Le design des flacons participe, lui aussi, de la séduction des parfums. Rencontre avec Franzrudolf Lehert, un expert qui vous en dévoile tous les secrets.

Ingénieur industriel de formation, il a déposé le brevet d’un siège d’avion, conçu le pot de la crème best-seller de Nivea… Franzrudolf Lenhert se consacre désormais principalement au marketing créatif des parfums au sein de Cosmopolitan Cosmetics (société qui fait partie du groupe Wella, un des leaders mondiaux de la parfumerie et des soins cosmétiques). Dans son catalogue, Cosmopolitan Cosmetics propose, entre autres, les jus de marques aussi prestigieuses que Alfred Dunhill, Anna Sui, Gucci, Rochas et Trussardi; aussi fun que Bruno Banani, Gabriela Sabatini, Mexx et Priscilla Presley ou aussi classiques que 4711 et Yardley.

Le design des flacons est au coeur de la stratégie des marques. Car il contribue, indéniablement, à consacrer les parfums sur le marché. Et Franzrudolf Lenhert en connaît tous les secrets. Rencontre avec un  » vice-president creative « , dont l’expertise est à l’origine du succès de nombreux jus.

Weekend Le Vif/L’Express: Vous êtes un designer investi d’une fonction de  » marketeer » . Cela vous donne-t-il un avantage?

Franzrudolf Lenhert: Il y a vingt ans, le département marketing était aussi responsable des aspects financiers, alors qu’aujourd’hui il s’occupe plus exclusivement de décisions d’ordre esthétique portant sur la fragrance, le nom, le design et la publicité. Un responsable marketing doit pouvoir concevoir un produit de qualité avec un budget limité et dans les délais les plus courts. Etant ingénieur industriel de formation, je sais parfaitement comment aboutir à ce type de produit et quelle somme de temps et d’argent il convient d’y investir. Cela m’aide à prendre des décisions plus efficaces. Il m’arrive de temps en temps de travailler durant les week-ends sur des projets qui sont ensuite mis en compétition avec ceux de designers externes. Mais je laisse, bien entendu, la décision finale à d’autres: on ne peut pas être à la fois juge et partie. Evidemment, je suis très content si le choix se porte sur le projet que j’ai mis en oeuvre, mais il est hors de question qu’un produit soit lancé uniquement parce que c’est moi qui l’ai développé. Il est absolument impératif que ce soit le meilleur qui l’emporte car le marché est impitoyable. Mais cela me plaît assez et tant qu’existera cette forme de compétition, je continuerai à concevoir des projets.

Comment se passe le processus de création?

Parfois, en travaillant sur un projet, vous pensez à une forme particulière qui s’avère finalement correspondre parfaitement à une marque précise. Chaque label a une identité propre. Une forme ultraféminine convient davantage à Ghost. Anna Sui exige plutôt un produit « mode », rock n’roll ou punk. Tandis que MontBlanc exige un concept plus aérodynamique, avec des contrastes en noir et blanc, des lignes masculines et des rondeurs féminines. Le plus beau compliment que l’on puisse me faire est de dire que le flacon est l’incarnation parfaite de la marque. Il est toujours possible de travailler selon un schéma préétabli, mais cela me paraît plus difficile. Si, dans un concept, vous voulez tenir compte de toutes les facettes d’une marque, vous risquez de noyer l’essentiel: un flacon ne peut pas tout synthétiser à lui seul. Personnellement, je crois aux alternatives: on ne s’impose qu’avec un bon produit, et cela ne peut se faire qu’en travaillant par comparaison. Voilà pourquoi j’essaie toujours de proposer cinq choix possibles. L’un d’eux finit par sortir du lot; cela signifie non pas que les autres sont mauvais mais simplement que celui-là correspond en tous points au concept. Et c’est bien là l’objectif ultime. Peu à peu se construit une sorte de répertoire dans lequel il devient possible de puiser lors de la conception d’autres projets. Le bouchon pour Dunhill Extreme, par exemple, existait depuis six ans déjà. A l’origine, il était destiné à une marque de sport automobile: vous ne pouvez pas l’oublier, il est rapide et a un look sportif. Je l’ai fignolé, lui ai donné un aspect gadget de telle sorte qu’il colle parfaitement à Dunhill.

