Le Ghan fait partie de ces trains de légende qui font rêver. De Darwin, oasis tropicale en bord de mer, à Adélaïde via Alice Springs, il parcourt pas moins de 2 979 km en traversant des paysages époustouflants. En voiture !

Carnet de voyage en page 88.

Plus proche de Singapour que de Sydney, Darwin possède un petit côté Miami des années 1950. Mais les senteurs de fleurs de frangipaniers entourant les villas modernes enfouies dans la végétation tropicale et les odeurs marines venues de la mer de Timor ne peuvent faire oublier que la ville est la capitale administrative des Territoires du Nord et un véritable n£ud aérien desservant l’Europe, l’Asie et l’Australie.

A la gare de Darwin, le Ghan attend patiemment ses voyageurs. Sous leur livrée grise, les voitures accrochées à une locomotive diesel vermillon ont pour emblème un Afghan montant un chameau. Aux portières, les employés des wagons-lits en uniforme crème patientent avec flegme. Un sac à dos pour tout bagage, David tend son billet à l’hôtesse. La quarantaine sportive, l’homme est informaticien à Perth. En short et tee-shirt avec, vissé sur la tête, un  » accubra « , le chapeau de feutre traditionnel à larges bords, il descendra du Ghan pour acheter des peintures aborigènes. Les cabines Première Classe (dite  » Gold Kangaroo « ) sont placées quant à elles sous la tutelle d’un steward, un jeune homme roux et enjoué prénommé Jos. Ici, le passager dispose d’une cabine au charme feutré comportant des toilettes et des douches privatives. Au-delà de la Première Classe, se trouve la classe touriste ( » Red Kangaroo « ) avec des couchettes mais sans la possibilité de repas. La classe économique ferme la marche avec simplement des fauteuils. Ici, se niche le royaume des  » backpackers  » montés à bord avec leurs provisions.

Un parfum d’aventure

A 10 heures s’annonce le départ. Portières claquées, le train s’anime d’une série de vibrations sourdes et quitte enfin la gare de Darwin. Le voyage peut commencer. Le parcours Darwin – Alice Springs, long de 1 410 km prend 24 heures. Carolyne et Simon, de jeunes vacanciers londoniens, veulent goûter à tous les plaisirs du Ghan et des excursions comprises dans le voyage. Dans un premier temps, le survol des 13 gorges en hélicoptère et la descente de la rivière en bateau lors de l’escale de 4 heures à Katherine, à 320 kilomètres au sud de Darwin et ensuite, lors de l’arrêt à Alice Springs, la visite de Kings Canyon, du célèbre rocher d’Ayers Rock ou encore de Coober Pedy, la ville de l’opale.

Le Ghan fait partie de l’une des dernières aventures réservées à ceux qui ont le temps et les moyens de s’offrir un voyage permettant de découvrir lentement une île-continent, grande comme 15 fois la France. C’est aussi une leçon d’humilité face à un horizon sans fin. La ligne de chemin de fer file à travers le pays le plus vieux, le plus aride et le plus infertile sur terre. Les premiers explorateurs européens y sont morts de faim. John McDouall Stuart fut véritablement le premier à réussir la traversée sud-nord en 1862. Pour construire la ligne télégraphique reliant Adelaïde à Darwin, il fut fait appel à quelques marchands afghans et leurs 120 chameaux. Ces hommes assuraient le ravitaillement du chantier. En souvenir de leur exploit, ils donnèrent leur nom au train. Aujourd’hui, l’Australie abrite plus de 500 000 chameaux sauvages, descendants des premières bêtes importées dans le pays.

Le premier voyage du Ghan d’Adelaïde à Alice Springs se déroula le 4 août 1929. Le tempo était lent, inconfortable, le train cahotant à du 30 km/heure sur une voie mal posée. Durant le xxe siècle, les rails furent régulièrement emportées par les eaux. Le trajet de 1 555 km pouvait parfois prendre 10 jours (22 heures en 2005) à cause des inondations. On parachutait alors des vivres aux voyageurs bloqués. Pour les nourrir, les conducteurs et mécaniciens partaient souvent pêcher ou chasser les chèvres sauvages. Parfois même la dernière partie du périple s’effectuait à dos de chameaux, progressant péniblement parmi les spinifex, les trous d’eau, les mulgas (arbres de la famille des acacias) et les sentiers aborigènes….

En 1982, le tout vieux Ghan effectua son tout dernier voyage. On le vit même dans le film  » Mad Max III « . Aujourd’hui, les locomotives sont au diesel et la vitesse moyenne tourne aux alentours de 85 km/h avec des pointes pouvant atteindre 115 km/h.

Pour prolonger la ligne jusqu’à Darwin, soit 1 420 km au nord d’Alice Springs, il fallut tenir compte des mangroves, des serpents, des crocodiles et… contourner les sites sacrés des Aborigènes. Le projet fut maintes fois abandonné – il avait été surnommé la  » Never Never Line  » -, mais la voie ferrée Alice-Darwin fut enfin inaugurée en janvier 2004, après septante-trois ans de tergiversations.

