Entre vert émeraude et bleu turquoise, le Queensland, au nord-est du pays, dévoile ses merveilles, de la forêt tropicale à la Grande Barrière de corail. De lodges de rêve en îles secrètes, une balade sous les tropiques à la découverte de lieux et d’animaux prodigieux.

A l’extrême nord du Queensland, l’émerveillement est constant. Ici, l’homme se retrouve face à une nature préservée, envoûtante. Comme si le fantôme de James Cook, le premier navigateur à avoir longé les côtes de l’Etat du Soleil, interdisait toute urbanisation excessive, toute pollution. Il n’est pas d’autre endroit en Australie – ni d’ailleurs sur la planète -, où se rencontrent de tels trésors écologiques : la forêt humide de Daintree et la Grande Barrière de corail. Jungle et paradis marin. Classées au patrimoine de l’Unesco, ces vastes étendues se rejoignent à Cape Tribulation, où des arbres vieux de plusieurs centaines d’années dégringolent vers la mer.

Sous les ailes de notre avion apparaît enfin Cairns, point de départ idéal pour explorer la Rain Forest, les îles proches du continent et le Great Barrier Marine Park. La ville (130 000 habitants) mérite le détour : un récent sondage ne l’a-t-il pas élue, pour sa qualité de vie, en tête des citées  » aussies  » (australiennes) ? Palmiers exubérants, maisons aux larges vérandas et aux balcons de fonte dentelés, Cairns se souvient d’un passé pas si lointain. En 1876, la société qui exploite les mines d’or de la Hodgkinson River, à l’intérieur des terres, décide d’en faire sa tête de pont. Pour défricher les mangroves, les premiers  » settlers  » (colons) travaillent sans relâche. A la recherche du précieux minerai et, plus tard, d’étain, les immigrants affluent. De Cairns, part la ligne de chemin de fer vers les grands gisements. En 1930, le Queensland découvre un autre filon : le tourisme. A Cairns, la vraie réussite des urbanistes reste, à l’évidence, la reconquête du front de mer. Coût de l’opération : 66 millions d’euros. Il faut prendre le temps de flâner sur l’Esplanade, la longue avenue animée qui borde l’océan. Nager dans le tout nouveau Lagoon, un bassin de 4 000 m2 à l’eau cristalline. Dîner à la fraîche dans un restaurant chinois, malais, thaï, indien ou latino (ne pas oublier que les Australiens sont originaires de deux cent quinze pays différents et parlent 140 idiomes). S’inviter à un barbecue. Découvrir la beach culture, aux éternels effluves d’huile solaire. Adopter la décontraction, so tropical, des habitants. Tout en se méfiant des idées reçues : à Cairns, la nonchalance n’est qu’apparente…

Cap sur la Rain Forest, ce musée vivant de la faune et de la flore (900 000 hectares). Vieille de 110 millions d’années, la forêt est le refuge des casoars et des kangourous arboricoles. A quinze minutes de route à peine, voici une balade riche en sensations fortes, un mémorable parcours dans les arbres. Imaginez un téléphérique – les Australiens l’appellent Skyrail -, glissant comme dans un rêve au-dessus de la canopée, ce toit naturel de la forêt. En une heure et demie, le Skyrail parcourt 7,5 km, à flanc de montagne, du lac Caravonica au village de Kuranda, sur plus de 500 m de dénivelé. La végétation est si dense, que l’on ne voit presque rien en dessous. Aux cycads, ces fougères primitives, succèdent les palmiers  » Alexandra « , les figuiers étrangleurs, les eucalyptus aux feuilles argentées. Orchidées, lianes, mousses, gui à fleurs rouges, prolifèrent. On est subjugué par les lézards aux allures préhistoriques, les soudaines envolées et les cris rauques des kookaburras. Le Skyrail s’arrête à deux reprises. Le temps d’observer de près, à Red Peak et à Barron Falls, les colosses dont on a admiré les cimes. Et d’en apprendre un peu plus, guidé par un ranger aborigène, sur ces 150 espèces d’arbres et ces plantes, dont certaines remontent au jurassique.

