, casual ou dandy. Or, il existe aussi un contre-mouvement pour ceux qui souhaitent être différents. Personnellement, je me définis comme un esthète qui souhaite rendre les gens plus beaux. N’est-ce pas finalement le rôle de la mode ? Etre beau, c’est afficher une élégance du c£ur. Tout est dans l’attitude, l’allure et la politesse.

Etant donné que vous empruntez souvent des éléments du passé dans vos créations, vous percevez-vous comme un nostalgique ?

Non, mais je pense qu’on ne peut pas faire du neuf sans avoir un regard sur les créations passées. La femme s’est libérée de son corset et l’homme a renoncé à son chapeau et son beau costume trois-pièces. C’est justement ce tailleur perdu qui m’inspire aujourd’hui parce qu’il exige un vrai travail de qualité. Les hommes ont une vision vieillotte du costume car ils ne veulent pas ressembler à leur grand-père. Il n’est donc pas évident de les convaincre qu’on peut réaliser du contemporain avec de l’ancien. Si ce défi a réussi, c’est parce qu’ils ont compris que c’est  » cool  » de se mettre en valeur. Ma touche perso est composée d’un mélange des genres anversois underground et couture parisienne.

Votre style est qualifié  » d’élégance nonchalante « . Cela vous correspond-il ?

Je ne suis en effet pas partisan du côté précieux et figé. Voilà pourquoi j’aime imaginer un costume avec des baskets. L’important est de préserver sa singularité et son confort. Le style qui me définit le mieux est le  » rugged elegance « , signifiant littéralement  » l’élégance mal rasée  » à la Sean Penn. J’admire cet homme pour sa classe naturelle, son caractère bien trempé et son côté engagé. Loin d’être futile, la mode est indispensable. Elle sert à exprimer sa personnalité.

Parlez-nous de votre collection automne-hiver 06-07…

Elle s’inspire de la Belle Epoque et des vieilles photos de famille, notamment celles de mon arrière-grand-père, où tout le monde se mettait sur son trente et un pour immortaliser ce moment. Ces images sont le point de départ d’un dress code composé de chemises blanches, de n£uds papillon et de cravates revers, qui imposent une certaine force. J’ai aussi puisé mon inspiration dans un livre sur les hommes-fleurs d’Arabie. Vivant dans le désert, ils se maquillent et portent des couronnes fleuries. Leur conception de la virilité est synonyme de couleur et de bonne odeur. J’adore cette notion qui remet tout en question et respecte la tradition d’une identité et d’un style. Quel contraste avec nos codes ! Fusion de traditionnel et de nouveauté, ma collection se distingue par des matières nobles, à la qualité très masculine. Cet hiver ne marque pas de ruptures avec les saisons précédentes. Les manteaux et les costumes sont mieux coupés. Les matières naturelles – laine, cachemire, coton… – ont été travaillées dans le but de capturer l’esprit des vieilles photos.

Et vous, comment aimez-vous vous habiller ?

A l’adolescence, j’ai eu une période new wave, où je cherchais mon style. Mes parents ont eu peur quand je suis entré à l’Académie d’Anvers. Alors qu’ils s’attendaient à un look délirant, ils ont été surpris par mon côté chemise, cravate et pantalon en flanelle (rires). Même si j’ai tendance à m’habiller simplement, je continue à percevoir les vêtements comme un mode d’expression extraordinaire. Je suis un créatif qui a les pieds sur terre. Réaliste, têtu, impatient et respectueux, j’estime que c’est ce que mon éducation m’a donné de plus précieux.

Kerenn Elkaïm

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