La maman n’a jamais été aussi à la mode et pourtant, son bonheur n’a jamais été autant contesté. Des livres, des séries télévisées s’attaquent aujourd’hui à la bienheureuse maternité. Et si tout n’était pas si rose ? Pour celles qui ont choisi de ne pas pouponner, l’heure est au coming out.

On suit les courbes d’Angelina Jolie comme les épisodes d’une captivante série télévisée à rebondissements. On guette avec suspense si Jennifer Aniston va enfin dire oui à Vince Vaughn et lui demander un bébé dans la foulée. On accueille, tel un Messie, Moïse, le petit dernier de Gwyneth Paltrow. On assiste au triomphe de la maternité à grand renfort de ventres ronds de stars exhibés dans les magazines… A l’heure où les people s’affichent avec leur progéniture calée sur la hanche comme le dernier accessoire de mode, certains, au contraire, prennent la maternité tellement au sérieux qu’ils sont de plus en plus nombreux, hommes et femmes confondus, à refuser de faire des enfants. C’est le cas en Allemagne. Dans  » le pays des sans enfants « , comme l’a rebaptisé le journal  » Libération  » (1), 26,8 % des femmes âgées de 30 à 44 ans n’ont pas d’enfants et 26,3 % des hommes âgés de 20 à 39 ans disent ne pas vouloir de descendance, allant même jusqu’à opter pour la stérilisation (3 % des hommes allemands en âge de procréer étaient stérilisés en l’an 2000). Dans une société malade de perfection, les raisons invoquées par ces couples  » objecteurs de procréation « , tels qu’on les surnomme, seraient, pour la plupart, la peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur.

Entre surinvestis-sement maternel et non-désir d’enfant, où se situe la vérité ? Autrefois, la maternité était une évidence que l’on ne remettait pas en question et dont on assumait la fonction du mieux que l’on pouvait. Mais depuis l’avènement de la contraception –  » une conquête plus importante que la conquête de l’espace « , selon l’anthropologue Françoise Héritier (2) -, elle est devenue un choix pour lequel on s’interroge sans fin. Bref, nous nous trouvons face à une nouvelle liberté qui, au final, peut s’avèrer aliénante…

Un mensonge pour petites filles ?

Depuis peu, on voit émerger dans les ouvrages de psychologie, la littérature, les séries télévisées, un nouveau courant qui s’attaque à la dernière croyance que l’on n’avait pas encore ébranlée : la bienheureuse maternité.  » Un tabou que même les féministes mettent du temps à aborder, observe le sociologue français Daniel Welzer-Lang (3). Le refus de la maternité, qui concerne de plus en plus de femmes, correspond à une évolution logique, à une renégociation du rapport entre hommes et femmes qui nous conduit à revisiter toutes les assignations. La littérature précède toujours la sociologie lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux tabous.  »

Et si ce prétendu bonheur n’était, en effet, qu’un mensonge pour petites filles qui, du coup, rend celles qui n’ont pas accès à la capacité d’enfanter, d’autant plus malheureuses ? En 1949, Simone de Beauvoir, dont on commémore cette année les vingt ans de la disparition, écrivait dans  » Le Deuxième Sexe  » :  » On ne naît pas femme, on le devient « , passant au crible tous les domaines que l’on désignait alors comme  » féminins « . Trente ans plus tard, une de ses plus grandes admiratrices, Elisabeth Badinter, poursuivait le combat féministe en affirmant, dans  » L’Amour en plus « , que l’on ne naît pas mère, on le devient, remettant en question la notion même d’instinct maternel, fluctuant selon les époques. Cet instinct maternel qui, selon le Larousse de 1971, est  » cette tendance primordiale qui crée chez toute femme normale un désir de maternité et qui, une fois ce désir satisfait, incite la femme à veiller à la protection physique et morale des enfants « . Avec un tel impératif catégorique, on comprend mieux pourquoi le refus de maternité est longtemps passé pour pathologique et celles qui n’éprouvaient pas d’amour maternel pour des monstres !

