Sous l’impulsion de Marc Jacobs, la griffe Louis Vuitton a effectué un virage stylistique à 180 degrés. Et ouvert grand les portes de sa maison aux artistes d’avant-garde comme Yayoi Kusama,  » la princesse aux petits pois « .

Depuis son coup de foudre, en 2006, pour l’artiste japonaise Yayoi Kusama, les pois ont fait leur apparition dans les collections de Marc Jacobs. Cette obsession se traduit cette saison par une collaboration exclusive entre celle que l’on surnomme  » Princess of Polka Dots  » et la maison française Louis Vuitton, dont le New-Yorkais dirige la création depuis 1997.  » Ma vie est un pois perdu parmi des millions d’autres pois « , martèle la grande dame du pop art, aujourd’hui âgée de 83 ans, et qui vit (volontairement) dans un hôpital psychiatrique promouvant la création artistique comme thérapie. Intense et vibrante, sa vision hallucinatoire est aujourd’hui déclinée dans une collection capsule baptisée Dots Infinity. Lancée le 10 juillet dernier à New York, en prélude à l’inauguration, au Whitney Museum, de la rétrospective itinérante consacrée à Yayoi Kusama (*), sponsorisée par Louis Vuitton, celle-ci aligne des accessoires – foulards, souliers, sacs, lunettes, bijoux – et quelques  » classiques  » trenchs et tuniques en soie, qui n’auraient pas déparé dans un clip des sixties.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs collaborations ont confirmé le mariage improbable entre la maison française, réputée pour son savoir-faire et son esprit de tradition, et l’avant-garde artistique internationale. Courant 2000, Marc Jacobs invite Stephen Sprouse, figure de la scène arty new-yorkaise des années 80 et 90, disparu en 2004, à marquer de son empreinte l’emblématique toile Monogram de Louis Vuitton. Celui-ci décide de peindre à la manière d’un graffiti les lettres Louis Vuitton Paris, qui sont comme  » taguées  » sur les cuirs du maroquinier star. Certains crient au scandale mais au final, la collection printemps-été 2001 fait un tabac : ses pièces sont devenues des collectors.

Deux ans plus tard, Louis Vuitton et Marc Jacobs donnent carte blanche à l’artiste japonais Takashi Murakami. Cette fois-ci, le classique Monogram va être interprété en une trentaine de teintes néon et imprimé sur un cuir noir ou blanc. Le plasticien et sculpteur nippon va également imprégner la griffe de sa perception d’un monde enchanté et acidulé tiré de l’univers manga. Les motifs  » cerises  » colorent joliment les accessoires des collections printemps-été 2003 et 2005. En 2008, Takashi Murakami, encore lui, invente le Monogramouflage, un cuir  » camouflage  » à la manière des treillis de l’armée pour des guerrières chics. La même année, le MOCA, le musée d’art contemporain de Los Angeles, et le musée de Brooklyn, à New York, consacrent une exposition à son £uvre. Le curateur provoque un tollé lorsqu’il y intègre une boutique Louis Vuitton. Marc Jacobs coupe court à ces diatribes en assumant pleinement ce  » mariage monumental entre l’art et le commerce « .

L’Art avec un grand A peut-il servir la cause du commerce ? À l’inverse, le  » soutien  » de Louis Vuitton à des artistes contemporains relève-t-il du mécénat ? Autant de questions qui animent un débat critique sur les limites entre créativité pure et marketing. Le peintre et photographe américain Richard Prince, invité lui aussi à réinterpréter le label LV, se joue de cette apparente contradiction. En 2008, il détourne l’esprit de la griffe en choisissant des slogans égratignant les m£urs de la haute société qu’il fait imprimer sur une ligne de sacs, donnant naissance à la collection des  » Joke Bags « , sur le modèle de sa série de tableaux, Joke Paintings.

Dans une anthologie intitulée Louis Vuitton : art, mode et architecture (édition de La Martinière), l’historienne de l’art Jill Gasparina note dans le choix des différents artistes retenus par Marc Jacobs  » une attitude post-Duchamp  » : avec ses  » ready-made « , le dadaïste Marcel Duchamp encourageait le dialogue entre l’art et l’objet. Quant à Valérie Steele, directrice des expositions pour le Fashion Institute of Technology (FIT), la grande université de la mode à New York, elle affirme :  » En jouant les pionniers dans ce domaine, Marc Jacobs a modifié les frontières entre art et mode. Au cours de sa carrière, Yayoi Kusuma a créé sous forme de sculptures des vêtements-objets, comme un sac, des paires de chaussures, ou encore un chemisier, qui appartiennent clairement au monde de l’Art. À ne pas confondre avec le sac à pois de la collection Vuitton et les collaborations précédentes du label avec Stephen Sprouse ou Richard Prince, des idées brillantes qui véhiculent une aura artistique sur des produits de luxe. Les accessoires vendus dans les boutiques Louis Vuitton sont des articles de mode et pas des objets d’art. Je pense que Marc Jacobs serait le premier à vous le dire.  »

Siglées LV, des vitrines tapissées de ses motifs emblématiques et une application iPhone permettent, elles aussi, de découvrir l’univers de  » la princesse aux petits pois « .  » Pour tous les gens qui ne s’intéressent pas à l’art, ou ne vont pas dans les galeries, ou tout simplement pour ceux qui ne connaissent pas le travail de Yayoi Kusama, il y a maintenant une nouvelle occasion de l’apprécier à travers le regard de Louis Vuitton « , s’enthousiasme Marc Jacobs. Coup de foudre partagé !

(*) Jusqu’au 30 septembre prochain.

www.whitney.org/Exhibitions/YayoiKusama/

PAR ELODIE PERRODIL

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