Les mômes d’aujourd’hui investissent les expos, lisent des revues artistiques, se passionnent pour la peinture, la sculpture… Pour peu, ils en viendraient à pousser leurs parents à plus de culture. Il est loin le temps des musées poussiéreux et ennuyeux.

La lumière est tamisée, un chant sacré chypriote plante le décor. Aux murs, les icônes de Mapping Cyprus : Crusaders, Traders and Explorers, l’événement estival de Bozar à Bruxelles, incitent au respect. Dans un coin, dix fillettes et gamins sont assis par terre autour d’une guide.  » C’est une famille !  »  » Non, ce sont des dieux…  »  » Moi, je pense que ce sont les apôtres.  » Le débat fait rage, en mode chuchotements, pour répondre à l’animatrice qui demande aux gosses de décrire l’image qui s’offre à eux. Ensuite, chacun à leur tour, les petits sont invités à se lever pour mimer la posture d’un des personnages de la composition. Gloussement. Étonnement, l’attention reste néanmoins longtemps focalisée sur la saynète biblique. Les stagiaires reçoivent alors un carnet de croquis. Leur mission : dessiner des vêtements repérés sur les tableaux. Chacun choisit un modèle, se met à plat ventre et fait courir ses crayons de couleur sur le papier blanc.  » Notre volonté est que les participants travaillent dans les salles pour être confrontés aux £uvres mais aussi pour désacraliser l’endroit, le rendre plus abordable puisqu’on peut y pratiquer plein d’activités « , précise Laurence Ejzyn, coordinatrice des projets familles. Ensuite, les dessinateurs en herbe, qui sont inscrits à un stage d’une semaine, quitteront l’expo pour rejoindre le Bozar Creative Lab – un atelier sur trois niveaux rénové cette année – pour laisser libre cours à leur imagination, loin des cimaises cette fois.  » On veut avant tout leur faire tester diverses techniques, leur montrer que ce qui compte, c’est d’essayer. Toutes leurs réalisations ne deviendront pas des £uvres mais elles alimenteront leur expérience « , insiste Laurence Ejzyn. Dans un même esprit ludique, Bozar propose encore jusqu’au 9 septembre prochain, dans le cadre de l’expo sur Chypre, un Family Kit, soit un sac à dos qui comprend un guide et du matériel pour permettre aux familles de visiter de façon plus dynamique et de bricoler sur le parcours.

Très actif en matière d’initiation à l’art, Bozar est cependant loin d’être seul à prendre les enfants par la main sur les chemins de la création. Brochures, ateliers, guides spécifiques… : dans la plupart des institutions du pays, des initiatives sont lancées pour démystifier ces espaces d’exposition et en faire de véritables lieux d’apprentissage et de jeu. Ainsi, par exemple, le musée des beaux-arts de Charleroi travaille depuis 2003 sur des événements à destination des juniors. En 2006, une plasticienne avait ainsi conçu des mini-terrils arty à toucher, déplacer, contempler par les plus jeunes. En 2010, le Belge Charley Case avait à son tour imaginé Supermondo, une installation sous forme de  » tapis  » bleu ponctué  » d’icebergs  » sur lesquels les bambins pouvaient grimper… Progressivement, le service éducatif met ainsi sur pied, au fil des ans, une mini-collection personnelle pour les mioches. Début de l’été, les photographes Ninah Fernac et Laurence Vray ont à leur tour présenté ici Il y a de la magie dans l’air scénographiée à l’échelle XXS – hauteur d’accrochage, cabanes jalonnant le circuit… Certaines photos ont désormais rejoint les icebergs et les terrils dans les réserves.  » Peut-être qu’un jour, nous aurons un espace permanent dédié aux jeunes visiteurs mais nous voulons absolument parler aussi aux adultes… il n’est pas question de faire une collection de tapis d’éveil améliorés « , sourit-on aux beaux-arts.

GRIBOUILLAGE ADMIS

Que les mômes soient devenus progressivement les visiteurs VIP des institutions culturelles témoigne d’une évolution des mentalités. Lancée il y a tout juste deux décennies (lire en page 30), la revue Dada était à l’époque une des seules à tenter, en France, de leur donner des notions artistiques.  » À part le Centre Pompidou et la réunion des musées nationaux, il n’y avait au début des années 90 que peu de choses organisées pour la jeunesse, se souvient Antoine Ullmann, l’éditeur. Aujourd’hui, il y a un véritable engouement. Nous avons désormais 10 000 lecteurs.  » Ce changement est aussi constaté par Didier Baraud, directeur chez Palette…, fondé en 2004 et qui sort chaque année une vingtaine de titres sur l’art expliqué aux juniors.  » Ce développement est la conjonction d’une série d’éléments. Les gens hésitent moins à faire des visites avec des tout-petits, il y a une démocratisation des arts plastiques. La presse parle davantage des événements culturels, notamment des grandes rétrospectives parisiennes qui drainent un monde fou. Cela génère une dynamique.  » Au Centre Pompidou – précurseur puisque, depuis son inauguration en 1977, un service et une galerie sont consacrés aux enfants -, c’est plus de 5 000 familles qui ont participé, en 2011, aux ateliers programmés. Un succès que Patrice Chazottes, chef du service de l’action éducative, relie à l’avènement de la société de l’information.  » Il y a un enjeu pédagogique énorme car on a des gamins connectés de plus en plus tôt au monde, grâce aux nouvelles technologies. Ils ont une envie intarissable d’en savoir plus… Nous devons alimenter ce besoin et surtout éviter qu’ils zappent trop vite en leur proposant de se poser, de réaliser quelque chose plastiquement.  » Et ce, dès la plus tendre enfance…  » Moins ils sont âgés, plus ils sont ouverts car leur regard n’est pas encore trop formaté par la télévision, les médias. Ils peuvent apprécier autant Léonard de Vinci que Mondrian « , constate Didier Baraud de Palette…

