C’est une de nos compatriotes, Jeanne Toussaint, qui fit du fameux félin de Cartier une légende… il y a tout juste un siècle ! La maison de luxe propose aujourd’hui deux collections pour célébrer cet anniversaire.

Lorsque Jeanne Toussaint naît en 1887 à Charleroi, rien ne laisse présager qu’elle prendra un jour la direction artistique d’une des plus grandes maisons françaises de joaillerie. Elle suit d’abord ses parents qui travaillent dans le commerce de la dentelle, à Bruxelles, avant de partir pour Paris à 17 ans à peine, armée d’une volonté de fer. Elle y découvre les arts décoratifs aux côtés de l’antiquaire Charles Michel. La haute société ainsi que les nombreux artistes qu’elle fréquente alors aiguisent son oeil à l’esthétisme. Les peintres portraitistes Giovanni Boldini et Paul Helleu, le caricaturiste Sem ou encore les décorateurs Paul Iribe et Christian Bérard font partie de son cercle d’amis. Ses nombreux contacts et son caractère bien trempé – son élégance classique tout autant que son extravagance sont réputées dans toute la ville -, lui permettront même de côtoyer Coco Chanel.

LA RENCONTRE

Juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, Jeanne rencontre Louis Cartier, alors âgé de 40 ans. Petit-fils du fondateur de la griffe, il dirige la Maison, sise au numéro 13 de la rue de la Paix. L’un comme l’autre sont dotés d’un esprit visionnaire. Ainsi, à la demande de son ami l’aviateur Alberto Santos-Dumont, l’héritier met au point la toute première montre-bracelet, répondant au souhait du pilote brésilien de pouvoir lire l’heure facilement en vol, sans avoir à sortir son garde-temps de sa poche. On est en 1904, la Santos est née. Treize ans plus tard, Louis Cartier conçoit également la célèbre Tank qui, aujourd’hui encore, reste l’un des modèles les plus iconiques de l’horlogerie. Le coeur de Jeanne s’enflamme rapidement. Impressionné par le succès des sacs à main qu’imagine cette dernière, le Parisien confie à son amie le département Maroquinerie et Objets de la griffe familiale. Il l’initie par la suite aux pierres précieuses et à l’élaboration des alliages métalliques. Le bon goût et le sens inné de l’équilibre et des justes proportions de la jeune femme n’échappent pas au patron de l’entreprise de luxe. Leur amour donnera plus tard naissance à de magnifiques bijoux mettant à l’honneur les aigrettes, les oiseaux de paradis, les papillons… et bien sûr les panthères.

LES DÉBUTS

C’est en 1914 qu’un motif rappelant ce félin apparaît pour la première fois sur une montre éditée par le joaillier. L’objet, résultant de l’alternance de noir et de blanc, d’onyx et de diamants, marque non seulement le début des modèles tachetés dans le secteur mais aussi des jeux de contrastes, repris plus tard par le style Art déco. Cette même année, Louis Cartier commande au peintre et illustrateur français George Barbier une aquarelle baptisée La dame à la panthère. L’oeuvre d’art, supposée servir d’invitation à une exposition, sera ensuite fréquemment utilisée par le label en guise de publicité. La femme panthère prend ainsi progressivement forme. Mais qui est-elle vraiment ? A l’instar de Jeanne Toussaint, elle est belle, féminine, un peu sauvage, indépendante et libre.  » C’était la muse de Louis Cartier mais aussi sa collaboratrice la plus proche et son âme soeur, raconte Mathilde Laurent, nez chez Cartier depuis 2006. Mais la famille s’est fermement opposée à leur union. L’univers animalier qu’elle avait façonné était peut-être son exutoire pour envoyer un message fort au monde. Il n’est pas impossible qu’elle ait pensé : « Si vous ne voulez pas de moi, je laisserai mon empreinte d’une autre façon ».  »

L’APOTHÉOSE

La fantaisie, la curiosité, l’inventivité et l’exigence de notre compatriote étant sans limites, elle a imaginé des pièces très modernes – parfois même un peu folles – avec le soutien des créateurs de la griffe, apportant à celle-ci un vrai vent de fraîcheur. Ce n’est toutefois qu’après sa désignation, en 1933, au poste de directrice du département Haute joaillerie que Jeanne Toussaint construit véritablement cet univers qui lui tient tant à coeur et introduit la panthère figurative. Elle travaille alors aux côtés des grands noms de la mode tels que Christian Dior, Elsa Schiaparelli ou Cristóbal Balenciaga. Et tous s’accordent à dire que cette femme de talent a eu une influence majeure, et déterminé de nombreuses tendances dans le secteur. Comme Pierre Claudel – fils de l’écrivain Paul Claudel et époux de Marion Cartier, la fille de Pierre Cartier – l’exprimait si bien :  » Malgré des intérêts purement commerciaux, cette femme a modernisé les bijoux sans faire de concessions en matière de bon goût.  » Pour elle, les parures avaient autant d’importance que les vêtements. Un état d’esprit plutôt inhabituel pour l’époque.

Sous l’impulsion de la jeune Belge, le style de la maison a ainsi changé de façon spectaculaire. A la fin des années 30, Cartier délaisse l’Art déco, plus abstrait, pour un travail figuratif, à l’image de cette série laquée noire peuplée de coccinelles, d’un flamand rose et d’un perroquet exotique. Des pierres colorées, des motifs animaliers, des dragons, des chimères et des représentations végétales issues de cultures orientales s’immiscent dans les collections. La riche palette de couleurs et les pièces d’inspiration indienne en or émaillé séduisent une élite de princes, de maharadjas et de riches héritiers. La créatrice révèle un certain génie technique, en inventant par exemple le  » clip  » permettant de porter des boucles d’oreilles sans que ces dernières soient percées. On lui doit également le retour en grâce de l’or jaune, du platine et du cristal de roche.

LA LÉGENDE

En 1940, en pleine occupation allemande, Jeanne Toussaint, très engagée, expose sa plus célèbre réalisation dans la vitrine de la rue de la Paix : une broche surmontée d’un moineau aux couleurs nationales, derrière des barreaux. Un geste fort à l’encontre des nazis, qui lui vaut une arrestation et un court séjour en prison. Dès la Libération de Paris, c’est un autre oiseau, cette fois prêt à voler hors de sa cage ouverte, qui est présenté dans la même devanture. Parmi les modèles signés par la conceptrice, on trouve aussi une broche emblématique datant de 1948 et coiffée d’une panthère en or jaune et émail noir sur cabochon en émeraude de 90 carats. Celle-ci fut commandée par le Duc de Windsor pour son épouse, la sulfureuse Wallis Simpson.

La Belge contribuera à la légende jusque dans les années 70, mais son univers continue d’infuser la création de la Maison ; Jacqueline Karachi-Langane, directrice du studio de création Haute joaillerie chez Cartier, s’y attèle. A l’occasion du centenaire du mythique félin, deux lignes ont ainsi été lancées. Un siècle après sa naissance, le fauve n’a pas fini de surprendre et de séduire.

PAR ANJA VAN DER BORGHT

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