Les marques sont toujours plus nombreuses à faire appel à des stars pour dessiner leurs collections, avec pour résultat des ventes boostées et une image liftée. Les people sont-ils en passe de doubler les créateurs ? Pas si sûr…

Si l’en est bien une dont on a remarqué l’absence dans les first rows des défilés new-yorkais, en septembre dernier, c’est elle. Car, au double titre de meilleure amie des stylistes les plus hype et d’icône de mode, Chloë Sevigny ne pouvait manquer la fashion week qu’en cas de force majeure. En l’occurrence, la touche finale à apporter à la collection de vêtements et accessoires que l’actrice a dessinée pour Opening Ceremony, un des concept stores les plus branchés de la Big Apple. Outre les indispensables lunettes solaires et autres casquettes trendy, neuf paires de chaussures – on retient les boots zippées et les creepers léopard, déjantés juste comme il faut -, des blazers déstructurés, des bombers et petites robes joliment grunge, des mini-jupes, des tee-shirts en mesh et des cardigans dos-nus composent le dressing ultramode créé par la comédienne. Pour se procurer ces (déjà) must-have en Europe, c’est chez l’incontournable Colette, à Paris, qu’il faudra se rendre à partir de février prochain. Depuis quelque temps, la trendsetteuse, plus orientée à ses débuts vers la jeune création, s’est d’ailleurs positionnée sur le créneau des lignes dessinées par les chanteuses, actrices et autres  » céleb’ « . C’est déjà elle, on s’en souvient, qui proposait dès avril dernier – soit plusieurs semaines avant les autres – les baskets et vêtements de sport créés par Scarlett Johansson pour Reebok. Et c’est encore elle qui a distribué en exclusivité la ligne imaginée par Kate Moss pour TopShop.

En Belgique, on constate une certaine analogie dans le processus de diffusion, puisque ces mini-collections visent avant tout les enseignes branchées. Avec un bémol, toutefois, dans la mesure où ces dernières restent jusqu’à présent plus enthousiastes à l’idée de vendre des lignes auxquelles ont collaboré des créateurs que des stars. Ainsi, les sacs à dos conçus par Raf Simons pour Eastpak seront-ils disponibles à partir de février chez Houben, à Anvers, alors que les vêtements de Miss Moss n’y ont pas été présentés…

Simple question de temps ? Assistera-t-on, dans les mois à venir, à la prise d’assaut de ces adresses hype par les lignes dessinées par des VIP ? Rien n’est moins sûr. Certes, la vague de  » peoplelisation  » enfle sans cesse, et il sera peut-être difficile pour ces boutiques autonomes de ne pas se laisser submerger. Mais, d’un autre côté, leurs gérants sont conscients que mettre en concurrence des collections de créateurs et de stars peut avoir un impact négatif sur l’image d’une enseigne  » pointue « …

L’identification comme moteur

Aux antipodes de cette distribution ultrasélective, on trouve bien évidemment la diffusion de masse via les grandes chaînes d’habillement trendy à petits prix. Une mécanique bien rodée que rien ne semble pouvoir arrêter : rien qu’en 2007 on a vu éclore les lignes de l’icône pop Lily Allen pour New Look, de l’actrice Milla Jovovich pour Mango et, après Madonna, de la chanteuse Kylie Minogue pour H&M. Sans oublier qu’outre-Atlantique, où l’association VIP-mode est plus courante encore – dans ce domaine, l’Europe n’en serait qu’à un tiers de ce qui se fait aux USA -, Sarah Jessica Parker ( Sex & The City), a signé une collection destinée aux supermarchés Steve & Barry’s et les jumelles Mary-Kate et Ashley Olsen pour le géant Wal-Mart.

Pour 2008, cela commence sur le même tempo : moins de deux semaines après qu’elles auront fait le plein de pièces estampillées Chloë Sevigny, les modeuses découvriront en effet une grande partie de la deuxième collection cornaquée par Penélope Cruz et sa s£ur Monica pour Mango. Les vêtements plus estivaux ne seront, quant à eux, sur les portants qu’au mois d’avril prochain, histoire, pour la chaîne espagnole, de créer l’événement deux fois plutôt qu’une. Au total, trente-huit pièces au travers desquelles  » les s£urs Cruz se confirment créatrices de style et de tendances, ajoutant ainsi encore un autre succès à leur carrière professionnelle « , précise le communiqué.

Car la collection printemps-été 2008 dessinée pour la marque est en réalité un second opus de l’édition (en principe)… exclusive présentée cet hiver.  » Le succès a été tel qu’on a recommencé ça pour la prochaine saison « , confirme Ninona Vila, directrice générale de la communication de Mango. Selon elle, cette réussite commerciale s’explique par le fait que  » les deux s£urs aiment beaucoup la mode, connaissent les tendances à venir et assistent d’ailleurs toujours aux défilés  » mais aussi, et c’est sans doute prépondérant, par le phénomène d’identification, qui joue à plein :  » Les femmes aiment le style de Penélope et Monica, elles veulent leur ressembler « . Et c’est bien là que les people marquent des points par rapport aux tops plus ou moins anonymes dont se contentaient les campagnes de communication des griffes jusqu’il y a peu.

