Entre arts de la table et arts appliqués s’est développée une union savoureuse et privilégiée, que créateurs, marques et boutiquiers prennent un malin plaisir à accommoder.

L’an dernier, un casting hallucinant notamment de Tom Dixon, Patricia Urquiola, Ingo Maurer, Jaime Hayon ou des frères Campana était réuni par La Jeune Rue, sorte d’utopie gastronomique en plein Paris. Mais bien que le projet mégalo soit retombé comme un soufflé, ce défilé de mégastars témoigne de la puissance des liens qui unissent le design et la fine cuisine. On ne compte plus les crossovers entre les deux domaines de création. De nos jours, les top designers ne se contentent plus d’aménager des restos à la mode – ou le font pour eux-mêmes, comme Tom Dixon à Portobello -, mais confectionnent des bûches pour Häagen-Dazs, à l’instar de Front, Doshi Levien ou Nendo. Plus proche de nous, on retrouve aussi des restaurants griffés, du Bia Mara, à Bruxelles, à The Jane Antwerp, mais également des designers invitant à leur propre table, des dîners mondains de Charles Kaisin aux lunchs du vendredi de Marina Bautier ; sans même parler des expos Madame est servie à Mons 2015, au printemps dernier, et The Taste of Change à Reciprocity Liège, en octobre prochain, toutes deux consacrées aux histoires de bouche, voire du Bistro Interieur de nos dix Designers de l’année pour la Biennale de Courtrai, l’an passé. Il y en a un peu plus, je vous le mets ?

Nous avons demandé à Sylvie Amar, designer industrielle française, spécialisée dans la gastronomie et l’horeca, son avis sur ces liens privilégiés, un sujet qui l’inspire depuis vingt ans :  » Ce sont deux mondes qui vont très bien ensemble et pour qui l’aspect fonctionnel et logistique est primordial, de même que la recherche de la forme, de l’esthétique et de l’ergonomie, avoue-t-elle. Le designer et le chef cuisinier suivent les mêmes préceptes, sauf que l’un utilise un plan technique, l’autre une fiche technique.  » L’engouement croissant du grand public pour les deux disciplines va de pair avec l’émergence de nouveaux modes de consommation et l’avènement du storytelling, cette tendance qui veut qu’on raconte une histoire pour capter l’attention du client. Des commerces hybrides, dépassant le simple cadre du shopping ou de la restauration, ont dès lors vu le jour. D’après Sylvie Amar,  » des phénomènes comme Starbucks ont été à l’origine de cet esprit, qui nous autorise à passer un moment sans se préoccuper de consommer à intervalles réguliers. L’expérience prend le pas sur l’acte d’achat. L’émotionnel prime et me fera revenir, suivant ce que j’ai vécu et ce que je peux en raconter. Cela encourage à tenter des mélanges de genres pour marquer le client.  »

En marge des chaînes ou des concept stores super branchés comme les parisiens Colette et Merci, ou le premium store belgo-luxembourgeois Smets, nous vous proposons quelques adresses – hôtel, café, boutique ou restaurant – où l’on peut se régaler, shopper sa déco ou seulement  » passer un moment « .

LIVING ROOM NÉO-CANTINE CHIC

Ouvert au printemps dernier, à Etterbeek, Living Room est une  » néo-cantine chic  » née sous l’impulsion d’un entrepreneur français,  » consultant en performance industrielle dans une autre vie « , Maxime Pain. L’endroit lorgne d’ailleurs du côté de ce qui s’est déjà fait ailleurs – et reverse une partie de ses bénéfices à des projets humanitaires, comme Merci – mais applique la recette avec ce qu’il faut de personnalité et de bon goût. De type loft, l’espace est vaste et lumineux, le feeling industriel et urbain tout en restant chaleureux, tandis que la sélection de meubles et luminaires s’avère impeccable et renouvelée deux fois par an, faisant la part belle au style scandinave, avec des marques comme Menu, ou &tradition (ah, ces sofas jaunes signés Jacobsen !) En bref, l’enseigne s’impose dans le quartier européen comme un nouveau spot confortable et branché, où se retrouver, bruncher ou bosser en profitant des délices d’une carte slowfood où le salé n’a rien à envier au sucré.

Living Room Brussels, 8, place Jean Rey, à 1040 Bruxelles. www.livingroomdesign.eu

HEI TWO FOR TEA

En avril de l’année dernière, Simon et Bénédicte, 26 ans à l’époque, concrétisent un projet notamment mûri lors d’un voyage en Scandinavie, où ils ont visité des commerces aux activités croisées. L’un étant plutôt branché horeca, l’autre déco, ils décident d’ouvrir leur propre concept, mixant l’amour des objets de l’un avec un salon de thé. Côté boutique, l’inspiration se veut résolument nordique : House Doctor, Bloomingville, Ferm Living… Bois blond, accessoires et textiles, de quoi donner une touche sympa à son intérieur sans se ruiner. Dans un coin, ils aménagent un espace tea-room, qu’ils décident ensuite de laisser en stand-by prolongé, sans pour autant renoncer à la vente de thé – ils sont même les seuls importateurs belges de la marque danoise Nu Te. On leur souhaite de pouvoir relancer leurs infusions dans les plus brefs délais, à l’étage de leur magasin qui n’attend qu’à être aménagé.