DÉFIS ARTY

Mais les chantiers ne manquent toutefois pas pour rendre ces disciplines encore plus accessibles à tout un chacun. Et cela passe bien sûr par l’enseignement.  » Il faudrait qu’il y ait plus de ponts entre l’école et la culture « , argumente Tine Van Goethem, coordinatrice de Bozar Studios. Au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, en ce qui concerne le niveau primaire,  » l’intérêt porté aux matières artistiques dépend de la motivation du Pouvoir organisateur qui est libre d’organiser ou non ces cours. Certains en font une priorité, d’autres préférant mettre l’accent sur les matières dites de base « , explique-t-on au cabinet de la ministre de l’Enseignement Marie-Dominique Simonet. En secondaire, un cours par semaine d’éducation en alternance à la musique et aux arts plastiques est prévu les deux premières années. La Fédération dispose également d’une cellule Culture-Enseignement (www.culture-enseignement.cfwb.be) qui coordonne des événements spécifiques tels que le Prix des lycéens du cinéma… mais pas énormément d’actions en matière de peinture, sculpture, etc. En France, la situation est déjà tout autre. Des programmes centrés sur les pratiques artistiques sont inscrits dès l’âge de la maternelle. Depuis 2010, les cours incluent également l’histoire des arts dès ce cycle. De quoi inspirer notre pays.

Le plus gros problème reste néanmoins celui des ados.  » Les plus petits ont ces aspects créatifs en eux, ils écoutent toutes les musiques, mettent des couleurs vives aux murs de leur chambre… Les ados ont plus de pré-jugés, ils portent un regard plus orienté sur le monde… Il faudrait qu’ils puissent retrouver cette facilité originelle d’appréhender l’art « , relève Tine Van Goethem de Bozar Studios. Face à ce constat, le Centre Pompidou, une fois encore novateur, a ouvert en 2010 le Studio 13/16, dessiné par le designer français Mathieu Lehanneur. Cet atelier accueille les 13 à 16 ans, en dehors des heures scolaires, pour des rencontres, des workshops et même des soirées festives. L’idée étant que les jeunes se retrouvent entre eux,  » tranquilles « , autour des valeurs que défend le Centre. En 2011, 17 587 visiteurs dont 12 000 adolescents ont participé aux activités du 13/16, soit environ 100 personnes par jour d’ouverture, ce qui démontre l’ampleur de la demande.

LA FAUTE AUX PARENTS

La réelle difficulté ne serait donc pas d’intéresser les kids mais bien leur aînés, ados mais aussi… adultes !  » Les parents ont parfois l’impression qu’un sujet est trop compliqué pour leurs gosses parce qu’ils ne le maîtrisent tout simplement pas eux-mêmes, estime Antoine Ullmann de Dada. Parfois, dans des salons, un enfant s’arrête à notre stand pour feuilleter une revue et son père ou sa mère le rappelle en lui disant : « Ce n’est pas de ton âge ! » Il y a une sorte d’autocensure des aînés.  » L’éditeur de Palette…, Didier Baraud, partage cet avis :  » Ce sont les parents qu’il faut décomplexer !  » Pour Laurence Ejzyn de Bozar,  » les gens ont parfois peur de franchir le seuil d’un bâtiment culturel et les inviter à le faire en famille permet de rendre la démarche plus naturelle « . C’est pourquoi le palais bruxellois organise chaque saison des Family Days où petits et grands découvrent ensemble diverses techniques. Le service éducatif initiera l’an prochain, dans le Bozar Creative Lab, un espace où les adultes pourront entrer en action lors de chaque visite d’exposition.  » Notre volonté est de retrouver la créativité en chacun de nous.  » Il n’y aurait plus qu’à suivre la voie tracée par nos cadets…

PAR FANNY BOUVRY

 » C’est chouette l’art parce qu’il faut tout faire avec les mains et quand on a fini, c’est joli.  » Natasha, 7 ans.

 » Un artiste fait des tableaux exceptionnels.  » Foucauld, 9 ans.

 » Une £uvre d’art fait passer des émotions.  » Gaia, 13 ans.

 » Je ne sais pas s’il y a des £uvres d’art laides.  » Aline, 9 ans.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content