C’est le pays des grands espaces déserts et préservés. Le royaume des fameux Big Five – lions, léopards, éléphants, buffles, rhinocéros. Et aussi le paradis des oiseaux. Le Botswana rappelle les fabuleux albums de notre enfance.

Les eaux de l’Okavango scintillent. Le grand fleuve d’Afrique australe finit ici sa course, dans les sables du désert de Kalahari. Nous sommes à l’Eagle Island Camp, l’un des plus beaux lodges du Botswana.

 » Je m’entends parfois dire : j’ai réalisé mon rêve de gosse « , dit Johann, le patron des lieux. Devant nos yeux s’étend un panorama fabuleux. Couvrant de ses bras 15 000 hectares d’îlots et de lagons verdoyants comme des rizières, le delta intérieur du fleuve est le plus vaste au monde. Ici, presque pas d’êtres humains : le Botswana, pays un peu plus grand que la France, compte moins de 2 millions d’habitants. La terre et l’eau appartiennent ici à la faune, et quelle faune !

Pour aborder les savanes inondées, rien ne vaut le mokoro, la pirogue traditionnelle des pêcheurs. Sous le soleil rasant du petit matin, des milliers de nénuphars s’ouvrent. De drôles d’oiseaux gambadent de feuille en feuille, ce sont des Jesus birds. Dans un bras de rivière, la barque s’immobilise.  » Hippos « , chuchote Jacob, pointant des remous à quelques mètres de là. Une par une, de dos, de grosses têtes sortent de l’eau, soufflant l’air comme des baleines. Huit, neuf paires d’yeux se braquent sur les visiteurs, provoquant un léger émoi : les hippopotames sont les animaux les plus meurtriers d’Afrique. Empiéter sur leur territoire, c’est risquer un claquement de mâchoires capable de couper en deux le fragile mokoro, avec ses passagers.

Le talkie-walkie grésille : des lions ont été aperçus droit devant, dans la savane. Le mokoro rejoint vite la rive et la balade se poursuit en Jeep, qui cahote dans le bush, traversant des bras de rivière. Soudain, ils sont là. Trois lions dorés avancent dans les herbes vertes. L’un d’eux se retourne, regarde les intrus. Regard un peu triste, sans âge, venu d’un temps ancien et dont chaque voyageur a pourtant l’impression étrange de se souvenir. Lentement, la Jeep repart sur leurs traces, puis s’arrête soudain : d’un arbre couché les rois de la savane sautent un par un devant la voiture, à quelques mètres de nos c£urs battants. Ils sont onze, trois lionnes et leurs rejetons. Comme des chats, ils se groupent sur un tertre ombragé, se frottent, lancent un coup de patte joueur. Les félins sont-ils réellement dangereux ? En guise de réponse, Jacob raconte une histoire.  » Un jour, en allant relever nos pièges, mon grand-père et moi sommes tombés sur un lion qui nous avait précédés. Mon grand-père s’est figé, le javelot pointé. Le lion a chargé, s’est approché à 5 mètres en rugissant. Nous sommes restés parfaitement immobiles. Le lion est parti. Il nous aurait attaqués si nous avions fait mine de fuir. « 

Nous aurons vite l’occasion de mettre la leçon à profit : sur le chemin du retour, un éléphant broute tranquillement dans la savane. Sa silhouette se découpe comme en rêve sur fond d’acacias et de prairie. Relevant la tête en entendant la voiture approcher, il agite nerveusement ses oreilles, puis s’approche au petit trot. Panique à bord. Jacob fait taire les passagers excités. L’éléphant ralentit et s’éloigne.  » C’était un avertissement, explique le guide. Une manière de dire  » Partez ! « . Nos voix le dérangent.  » Dans la savane, le silence peut sauver la vie.

Des hommes, pourtant, vivent tout près, dans un village ouvert sur le bush. Derrière une barrière de joncs, les huttes au toit de chaume sont disséminées entre les pistes de sable blond. Les murs de torchis luisent, sertis d’étranges joyaux argentés : les canettes de bière et de Coca-Cola trouvent ici une dernière vie. Autour, ni palissades ni jardin. Pas de cultures potagères, pas d’électricité non plus : une femme accroupie attise un feu, des enfants courent pieds nus. Ici, l’on vit de pêche et de cueillette, comme il y a mille ans.

De retour au lodge, un brunch réconfortant nous attend. Dans ce bout du monde africain, chacun a le même espoir : voir enfin les Big Five, les cinq grands mammifères du bush. Le soir, autour du feu de camp, un verre de brandy à la main, on refait le tour du monde des safaris. Après le Kenya, le parc Kruger, en Afrique du Sud, les pas des vrais aventuriers de la savane mènent ici, assure un Australien : le Botswana rassemble la plus importante concentration de faune sauvage du continent. Et le plus faible contingent de touristes aussi : le pays ne disposant que d’une soixantaine de lodges, à des prix très élevés, la clientèle se limite aux passionnés. Dans l’air chargé de moustiques, la nuit vibre des cris des chauves-souris. Chacun regagne sa tente aussi richement meublée que pour une scène d’ Out of Africa, savourant le privilège d’être au c£ur du mythe.

Quittant la zone du delta, l’avion-taxi file vers l’est, en direction de la savane sèche de Chobe. Le paysage est plat, désert à perte de vue, hérissé de termitières et parsemé de petits points d’eau. Escale près de la rivière Khwai, à la rencontre des phacochères et des calaos, ces oiseaux au bec semblable à celui d’un toucan que Le Roi lion a rendu célèbres. Une vraie volière, cette région. La brousse est traversée par des martins-pêcheurs au plumage bleu vif et des bandes de pintades se dandinant. Sur les arbres dénudés, des vautours menacent, signe qu’une chasse vient d’avoir lieu tout près. La savane semble appartenir à la gent ailée. De nombreux félins s’y cachent pourtant – jaguars et panthères, tapis dans les arbres et les hautes herbes.

Des zèbres. Par centaines, ils galopent sans troubler les girafes. Des antilopes aussi, par milliers – les minuscules steinbocks, dont les lions ne font qu’une bouchée, et surtout les gracieux impalas, qu’on surnomme  » McDonald’s, the fastest food in the bush « . Détalant à 60 kilomètres à l’heure en deux secondes, elles échappent le plus souvent aux lions. Leurs vrais maîtres à Chobe, ce sont les lycaons : ces chiens sauvages (en voie d’extinction) sont capables de dépecer une antilope dans sa course tant leurs dents sont acérées. Etranges histoires, façonnées par le sang, le meurtre. Ici, les règles sont simples et brutales : manger ou être mangé. La vie reste ici affaire de survie, et le voyageur y sent vibrer l’écho de ses origines.

Retour à Maun – la civilisation du bush. Une centaine de huttes aux toits de tôle, des pistes en guise de rues, un petit aéroport brûlé de soleil et son bar. De jeunes pilotes aux allures d’aventuriers boivent des bières, les manches retroussées sur leurs bras bronzés.  » Je reste six mois, ensuite j’irai ailleurs. En Afrique du Sud, ou en Nouvelle-Zélande, je verrai.  » Paroles brutes, simples et émouvantes comme la savane.

Nathalie Chahine Photos : David Lefranc

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