9 h 20 le matin. Le train s’arrête à Alice Springs, petite ville de 27 000 habitants. D’ici, on part explorer Kings Canyon et Ayers Rock. Le moyen de locomotion pour parcourir les 320 kilomètres : un 4×4 par la Mereenie Loop Road, une piste en terre. En arrivant, le choc est intense. Le soleil se couchant sur l’un des plus beaux paysages de l’Australie centrale. Le lendemain matin, avant les grandes chaleurs, Carolyne et Simon, la tête enveloppée dans un filet pour se protéger des mouches, décident de marcher durant 6 km le long d’un sentier longeant la crête du défilé et traversant un dédale de dômes gigantesques. Pour atteindre Ayers Rock, il faut encore suivre un ruban de 300 km de bitume rectiligne. De chaque côté de la route court une bande de terre rouge où poussent des melons paddy, des fruits de la taille de balles de tennis. Les plants ont été importés autrefois ici par les Afghans pour nourrir leurs chameaux. Sur ce long ruban de bitume, des kangourous viennent se poser au milieu de la route, sans prendre garde aux  » road trains « , d’immenses convois de 50 m de longueur, comprenant 3 ou 4 remorques-citernes, chromes rutilants et énormes pare-chocs, foncant dans la poussière, à 150 km/h.

En 1873, William Christie Gosse est le premier Blanc à visiter Uluru. Il rebaptise le rocher Ayers Rock en hommage à sir Henry Ayers, un politicien de l’Etat d’Australie méridionale. Ce monolithe orangé – qui affiche 348 m de hauteur, 3,6 km de longueur et 2,4 km de largeur – attire chaque année un demi-million de visiteurs. Pour y accéder, il faut d’abord emprunter une route où il faut honorer la somme de 15 euros. Le quart du billet d’entrée sera reversé aux Anangus, les Aborigènes propriétaires de ces terres depuis 1985 et loués par eux pour 99 ans à la direction des parcs nationaux australiens.

La fièvre de l’opale

D’Alice Springs, on avale d’une traite les 742 km jusqu’à Coober Pedy, la capitale mondiale de l’opale. L’arrivée est surréaliste. On y découvre un paysage lunaire crevassé de puits de mine (plus de 250 000 dit-on), de tumulus de terre ocre et de matériel de forage… un véritable gruyère écrasé par le soleil et arrosé annuellement par 17 centimètres de précipitations. Yveline Page, une horticultrice bretonne, s’est arrêtée ici, il y a seize ans. Pas question d’avoir un jardin : l’eau coûte 5 dollars (3 euros) les 1 000 litres (6 fois le prix de l’eau à Sydney).  » Ici, tous les hommes sont des mineurs, affirme-t-elle. Je m’y suis mise aussi, attirée par la richesse du sol. Pendant un an, j’ai pratiqué le  » noodling  » : pratique consistant à filtrer avec un tamis les gravats abandonnés.  » Elle a ensuite demandé un permis de prospection (46 dollars – 29 euros). Les concessions se bradent facilement mais il faut travailler 20 heures par semaine pendant dix mois pour obtenir le moindre résultat.  » Des inspecteurs des mines veillent à faire respecter les règles. Autrefois on les chassait à coups de fusil « , s’amuse Yveline.

Tony, son mari d’origine grecque, se souvient de ce jour de 1984 où il ramassa, en quelques heures seulement, une petite fortune.  » Dès que vous dénichez un filon, la fièvre vous gagne, lâche-t-il. C’est comme au casino, vous réinvestissez vos gains en achetant du matériel dans l’espoir de décrocher le jackpot !  »

La fièvre de l’opale a épargné une seule personne : Mark Harrisson, un policier à la retraite et libraire underground de Coober Pedy. Selon lui, l’appât de l’argent facile crée une atmosphère spéciale qui n’est pas sans rappeler le Far West.  » Pourtant, les belles pierres sont rares, confie Yanni Athanasiadis, un entrepreneur grec qui achète et vend les précieux cailloux. 90 % des opales que nous trouvons sont des potch, des opales sans couleur, d’un blanc grisâtre…  » Comme bien d’autres ici, il travaille sous terre, dans des bureaux troglodytes. Une tradition qui remonte à la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’anciens soldats, habitués aux tranchées, emménagèrent dans des  » dug out « , des galeries souterraines pour se protéger des rigueurs du climat. Boutiques, hôtels, églises, restaurants sont ainsi creusés dans le roc.

Mais il faut déjà repartir. Le moteur du 4×4 ronronne car il est temps de filer vers la gare de Manguri, à 30 km vers le nord-ouest, pour attraper le Ghan. Manguri est la parfaite illustration de la rapidité avec laquelle en Australie on peut se retrouver au milieu de nulle part : soit une large plaine à la terre brune et poussiéreuse, balafrée de deux rails. Soudain, revoici le train, tel un mirage dans les derniers rayons du soleil à 20 heures sonnantes. Juste le temps de se hisser à bord et il a déjà repris sa course. Ce voyage étonnant et hors du temps se terminera demain matin à Adelaïde, point d’arrivée d’un trajet ayant traversé l’un des continents les plus fabuleux au monde.

Michèle Lasseur

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