Un tumultueux passé colonial

En une demi-heure, on rejoint Mossman (2 000 habitants), que domine le mont Demi. Les champs de canne à sucre ondulent sous un ciel sans nuage. Difficile d’imaginer qu’il y a quelques décennies à peine rallier cette paisible bourgade tenait de l’exploit. La route ne fut construite qu’en 1932. A cheval, depuis port Douglas, le voyage prenait six à huit heures. Naviguer sur la Daintree River, c’était braver remous et crocodiles. Aux coupeurs de canne, s’étaient joints des bûcherons : l’abattage intensif des cèdres rouges rapportait beaucoup d’argent… Les troncs étaient flottés sur la rivière, puis transportés, par barge, jusqu’à Cairns. Un vrai massacre ! En 1988, la zone fut classée au patrimoine mondial, ce qui entraîna l’arrêt de toute exploitation forestière. Au Queensland, l’affrontement entre Aborigènes et colons avait été des plus rudes : terres confisquées, populations décimées, regroupements, assimilation forcée…

Habitant la forêt depuis quelque 60 000 ans, les Kuku Yalanji chassaient, cueillaient et fouissaient pour trouver leur subsistance. Avec une connaissance inégalée de la nature. Les Européens s’emparèrent de leurs territoires. Leurs sites sacrés furent profanés et perdus. Un sacrilège pour ces Aborigènes qui vénèrent les traces de leurs ancêtres, selon leurs croyances, créateurs de l’univers. Aujourd’hui, la plupart vivent sur le site de Mossman Gorge, dont la propriété leur a été reconnue, et administrent, avec le département de l’environnement, le Daintreee National Park.

A l’orée du parc, Silky Oaks Lodge semble rendre hommage aux esprits sylvestres. Ses tree houses (maisons dans les arbres), ses bungalows sur les berges de la rivière Mossman se fondent littéralement dans le paysage. L’atmosphère y est incroyablement sereine. Pas de télévision, mais des boiseries exotiques, des soieries délicates, des senteurs raffinées exhalées par un brûle-parfum : au Silky Oaks Lodge, le luxe se satisfait de l’essentiel. Sur les vérandas, des hamacs invitent à un délicieux farniente. Haut sur pilotis, le restaurant entièrement ouvert, est, avec son Jungle Perch, un lieu d’observation privilégié. On s’habitue vite au vent qui ondoie doucement dans les branches, aux odeurs poivrées de sauge sauvage, à la cavalcade des opossums, aux coassements des grenouilles géantes. La journée s’écoule au rythme des randonnées en 4X4, des pique-niques sur la rivière, des baignades dans quelques billabong (trou d’eau). Nul besoin de se transformer en botaniste émérite pour apprécier les explications de l’horticulteur Ken Hawkins à propos de l’une des stars de Daintree, l’Idiospermum australiense :  » Il est aux plantes ce que le Lucy est aux humains. Il fleurit depuis plusieurs milliers d’années.  » Ken est responsable de l’aspect et de l’entretien des vingt hectares d’espaces verts du lodge :  » Avec la chaleur, l’humidité, les cycles de vie sont accélérés. Des bambous peuvent croître d’un mètre par jour ! Tout pousse ici. Mais il faut être vigilant : la jungle reprend vite ses droits.  » Il s’est borné à introduire des flamboyants, de nouvelles espèces de gingembre, et n’utilise aucun pesticide :  » Les insectes et les oiseaux font bien leur travail.  » Ultime surprise de ce lieu enchanteur : un spa où profiter de soins élaborés à partir de fleurs, macérées selon des recettes tribales…

D’un coup d’aile, et nous voici sur l’île de Dunk. A mi-chemin entre Townsville et Cairns, et à une trentaine de kilomètres de la Barrière de corail, elle appartient au groupe des Family Islands, un archipel ainsi baptisé par le capitaine Cook. Dunk (en hommage à lord Montagu Dunk, premier lord de l’amirauté) figure le père, Bedarra, sa voisine, la mère, et les quatorze îlots restant, les enfants. Les Aborigènes djirus avaient donné à cet Eden un nom autrement plus poétique : l’île de la paix et de l’abondance (Coonanglebah).

