Chef surdoué de la cuisine made in USA, icône de l’American way of life, Charlie Trotter s’est lancé dans la cuisine sans cuisson. Il publie un livre au nom évocateur :  » Raw  » ( » Cru « ). Weekend l’a rencontré.

Recettes en page 24.

Carnet d’adresses en page 96.

« Savez-vous ce qui se passait dans les cuisines, il y a quinze ou vingt ans, lorsqu’on recevait la commande d’un client végétarien ? On retirait de l’assiette le morceau de saumon ou d’agneau supposé s’y trouver, on ajoutait quelques légumes et le tour était joué. Aujourd’hui, une quinzaine de top chefs américains sont à même de vous proposer de véritables plats végétariens, bien conçus, équilibrés. Dans cinq ou dix ans, je vous garantis qu’il en sera de même avec la nourriture crue.  » Dans son restaurant éponyme, à Chicago, Charlie Trotter est un des maîtres incontestés de la gastronomie contemporaine. Visage d’enfant habillé de lunettes d’écolier, il peut décocher les sourires les plus charmants. Mais détrompez-vous, celui qui a servi de modèle au chef du film  » My Best Friend’s Wedding  » ( » Le Mariage de mon meilleur ami « , avec Julia Roberts en Juliane Potter, critique gastronomique) est intraitable pour ceux qui travaillent avec lui. Véritable prototype de l’entrepreneur américain à succès, il a une vision très claire de son rôle dans la société. En un mot, il fait ce qu’il juge bon de faire, selon ses propres critères.  » Je ne cuisine pas pour les autres, déclare-t-il tout de go. Ce qui m’importe c’est d’aimer ce que je fais. Je suis obsédé par la pureté, la délicatesse. Je veux être esthétiquement agréable pour le palais… Nous avons 95 fournisseurs différents, qui cultivent, qui pêchent, qui élèvent spécifiquement pour nous les meilleurs produits. Nous en avons un pour les coquillages dans l’Etat de Washington, un autre pour des noisettes organiques ailleurs, un autre encore qui livre chez nous les jeunes pousses de légumes, cultivés organiquement, comme tout ce qui entre dans ma cuisine.  »

Auteur d’une série impressionnante de livres de cuisine, dont l’un sur le gibier et un autre sur la viande, Trotter a cependant assis une partie de sa réputation sur les légumes.  » J’aime les légumes, martèle-t-il. La viande, les poissons se rangent grosso modo dans la même famille de textures. Ce n’est pas le cas pour les légumes ! La palette est large et, pour cette raison, ils sont bien plus intéressants à cuisiner.  »

C’est sans doute cette réputation d’amoureux de la chose végétale qui a poussé Roxanne et Michael Klein, des clients réguliers de Trotter, à lui lancer un défi : celui d’élever la nourriture crue au plus haut niveau gastronomique, pour en arriver à publier  » Raw  » ( » Cru  » en français), un ouvrage qui fera référence. Chef et propriétaire du restaurant Klein à Larkspur, au nord de San Francisco, Roxanne Klein fait partie des promoteurs les plus en pointe de ce type d’alimentation.  » Du point de vue de la santé, en consommant de la nourriture appelée crue ou vivante, on préserve les enzymes, explique-t-elle dans l’introduction de  » Raw « . Ceux-ci vous aident à digérer la nourriture et ils agissent comme catalyseur dans chaque réaction métabolique de notre organisme. Sans eux, il n’y a pas de division cellulaire possible, de production d’énergie, d’activité cérébrale. Sans les enzymes, aucune vitamine, aucune hormone ne peut faire son travail.  »

Pour Roxanne Klein, le problème réside notamment dans la cuisson.  » Chaque aliment contient en lui le cocktail parfait d’enzymes qui permettent sa digestion, poursuit-elle. Mais chauffer les aliments au-delà de 43°C marque le début de la destruction de leurs enzymes naturels. En conséquence, notre corps, qui ingère ces aliments cuits, est contraint à produire ses propres enzymes, ce qu’il n’est pas à même de faire avec la même perfection. C’est ainsi qu’apparaissent des graisses, des protéines, des féculents partiellement digérés qui encrassent nos intestins et nos artères.  »

