Alors que le 10 septembre débute à Vevey le festival Images dédié à la photographie contemporaine, la biennale est l’occasion de découvrir la  » côte vaudoise  » qui s’étend dans un mouchoir de poche jusqu’à Montreux et ses alentours. Nerveux, s’abstenir.

L’appellation scintille comme un diadème : Riviera vaudoise. Cela fait penser à la Côte d’Azur, mais ici, l’aire de repos fait à peine 19 kilomètres de longueur, de Vevey à Montreux et un peu au-delà. Il n’y a pas la grande bleue mais il y a les palmiers et les grands hôtels. Cela suffit à Montreux pour ressembler à Monaco, avec ses boutiques de luxe et ses petits jardins publics tracés au cordeau.

Le long des quais qui réhabilitent l’art de la promenade du dimanche, tous les regards se tournent vers le lac. On vient en grande partie pour lui. Une ode au silence. Des cygnes, beaucoup ; des pédalos, quelques fois ; des gros yachts motorisés, jamais. Acheminer les bateaux par convoi spécial depuis le tunnel du Mont-Blanc coûte trop cher, même pour un riche contribuable.

PRESTIGIEUX RÉSIDENTS

Nabokov, l’auteur de Lolita, vécut près de deux décennies à Montreux. L’écrivain aimait l’énergie créative de New York, mais il trouvait dans le paysage avec vue imprenable sur les Alpes une manière de se débarrasser du superflu. Une quête existentielle qui, pour le romancier, prenait la forme d’une splendide suite au dernier étage du Fairmont Palace, qu’il occupa pendant seize années.  » Une modeste chambre à coucher « , affirmait sérieusement l’écrivain…

Pour remercier l’hôte de sa présence, la ville a coulé une statue à son effigie, en face de l’établissement 4-étoiles, sur une pelouse où trônent les bustes de Ray Charles, Aretha Franklin et BB King. Etrange cohabitation quand on sait que Nabokov détestait la musique. Pour son bonheur, il ne verra jamais le bronze devant le marché couvert, édifié en l’honneur de Freddie Mercury qui élut domicile à Montreux bien avant Bowie ou Phil Collins, tous conquis par la beauté du paysage et la légèreté fiscale.

Les hôtels début de siècle, qu’ils se nomment Eden, Fairmont ou Suisse Majestic, ont fait la renommée des lieux. A la manière des navettes de style Belle Epoque qui glissent silencieusement jusqu’à Thonon-les- Bains, les palaces entretiennent le faste d’antan, avec ce qu’il faut de mélancolie. Il faut dire que le décor naturel s’y prête. A la sortie de Montreux, à Veytaux, le fameux château Chillon – le monument helvète le plus visité – a inspiré de nombreux écrivains romantiques, comme l’atrabilaire Lord Byron. Lors de son séjour en Suisse au début du XIXe siècle, le poète anglais tombe en arrêt sur cette incroyable forteresse médiévale posée en équilibre sur l’eau. Il est subjugué par les geôles sous-terraines où fut détenu en 1530 François Bonivard. Celui-ci, enchaîné durant six années à un pilier sans voir le jour, fut libéré par les Bernois qui conquirent la région et imposèrent la religion protestante. Cinq siècles plus tard, on parcourt avec délectation et effroi les entrailles humides du château…

UN HÉRITAGE NUANCÉ

La Riviera lémanique ne se résume pourtant pas à son patrimoine féodal et ses palaces glorieux. A proximité du centre de Montreux, en direction de Vevey, l’extraordinaire villa Karma construite par Adolf Loos et Hugo Ehrlich entre 1902-1906 préfigure le mouvement moderniste par sa blancheur et la simplicité de ses volumes. La maison immaculée, parfois ouverte au public lors des journées du patrimoine, rappelle la célèbre formule de Loos selon laquelle  » l’ornement est un crime « .

A quelques kilomètres de là, à Corseaux, au pied des splendides vignes en Lavaux, c’est une autre  » anomalie  » qui se dévoile sur rendez-vous : une habitation confidentielle de Le Corbusier construite en 1923 pour ses parents. Rénovée en 2015, la villa Le Lac est en réalité un cabanon ultradépouillé, qui reflète déjà le programme architectural de l’homme au noeud papillon, chantre de l’espace fonctionnel.