En 2006, soit une génération plus loin, on ose proclamer : on ne naît pas desperate housewife (femme au foyer au bord de la crise de nerfs), on le devient ! Empruntant ainsi la formule au titre de la série américaine à succès,  » Desperate Housewives  » de Marc Cherry et Charles Pratt, dont la saison 2 est actuellement en cours de diffusion aux Etats-Unis. Le synopsis ? Raconter, sans concession, les mémoires de jeunes mères de famille pas si rangées qu’elles en ont l’air. Cinq typologies de quadras sexy et gentiment névrosées d’une banlieue chic américaine qui, entre autres perfidies, lancent, en guise de malédiction, à leurs cadettes :  » Je vous souhaite d’avoir beaucoup d’enfants.  » De quoi démythifier la célèbre fin, jusqu’alors incontestée, des contes merveilleux :  » Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants…  »

Un heureux événement ?

Et si l’enfant ne faisait pas forcément le bonheur ? C’est la thèse du dernier roman d’Eliette Abécassis, titré, non sans une certaine ironie,  » Un heureux événement  » (4). L’auteure y relate avec une honnêteté déconcertante sa maternité comme la fin d’une grande liberté, dans sa vie comme dans son couple. Démontant minutieusement toutes les croyances sur les prétendus bonheurs de l’enfantement, allant même jusqu’à questionner le désir d’enfant.

 » Après mûre réflexion, j’ai noté dans mon carnet quatre bonnes raisons de faire un enfant : Raison 1 : on s’aime. Raison 2 : on a voyagé dans tous les pays atteignables. (…) Raison 3 : j’ai passé les 30 ans et à l’approche des 40 ans, j’avais peur de vieillir. C’est la dernière ligne droite. (…) Résumons : Pourquoi fait-on des enfants ? : Par Amour, par Ennui et par Peur de la Mort. Les trois composantes essentielles de la vie. Faire un enfant est à la portée de tous et pourtant peu de futurs parents connaissent la vérité, c’est la fin de la vie.  »

De quoi en décourager plus d’une… Comme Camille, 30 ans, qui estime qu’  » il faudrait faire de la prévention auprès des jeunes couples désireux d’être parents. On doit bien les avertir que ce n’est pas l’image d’Épinal qu’on leur vend, que leur libido va en prendre un coup « . Ou comme Emma, 33 ans, maman d’un petit garçon, qui constate que  » la maternité, ce n’est pas ce que l’on nous raconte dans les magazines « .

Le débat n’est pas nouveau. Dans les années 1970 déjà, les féministes brandissaient le célèbre slogan  » Un enfant si je veux « , mais leur revendication s’inscrivait dans un contexte politique et social bien précis. Il s’agissait alors d’affirmer son autonomie, de se détacher de toute emprise exercée par les hommes : devoir conjugal, devoir maternel. Désormais, faire un enfant est une décision mûrement réfléchie. Alors que l’on est en mesure de contrôler ses grossesses, que l’on n’est plus dépendante financièrement d’un homme, bref que l’on a le choix, donner la vie n’apparaîtrait plus pour toutes comme une évidence, une première nécessité. Du coup, certaines préfèrent se consacrer à leur propre vie. Finalement, on pourrait reformuler la question ainsi : donner la vie, est-ce forcément donner un sens à sa vie ?

Les  » child free  »

A la lumière de ce questionnement, la psychologue parisienne Edith Vallée, auteure de  » Pas d’enfant, dit-elle…  » (5), a repris un travail en gestation depuis trente ans, amorcé lors de sa thèse d’université : un recueil de témoignages de femmes qui ont fait le choix de la non-maternité.  » S’il y a trente ans, les femmes avaient accepté de témoigner avec enthousiasme parce que leurs histoires s’inscrivaient dans une démarche revendicative bien précise, celles d’aujourd’hui sont plus ambivalentes, confie à Weekend la psychologue. Certaines se sont désistées, victimes peut-être d’une nouvelle pression exercée sur la maternité. Celles qui ont accepté de témoigner apparaissent, a contrario, plus sereines, en paix avec leur décision. J’ai voulu déculpabiliser les femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant et démonter tous les clichés associés aux diktats de la maternité comme seul destin envisageable pour une femme. Il s’est trouvé, qu’au passage, ce sont les mères qui ont été rassurées car déculpabilisées par rapport à leur identité de « bonnes mères » imposée par la société.  » Celles qui, comme Catherine, 50 ans, mère d’un jeune homme qu’elle a élevé en solo, lâchent sur le ton de la confidence :  » Si c’était à refaire, honnêtement, je ne sais pas si je le referais.  » Un cri du c£ur qui tient en une formule :  » Si j’avais su, je ne serais pas venue !  »