Stars… ordinaires

Mario Eimuth, tête pensante du site de vente en ligne stylebop. com, a été parmi les premiers à décrypter le look de personnalités dans sa rubrique intitulée  » le look du mois « . Comme il le confiait au Fashion Daily News, l’hebdo des professionnels de la mode, il croit fermement à l’effet miroir engendré par les VIP :  » Je pense qu’une vedette de cinéma sera toujours plus vendeuse qu’un mannequin professionnel. Les consommatrices peuvent plus facilement s’identifier à elle car les stars sont moins artificielles que les mannequins des podiums, elles ont une vraie vie, font du shopping, vont à la plage, font la fête…  » Et il est vrai que – paradoxe de la  » peoplelisation  » poussée à l’extrême – la plupart des stars dont les marques cherchent aujourd’hui à en faire leurs égéries ont en commun un côté…  » comme tout le monde « .

Vanessa Paradis poussant un landau dans un marché du Lubéron ou Lou Doillon le cheveu en bataille et le jeans usé, une aubaine pour une griffe ? Oui, sans aucun doute. Pour preuve, le formidable coup d’accélérateur qu’ont subi les ventes depuis que Gérard Darel s’est choisi pour égérie Charlotte Gainsbourg, VIP antistar-system s’il en est. Et si, non contente de prêter son visage à une marque, une vedette prend son crayon pour s’improviser styliste, c’est encore mieux. Les produits nés de la dernière collaboration du maroquinier Lancel et de la championne de natation Laure Manaudou ont ainsi connu la rupture de stock. Quant à Kate Moss, elle est parfaitement consciente de la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à une griffe en termes d’authenticité. Dans la seule interview accordée lors du lancement de sa ligne, la brindille confiait à l’édition britannique de Vogue :  » Je me suis toujours habillée chez TopShop et, pour la collection, j’ai repris ce que j’ai dans ma garde-robe.  » Connivence (même factice) et simplicité (même travaillée) : un discours sans faute au niveau marketing.

Reste que ce n’est pas uniquement à l’aune des ventes que se mesurent les retombées positives de ce genre de collaborations. L’image, l’affirmation de l’identité d’une marque par rapport à une autre, le buzz médiatique fait autour du lancement sont autant d’éléments qui entrent également en compte. Ainsi, et bien que le géant suédois du vêtement  » hip et pas cher  » se refuse à parler chiffres – on sait néanmoins que son bénéfice net annuel dépasse le milliard d’euros -, il semblerait que les collections dessinées par Kylie Minogue ou Madonna n’ont pas généré le succès commercial escompté. Et sont, en tout cas, loin d’avoir suscité le même engouement que les lignes créées par Karl Lagerfeld, Stella McCartney, Viktor & Rolf ou Roberto Cavalli.  » On ne peut pas comparer le partenariat avec Madonna à ceux que nous développons avec nos créateurs invités, justifie-t-on chez H&M, car elle reflétait le style d’une icône de mode, et était plus classique que les lignes produites avec les créateurs. « 

Luxe à prix discount

Au final, il semblerait néanmoins que ce qui enthousiasme encore et toujours les modeuses, bien plus qu’un visage célèbre, c’est l’idée de luxe enfin accessible. Et elles sont nombreuses à avoir poussé la porte d’un de ces supermarchés de la fringue uniquement pour découvrir les pièces de créateurs… et à être devenues des clientes fidèles. Depuis le très beau coup orchestré par Karl Lagerfeld et H&M en 2004, toutes les chaînes se sont donc mises à inviter des stylistes renommés, à l’exception de Zara qui, avec sa politique de non-communication – pas de pub, pas d’affichage, pas d’égéries – fait aujourd’hui figure d’ovni.

A noter que, en misant sur des créateurs connus, la distribution de masse adopte aussi les codes des grandes maisons, comme l’édition limitée ou les visuels très haut de gamme. Ainsi, Raquel Zimmerman, la top qui a ouvert les derniers défilés de Chanel et Fendi, a posé pour les affiches de la collection Viktor & Rolf pour H&M. Quant à Lou Doillon, autre icône de mode plébiscitée par les magazines, elle a assuré la campagne de la ligne dessinée pour Mango par Milla Jovovich. Celle-ci, top- rockeuse-actrice et styliste elle-même, s’était déjà lancée, en parallèle, dans une  » vraie  » carrière de créa- trice de mode en éditant, avec sa copine Carmen Hawk, son propre label, qui défile désormais à New York.

Entre luxe qui se démocratise et grande distribution qui s’anoblit, les barrières entre les genres s’effondrent donc et tout le monde en sort gagnant. Y compris les créateurs eux-mêmes, qui, comme les people devenus stylistes, profitent de l’artillerie lourde que peuvent déployer les géants de la distribution en matière de publicité. Ce n’est peut-être pas un hasard si Stella McCartney et Viktor & Rolf ont collaboré avec H&M alors qu’ils lançaient leur parfum, et si Roberto Cavalli l’a fait quant à lui au moment où la rumeur laissait entendre qu’il cherchait des investisseurs… Sans oublier que tous renvoient aussi, en s’offrant au plus grand nombre, une image positive d’accessibilité. Et soigner son image, pour un VIP, un créateur, une griffe haut de gamme ou une marque à petits prix, c’est toujours une assurance de profit à long terme.

Delphine Kindermans

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