Vevey a beau être à six minutes en train seulement de Montreux, il y règne une atmosphère moins glamour, peut-être en raison de son passé ouvrier. Les ACMV, les Ateliers de constructions mécaniques de Vevey, fondés en 1842, ont fourni des turbines et autres pièces d’envergure dans le monde entier avant de mettre la clé sous la porte en 1992. Dernier témoin de son histoire : la halle Inox, énorme bâtisse de briques et de verre située derrière la gare qui devrait bientôt être réhabilitée en logements chics et équipements culturels. En attendant, près de là, c’est un autre géant de l’industrie, Nestlé, né il y a 150 ans, qui ouvre un centre ludique à la gloire de l’inventeur du lait en poudre. Sur le site même où Henri Nestlé fonda son entreprise, la multinationale a imaginé un musée interactif qui retrace sa success-story dans un cadre qui évoque les toits en shed et les verrières des anciennes manufactures. Notons que la firme a profité de son anniversaire pour rénover de fond en comble l’Alimentarium, un musée sur la nutrition, situé sur le quai Perdonnet, juste en face de la Fourchette géante plantée dans les eaux du lac. Elle soutient aussi une emballante exposition au Musée Jenisch intitulée La collection d’art Nestlé. L’occasion de voir, jusqu’au 2 octobre prochain, des oeuvres acquises depuis un demi-siècle par le comité de direction. De Picasso à Sol LeWitt, d’Annette Messager aux magnifiques croquis de Jean Tschumi qui dessina dans les années 50 le siège de la société, le choix est éclectique et de haut niveau.

BIÈRE, IMAGES ET… CHAPLIN

Premier employeur du canton de Vaud, Nestlé ne fait pour autant l’unanimité. Certains Veveysans ne se reconnaissent pas dans le miroir que leur tend la  » world company « . Musicien et graphiste, Emilien Colin, la vingtaine, a ouvert récemment avec quatre associés Bachibouzouk, un bar de quartier spécialisé dans les bières artisanales suisses. On vient y trinquer les Pale Ale ou les Stout en provenance des micro-brasseries locales, sur fond de concerts ou de soirées littéraires. La décontraction est le mot d’ordre des fondateurs, parmi lesquels on retrouve un archéologue et un coursier à vélo. Les habitués prolongent parfois la soirée à La Valsainte, un restaurant populaire où l’on s’adonne au jeu de quilles dans une odeur persistante de fromage fondu. La piste est cachée dans une arrière-salle qui pourrait passer pour un tripot clandestin. C’est l’un des derniers clubs officiels de cet ancêtre du bowling, autrefois très répandu en Suisse romande.

Alors que Montreux est associé au jazz grâce à son fameux festival, Vevey s’impose peu à peu comme la ville de la photographie avec, pour locomotive, le Festival Images, une biennale qui a lieu cette année du 10 septembre au 2 octobre. En quatre éditions à peine, la fréquentation a été multipliée par dix et 100 000 visiteurs se pressent aujourd’hui au rendez-vous de cette manifestation de rue. Une cinquantaine d’accrochages sont prévus cette année dans les espaces publics. Les façades d’immeuble, les églises, les parcs et même le lac sont le théâtre d’installations surprenantes mêlant des signatures connues et des figures montantes.

Le musée Chaplin, qui s’est ouvert le printemps dernier à Corsier-sur-Vevey, est un nouveau  » produit d’appel  » comme on dit dans le jargon touristique. Le lieu, à 15 minutes du centre de Vevey, est situé dans la propriété même où vécut l’acteur et réalisateur à partir de 1952. On y trouve le manoir historique, restauré avec soin, qui abritait Chaplin et sa tribu (huit enfants et sa femme Oona) mais également un bâtiment contemporain qui retrace l’univers créatif de l’homme-orchestre. L’interaction y est reine. Du salon du barbier dans Le dictateur à la cabane de La ruée vers l’or, la reconstitution de décors fameux, libres d’accès, joue la carte de l’immersion. Des statues de cire, issues des ateliers Grévin, complètent avec un bonheur inégal le programme. Les cinéphiles, eux, s’attarderont sur les nombreux objets de collection originaux, comme les statuettes des Oscars ou les costumes du célèbre vagabond. La force évidente de ce Chaplin’s World repose évidemment sur l’authenticité des lieux où séjourna l’artiste durant un quart de siècle. Dans le parc de 4 hectares qui domine le lac et les Alpes, Chaplin aimait contempler longuement le paysage où il trouvait un sentiment de plénitude absolue. On ne peut qu’approuver.

PAR ANTOINE MORENO

DEPUIS SON MANOIR, CHAPLIN AIMAIT CONTEMPLER LONGUEMENT LE PAYSAGE.

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