Trotter, lui, donne un exemple concret :  » Prenez deux noisettes. Vous grillez l’une des deux de manière classique. L’autre, vous la faites d’abord tremper une nuit dans de l’eau, de manière à amorcer sa germination. Ensuite, vous la mettez 12 heures à déshydrater. Je puis vous garantir qu’en dégustation, personne ne verra la différence. Mais, biologiquement, tout change. Tout d’abord parce que le trempage permet de libérer des enzymes qui sont autrement bloqués dans le germe endormi. Ensuite parce que vous ne les détruisez pas sous l’effet des fortes températures.  »

Rapidement, les propriétés diététiques de l’alimentation crue débouchent sur ses effets bénéfiques sur la santé.  » Je n’ai pas envie d’entrer dans ce débat, d’ailleurs très controversé aux Etats-Unis, clame Trotter. Tout d’abord parce que ce que nous proposons au restaurant est déjà sain, cultivé organiquement. Et, forcément, nous mettons un point d’honneur à équilibrer les menus… Mais un chef doit pouvoir saisir les opportunités qui se présentent à lui. La nourriture crue m’a intéressé comme n’importe quelle innovation technologique. Les Klein m’ont poussé à étudier les légumes, à imaginer comment les rendre plus digestes, plus agréables à manger, à en faire de grands plats. Une racine ou un tubercule crus ne sont pas vraiment très appétissants et, plus encore, automatiquement digestes. Mais vous pouvez décider de les tailler en fines tranches, les faire mariner. Les seules  » cuissons  » envisagées sont des déshydratations, réalisées dans des appareils domestiques, destinés normalement à sécher des fruits et légumes. Cette lente déshydratation permet de créer de nouvelles textures et de concentrer les goûts. Vous pouvez aussi centrifuger pour obtenir du liquide. Et ensuite construire votre assiette.  »

C’est ici qu’entre en scène le savoir-faire du chef.  » Cuisiner c’est connecter des éléments entre eux, créer une relation personnelle entre vous et les aliments, souligne Trotter. Ce qui m’intéresse, c’est d’amener un plat à table, de m’entendre dire que c’est bon et de signaler ensuite au passage que c’est de la nourriture crue. En fait, j’ai pu ajouter de nouvelles possibilités à ma palette culinaire, sans renoncer aux autres. Car je ne pourrais pas me passer des odeurs de la cuisson, comme quand vous poêlez une pièce de viande dans de la matière grasse.  »

Est-il lui-même devenu un adepte de la nourriture crue ?  » Durant les mois où Roxanne Klein est venue dans mon restaurant et m’a demandé, comme cliente, de concevoir des plats, je me suis intéressé de près à cette cuisine, confie Trotter. Je l’ai goûtée lors de la mise en place et pendant le service. Mais, en plus, j’ai suivi ce régime très méthodiquement durant trois semaines environ. Et j’ai pu constater qu’on se sent plus alerte, qu’on perd du poids, qu’on a besoin de moins de sommeil, que la peau devient plus belle, plus élastique. Mais n’allez pas me faire dire que je suis végétarien ou  » crudiste « . Aujourd’hui j’imagine manger cru de temps à autre, un repas, une journée entière. Mais je suis convaincu qu’une telle alimentation, suivie pendant une durée de une à deux semaines, purge, purifie votre organisme.  »

Si vous passez la porte du restaurant de Charlie Trotter, ne vous attendez pas à ce qu’on vous propose illico un  » menu cru « .  » Mais qu’un client se présente et demande à manger cru durant tout son repas ne me pose aucun problème, avertit le chef. Toutes les mises en place sont faites. Nous sommes à même d’adapter nos propositions instantanément, qu’un des convives d’une table souhaite manger végétarien ou cru, qu’il soit allergique aux coquillages, qu’il veuille un repas tout poisson ou tout viande.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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