Le Robinson de Dunk Island

Dunk, 1 000 ha de falaises de granit, de plages de sable blanc, de végétation luxuriante, abrite quantité d’oiseaux et de papillons dont le fameux Ulysse bleu électrique, son emblème. Un resort très apprécié des Australiens couvre les trois quarts de la superficie. La protection de l’environnement y est pointilleuse. Le premier colon blanc, Edmung James Banfield, journaliste disciple du philosophe américain naturaliste Thoreau, débarqua sur l’île accompagné de sa femme, Bertha, en 1897. Ses médecins ne lui donnant que six mois à vivre, Banfield avait choisi pour dernière retraite, une hutte, face à la mer, au milieu de quelques hectares loués au gouvernement du Queensland. Il mourut 26 ans plus tard. Avec ses récits ( » Confessions of a Beachcomber, Tropic Days « ), le Crusoë austral a fait rêver des milliers de lecteurs. Et contribué à forger un mythe romantique : celui d’un paradis tropical que rien, et surtout pas la main de l’homme, ne saurait altérer.

A quelques encablures, il est une île bien plus secrète encore. La vie s’écoule à Bedarra dans une paix étrange. Milliardaires, artistes ou simples pêcheurs l’ont aimée, puis délaissée. Comme le capitaine Henry Allason qui, après la lecture des  » Confessions of a Beachcomber  » de Banfield, n’a de cesse d’abandonner le fog londonien pour le soleil des Family Islands. En 1913, il achète Bedarra (100 hectares) au Queensland Lands Department pour… 20 livres. Il n’y vivra qu’un an. Car rappelé à la déclaration de la Première Guerre mondiale par l’armée britannique et gazé, il est contraint de rester en France. En 1935, un jeune peintre australien désargenté, Noel Wood, lui succède. Il élève des chèvres, cultive son jardin et peint comme il respire. Devenu célèbre (figurant dans les meilleures galeries de Sydney et San Francisco), Wood demeurera soixante ans sur Bedarra.

Fouler le sable du joyau de ces îles est, désormais, un bonheur réservé aux happy few, assez fortunés pour séjourner dans le sublime resort, récemment acquis par la chaîne d’hôtels Voyages. La liste de ses plages s’égrène tel un chapelet : Tiki, Orchid, Casaurina, Calophylem… Et seulement 16 villas cachées par les pandanus, les cocotiers, les hibiscus. Le fin du fin ? Loger dans un des pavillons tout en transparence haut perchés, tous avec piscine privée. Loin de la frénésie des lieux à la mode, on goûte ici, une liberté qui, hélas, a son prix.

Le silence de la mer

Notre périple s’achève, en beauté, sur la Barrière de corail. Ce récif, 2 000 km de longueur, le plus grand de la planète fait toujours autant fantasmer. Tôt le matin, dans la marina de Cairns, des navettes attendent, prêtes à appareiller pour le Reef. A bord, des plongeurs, des scientifiques, jeunes pour la plupart, et beaucoup de bagpackers (porteurs de sac à dos). La navette tangue jusqu’au point de ralliement avec le catamaran  » Reef Encounter  » (pourvu d’embarcation à fond de verre), qui, en fonction de la météo, nous mènera de site en site. On a peur d’être déçu. Mais comment l’être ? La Grande Barrière est bien plus qu’une curiosité de la nature : c’est un lieu magique, abritant la plus importante biodiversité de tous les écosystèmes. Une existence entière ne suffirait pas à recenser les 400 types de coraux, les 1 500 espèces de poissons, les 215 variétés d’oiseaux, les 800 échinodermes de cette immense colonie. Sans parler des tortues marines, baleines à bosse, dauphins. Et des dugongs. En voie d’extinction, ces mammifères de la famille des lamantins sont de grands mangeurs d’algues. Il fait bon flâner au soleil sur la plate-forme du catamaran. Les amateurs de snorkelling (nage avec tuba) s’en donnent à c£ur joie. Entre deux plongées sur Hasting Reef, on découvre le ballet des raies, l’étonnant kaléidoscope des gorgones. Silence et glissements. Un autre monde.

Guide pratique en page 69.

Marianne Lohse

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