Hei Shop and Tea, 168, chaussée de Charleroi, à 1050 Bruxelles. www.heishopandtea.be

ARTHUR’S HOME COMME À LA MAISON

En pénétrant dans l’antre d’Arthur, on se demande si l’on est encore place du Luxembourg, célèbre pour ses bars dépersonnalisés qui attendent l’afterwork pour s’animer. L’atmosphère se veut plutôt familiale,  » comme à la maison « , de délicieuses odeurs s’échappent de la cuisine ouverte et les étalages débordent d’articles très variés : de la déco (la gamme J-Line, du textile, de la maroquinerie et de la vaisselle), mais aussi un minimarché vintage dans le fond, près de l’incroyable fontaine de coquillage représentant Poséidon, un  » bar à bas  » pour les dames et des tas de bijoux fantaisie et bibelots à offrir. Pour ne rien gâcher, la maîtresse des lieux a vingt ans de métier dans la restauration et ça se goûte à ses soupes et quiches à tomber par terre, sans même parler des desserts, placés en embuscade sur le comptoir pour faire de l’oeil à quiconque tenterait de régler l’addition sans leur avoir fait honneur.

Arthur’s Home, 26, rue de Trèves, à 1050 Bruxelles. www.arthurs-home.be

LA BOULINIÈRE RESTO, DODO, DÉCO

Après avoir vendu leur restaurant, Sabine et Bouli ont voulu associer leurs deux passions, gastronomie et décoration, tout en tirant parti de leur jolie fermette située dans la petite localité tranquille d’Arimont, sur les hauteurs de Malmédy. Ils décident ainsi de transformer les lieux, d’aménager des chambres d’hôtes, au-dessus desquelles un magasin de déco est accessible via un escalier en colimaçon. Leur nouveau credo ?  » Resto, dodo, déco.  » Le mobilier et les accessoires vendus sont disséminés partout dans les chambres et le restaurant, qui sert une goûteuse cuisine du terroir dans une salle aux tables et chaises dépareillées. Aux petits soins avec ses invités, Sabine ne rechigne pas à ouvrir sa boutique après le service et l’établissement jouit d’une belle réputation dans la région.  » Au début, nous n’osions pas parler de notre concept aux fournisseurs, nous a-t-elle confié, nous n’évoquions que la boutique. Aujourd’hui, ce n’est plus un secret, ils trouvent même l’idée géniale.  »

La Boulinière, 9, chemin du château, à 4960 Malmédy. www.labouliniere.be

BALBOA CAFÉ PARTI POUR RESTER

Nicolas et Shaminah avaient d’abord dans l’idée de reprendre la boucherie Crabbé, un établissement de quartier réputé, récemment fermé. Le projet n’aboutira pas, mais leur dossier plaira à la commune de Saint-Gilles, au point de se voir proposer d’investir une autre surface commerciale inoccupée. Exit la boucherie, place au Balboa Café, resto-bar où  » tout est à vendre  » ; à boire et à manger mais aussi la déco et le mobilier – à l’exception de la fresque signée Jean-Luc Moerman, un ami du couple. En cuisine, Nico alterne le belgo-belge et l’exotique ; point de vue aménagement, Shaminah mise à la fois sur les collaborations (comme Lupinette et Marion) ou de jeunes designers (voir les lampes Gobo), mais chine aussi mobilier, luminaires et accessoires vintage, sans cacher son amour des dorures et des plantes vertes.  » Le bail est censé s’arrêter en 2016 mais il y a de grandes chances qu’on puisse le prolonger « , confie Nicolas. C’est tout ce que l’on espère pour ce resto-brocante-galerie (qui accueille aussi concerts et DJ-sets !).

Balboa Café, 1, avenue du Parc, à 1060 Bruxelles.

HOUSE O’ LUV HISTOIRE D’AMOUR

A la tête de la House O’Luv, un couple d’architectes d’intérieur, Sandra et Gary Weberman, auquel s’est joint un ami d’enfance, Benjamin Attar. Cette  » maison de l’amour « , c’est la demeure que les Weberman ont achetée et rénovée il y a quelques années dans la banlieue anversoise.  » Son nom fut trouvé par Benjamin, explique Gary, parce que nous représentons une sorte d’archétype du couple idéal et du foyer accueillant ; nous avons toujours été ceux qui invitent, organisent les fêtes.  » Tout naturellement, quand le trio décide de se lancer dans la vente de design, ils misent sur leur sens de la convivialité et organisent des apéros où leurs hôtes peuvent admirer certaines pièces choisies parmi les collections en vente sur le site, faisant de leur maison un outil au service du webshop plutôt qu’un lieu de vente classique.  » On s’adresse avant tout aux connaisseurs et aux professionnels, précise Gary, nous privilégions les matériaux nobles et les produits qui ont une histoire à raconter  » et l’on confirme ses dires, à la vue d’un catalogue qui fait littéralement saliver.

House O’ Luv, www.houseoluv.com

PAR MATHIEU NGUYEN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content