Lorsqu’il s’agit d’un tabou, les modèles d’identification ne sont pas légion. Comme ce fut le cas il y a quelques années pour l’homosexualité, peu de personnalités osent affirmer publiquement leur choix de non-maternité. En France, l’actrice Arielle Dombasle ou encore la star de la télé, Mireille Dumas ont fait leur coming out.  » Je n’ai jamais ressenti cette nécessité de me prolonger, avoue la célèbre animatrice. Depuis toujours, je suis enceinte d’un non-désir d’enfant qui n’a fait que se confirmer. Peut-être que, sans l’écriture, sans les films pour m’exprimer, j’aurais eu des enfants. Mais je ne les aurais pas faits : j’en aurais adopté plein !  » (6).

Outre-Manche, le débat est plus ouvert. Des associations de  » non-parents  » ont même vu le jour, préférant au mot  » childless  » (sans enfant) le mot  » childfree  » (libre d’enfant) pour bien montrer que les adhérents ne souffrent d’aucun manque. En Grande-Bretagne, parmi les childfree célèbres et déclarés, on compte notamment l’acteur Hugh Grant qui fait rimer childfree et sexy !

Parmi la dizaine de témoignages qu’elle a recueillis, Edith Vallée relève, quant à elle, dans l’entretien qu’elle nous a accordé, trois motifs qui poussent la femme à refuser la maternité :  » Il y a celles qui préfèrent se consacrer à leur carrière, qui éprouvent un énorme besoin de liberté, de s’affirmer en toute autonomie et qui élisent une autre voie d’épanouissement : le travail, la créativité, le don à autrui mais pas seulement cela, elles peuvent vouloir se consacrer à l’amour d’un homme par exemple « . Car une non-maternité ne doit pas forcément s’inscrire dans une démarche oblative, à l’instar de celles qui embrassent la carrière religieuse. La femme n’étant pas obligée de se consacrer aux autres pour compenser ! Car cela sous-entendrait que son destin ne s’accomplit que dans le don de soi.

Le deuxième motif, intéressant d’un point de vue psychanalytique, c’est la réactivation de situations difficiles, vécues notamment avec ses propres parents, que suscite l’idée même d’avoir un enfant. Celui-ci résulterait d’un rapport de la petite fille à l’image maternelle, qui est de deux ordres :  » Soit je choisis de ne pas faire d’enfant pour éviter l’affrontement avec ma mère, pour garder son affection. Puisqu’elle est la source du désir du père, je préfère ne pas lui prendre la place, avance Edith Vallée. Soit, au contraire, je suis son enfant merveilleux et je préfère le rester. Les deux hypothèses, complètement opposées, se rejoignent « . Ces deux états induiraient une fragilité de la part des femmes qui ne vont pas se sentir capables de pouponner.  » En fait, soit la petite fille est fascinée, soit elle est sous la coupe de sa mère, souligne Edith Vallée. Or, il s’agit de prendre de la distance avec cette mère. Mais enfanter n’est pas forcément la solution à cette réconciliation. La femme est toujours confrontée à la question de la maternité parce qu’elle est issue d’une femme, ce qui induit un rapport d’identification. Mais le choix de la non-maternité peut donner lieu à un épanouissement très fort qui fait bien plus avancer l’humanité, il est l’occasion de réfléchir à ce qui est important pour soi et en ce sens d’£uvrer à la construction de la liberté humaine.  »

