Un homard sur une robe. Mais pas n’importe quel homard, et pas n’importe quelle robe : le crustacé est signé Salvador Dalí, l’habit Elsa Schiaparelli. Nous sommes alors en 1937, et ce que l’on ne nomme pas encore  » happening « ,  » crossover  » ou  » objet collector  » participe, l’air de rien, au décloisonnement entre arts appliqués et art… tout court. Déjà, à Vienne, au début du XXe siècle, l’architecte Josef Hoffmann imaginait des bijoux et des vêtements tandis que Gustav Klimt crayonnait des robes pour sa compagne, à la tête d’une maison de couture. À Paris, l’audacieux Paul Poiret invitait Raoul Dufy à créer des tissus. Et Coco Chanel dessinait des costumes de scène pour les Ballets russes, tout en jouant les mécènes auprès de leur concepteur, Serge de Diaghilev.

Plus tard, un autre surréaliste, René Magritte, brosse sur la toile des chaussures à doigts, que Pierre Cardin commercialise dans la seconde moitié des eighties. Au même moment, et après Mondrian, Picasso ou Matisse, Yves Saint Laurent rend hommage à Braque, dont les oiseaux se posent sur une robe de mariée.

Ces affinités sélectives sous forme d’incessants allers-retours se confirment lorsque les artistes prennent possession des vitrines de luxe ou des cartons d’invitation aux défilés – on se rappelle ceux de Keith Haring pour Vivienne Westwood. Ou quand les modeux explorent d’autres champs créatifs. C’est le cas d’Hedi Slimane, alors encore directeur artistique de Dior, et de ses photos aux cimaises parisiennes d’Almine Rech. Ou d’Helmut Lang qui décide, à la faveur d’un incendie, de passer vingt ans d’archives de sa griffe à la déchiqueteuse et de les compresser en seize longues stalactites, puis d’exposer ces bribes de vêtements, croquis et fourrure. Ce l’est aussi dès que la Britannique Tracey Emin est invitée par Longchamp à revisiter son sac iconique, ou que Louis Vuitton demande à la Japonaise Yayoi Kusama de lui dessiner une collection, comme les très cotés Stephen Sprouse, Takashi Murakami ou Richard Prince l’avaient fait avant elle.

Là où certains crient à la surexploitation marketing et à la dérive mercantile de l’art, d’autres saluent une ouverture à un public plus large et une désacralisation qui draine, peut-être, du sang neuf vers les musées. La question ne laisse en tout cas personne indifférent, et en tout premier chef les artistes eux-mêmes, qui pointent volontiers ce type de collaborations comme des tournants majeurs dans leur carrière.  » D’une part, j’ai pu participer à une révolution dans le monde de la mode. D’autre part, cela m’a valu une mauvaise réputation, on m’a présenté comme quelqu’un qui essayait de faire entrer la marchandisation dans le monde de l’art. Les révolutions sont comme ça : elles déclenchent un tourbillon d’éloges et de critiques  » (*), se contente d’observer… un certain Takashi Murakami.

(*) Takashi Murakami, in Madame Figaro, 10 mars 2012.

DELPHINE KINDERMANS RÉDACTRICE EN CHEF

UN TOURBILLON D’ÉLOGES ET DE CRITIQUES.

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