Qu’est-ce qui détermine la force de frappe d’un parfum?

Autrefois, un parfum se devait d’être surtout reconnaissable. Aujourd’hui, en plus d’être beau et fonctionnel, il doit refléter l’identité de la marque et pouvoir absolument attirer l’attention. C’est une sorte de  » micro-advertiser « . Il nous incombe d’élargir les frontières de la marque mais aussi d’en communiquer une certaine vision. Dans cette optique, il est essentiel de faire le moins de compromis possible: plus vous en faites, plus vous courez le risque d’un échec. Par exemple, lorsque le client s’obstine dans un concept personnel alors qu’il ne connaît rien aux parfums et au marché, ou lorsque vous avez affaire à un designer qui fait preuve de trop d’ego ou à un  » marketeer  » qui envisage le projet comme tremplin pour sa carrière. Plus il y a d’intervenants, plus vous risquez le gâchis. Par ailleurs, je pense qu’un design ne doit jamais être totalement parfait. Savez-vous ce qui différencie un véritable tapis maya d’une contrefaçon? La petite erreur que comportera toujours l’original. Les Mayas croyaient que seul Dieu est parfait. Selon moi, ce sont les petites imperfections qui rendent quelqu’un ou quelque chose intéressant. En design, il faut parfois pouvoir transcender les choix esthétiques trop évidents. Il m’a souvent été demandé pourquoi le bouchon de Dunhill Extreme était ouvert puisqu’un bouchon est normalement destiné à être fermé. Je réponds que c’était une manière de mieux faire circuler l’énergie. Il est nécessaire de toujours prévoir le petit quelque chose qui intrigue ou suscite une émotion, dans laquelle les gens puissent se retrouver. Mais la fragrance reste, bien entendu, l’élément essentiel: les gens n’achètent un parfum que si la senteur leur plaît.

Quelle est la part consacrée au flacon dans le coût total d’un parfum?

Cela dépend du projet, mais en règle générale, elle équivaut à 20 ou 30 % du prix total. Certains prétendent que les parfums coûtent trop cher, que l’on paie beaucoup pour ce qui s’avère finalement n’être que du vent ou une image, et qu’il serait, tout comptes fait, préférable d’acheter un parfum dans un supermarché. C’est faux. Nous travaillons avec des produits de base de qualité supérieure tant au niveau des ingrédients et de l’alcool utilisés pour les senteurs, que des matériaux intervenant dans l’emballage. Cela coûte forcément plus cher; les prix sont donc relativement raisonnables pour des produits d’une telle qualité. D’autres secteurs, comme la mode, les bijoux et les montres, s’octroient des marges bien plus confortables. Il ne faut pas perdre de vue que le travail est complexe et qu’il comporte toujours une grande part de risque.

Quel est le secret d’un succès international?

Le succès n’est jamais prévisible. On peut seulement espérer et faire confiance à son instinct, mais cela n’est en rien une garantie. Même une étude de marché approfondie ne constitue pas un gage de réussite: il existe suffisamment d’exemples de parfums dont on était persuadé du succès mais qui ont totalement échoué sur le marché. Il arrive aussi que le contraire se produise: Cool Water de Davidoff a connu un succès mondial inattendu. Mais il n’est certainement pas raisonnable d’analyser les derniers best-sellers et d’en reprendre des éléments dans de nouveaux projets. Cela équivaudrait tout bonnement à copier et me paraît assez lamentable. Il est impératif de réinventer à chaque fois.

Propos recueillis par Sofie Albrecht

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