Troisième raison invoquée par ces femmes : le mauvais  » timing « , celles qui disent qu’elles n’ont pas rencontré le bon partenaire, ou qu’elles l’ont rencontré trop tard. Comme si la vie avait décidé pour elles.  » Derrière ces justifications a posteriori se cache malgré tout une absence d’envie, commente la psychologue. Dans ce cas-là, c’est un choix qui n’est pas bien assumé, pas bien clair.  »

la Nouvelle ève

Quel que soit le motif avancé, ce qui apparaît clairement, c’est que la femme dispose aujourd’hui de la liberté de trouver son bonheur autrement qu’à travers des diktats biologiques et culturels et de réorienter ainsi différemment cette énergie créatrice dont elle dispose.  » Ce qui n’altère en rien sa féminité, assure Edith Vallée, qui s’exprime ici en tant que juge et partie. Ce qui fonde la féminité, c’est une relation à l’intériorité, une capacité à participer avec les hommes au pouvoir, c’est-à-dire à s’approprier le phallus, poursuit-elle. Le pouvoir dans ce qu’il est sa capacité à renoncer, à lâcher prise, à connaître ses limites, tout autant que diriger. La féminité serait, selon moi, la capacité à jouir de ce pouvoir à partir de son intériorité. En exhibant leur ventre tel un phallus, la nouvelle génération de femmes cherche à prendre le pouvoir mais elle fait « fausse route », pour plagier l’expression d’Elisabeth Badinter. Il y a en effet d’autres moyens de s’emparer du pouvoir.  »

Selon la psychologue parisienne, depuis le 11 septembre 2001, on observe un retour aux valeurs traditionnelles et familiales.  » Attention, on avance en reculant. Avec cette pression nouvelle en faveur de la maternité, certaines femmes semblent prêtes à renoncer à leur autonomie, remarque-t-elle. Et choisissent de ne plus travailler pour avoir des enfants. Souvenons-nous que le combat féministe n’a pas été facile.  »

Finalement, en poussant le raisonnement à son paroxysme, il est légitime de se demander ce qu’il en est réellement du désir d’enfant. Entre programmation biologique et conditionnement social (quand il ne s’agit pas du désir d’enfant de l’homme qui souhaite une descendance), au bout du compte est-ce vraiment la femme, en pleine possession de son libre-arbitre, qui désire un enfant ? Trente ans après Badinter, la question mérite d’être posée : et si le désir d’enfant n’existait pas ?

Edith Vallée, elle, va encore plus loin, en nous proposant, à la lumière de ces avancées, une relecture du péché originel, scène biblique fondatrice de notre civilisation.  » Comme le fit Eve en touchant au fruit défendu, ces nouvelles Eve jouent, elles aussi, avec l’interdit, nous explique la psychologue. En refusant d’avoir un enfant, elles le font d’une autre manière.  » Car si être mère est  » une mission reçue de la nature « , dixit le Larousse du xixe siècle, la femme non désireuse d’enfanter s’octroierait une liberté jusqu’alors méconnue.  » Elle joue avec la programmation biologique, se donnant la liberté de ne pas se soumettre à ce diktat, préférant aller explorer une nouvelle forme de connaissance, celui de ne pas donner la vie, note la psychologue. Finalement, c’est en renonçant à ce possible-là qu’elle explore le champ des possibles.  » Et, en refusant de jouir du pouvoir de création qui lui a été attribué, elle nargue au passage le Créateur. En somme, comme le relève Elisabeth Badinter dans  » Fausse route  » (7),  » la nature propose et la femme dispose en fonction de son histoire, de ses désirs et de ses intérêts personnels. En cela, elle n’est pas une guenon comme les autres « .

(1) Edition du 13 septembre 2005.

(2)  » Masculin/féminin, volume II. Dissoudre la hiérarchie « , par Françoise Héritier, Odile Jacob, septembre 2002.

(3)  » Les Hommes entre résistances et changements « , par Daniel Welzer-Lang, Yannick Le Quentrec, Martine Corbière et Anastasia Meidani, Aléas Editions, septembre 2005.

(4)  » Un heureux événement « , par Eliette Abécassis, Albin Michel, septembre 2005.

(5)  » Pas d’enfant, dit-elle… « , par Edith Vallée, Editions Imago, 2005.

(6)  » Le Monde 2 « , édition du 17 décembre 2005.

(7)  » Fausse route « , par Elisabeth Badinter, Odile Jacob, mars 2003.

Agnès Trémoulet

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