Longtemps cantonnées aux seconds rôles, les justicières des BD tentent de s’imposer à l’écran par la force et l’humour. Une partition qui reflète les aspirations des femmes aujourd’hui et inspire les créateurs, qui leur doivent tant.

Elle envoie au tapis les terroristes franco-algériano-belges (rien que ça !) et tous les ennemis de la nation, flirte avec Captain America, à l’aise dans sa combinaison en latex noire qui moule ses formes généreuses. Pourtant, quand ils l’ont découverte très amincie sur l’affiche du film, les fans de Scarlett Johansson comme ceux de son personnage, Natasha Romanoff, alias Black Widow (la Veuve noire), la bombe au charme exterminateur de l’écurie Marvel, tous ont crié au scandale.

Une super-héroïne utilisant les pouvoirs de Photoshop ? Intolérable. Dans le monde merveilleux – et très macho – des comics où la combinaison habille aussi bien les filles que les garçons, le corps doit forcément exagérer la différence des sexes. Pas d’inquiétude pourtant : en un week-end, Captain America : Le soldat de l’hiver a engrangé près de 75 millions d’euros de recette, et la Veuve noire continue de tisser sa toile puisqu’on devrait lui offrir bientôt un premier rôle à l’écran. Même annonce pour Mystique, la mutante bleue de X-Men, incarnée par Jennifer Lawrence dans le nouveau volet de la saga, sorti en salles en mai dernier, ou pour Wonder Woman et sa culotte étoilée qui feront leur grand retour en 2016 dans Batman vs. Superman, sous les traits de l’actrice et ex-miss Israël Gal Gadot.

Le temps des super-héroïnes a-t-il enfin sonné à Hollywood ? La question, en tout cas, fait couler beaucoup d’encre.  » Hollywood hésite encore à parier sur des films avec des femmes au premier plan, confiait récemment, au site Jezebel.com, Kristy Guevara-Flanagan, auteur du documentaire Wonder Women ! The Untold Story of American Superheroines. J’espère que des franchises comme Hunger Games vont changer cette perception qui voudrait que des films avec des filles ne peuvent pas faire d’argent.  » Il faut dire que, ces dernières années, les super-héroïnes n’ont pas forcément fait des étincelles au cinéma. Desservies par des scénarios gnangnan (Elektra) ou des costumes confondants de mauvais goût et peu crédibles (Halle Berry en pantalon de cuir perforé et soutien-gorge harnais dans Catwoman), elles ont même raflé les plus mauvais scores du genre, pourtant en pleine expansion. Car c’est un fait : depuis les attentats du 11 septembre 2001, les vieux héros de notre enfance, inventés en 1938 pour protéger les Etats-Unis contre la menace nazie, puis le péril rouge, ont remis leur uniforme pour une démonstration de force sur grand écran. Avec la crise économique (et les super-vilains de la finance), ils ne l’ont plus quitté, suivant le rythme infernal de trois films par an.

Analysés par les sociologues, exposés dans les musées, les super-héros fascinent.  » Ils reflètent des réalités sociales et politiques, on ne peut les séparer de la psyché collective. Aux Etats-Unis surtout, ils incarnent l’indépendance et l’individualisme, mais aussi l’espoir et l’optimisme tout comme la force et l’autorité… Des thèmes qui semblent trouver aujourd’hui un écho chez beaucoup de nos concitoyens « , analyse Andrew Bolton, commissaire de l’exposition Superheroes : Fashion and Fantasy organisée en 2008 au MET, à New York et qui avait montré le pouvoir fantasmatique des personnages de Marvel ou de DC Comics sur les créateurs.

DE PLUS EN PLUS SEXY

Fortes mentalement et physiquement, les super-héroïnes ont toujours défié le schéma de la société patriarcale, qui voulait les voir cantonnées au foyer, et combattu le mal pour sauver le monde. Une attitude qui fait encore mouche aujourd’hui, même si le costume a changé pour s’adapter aux luttes contemporaines : Burka Avenger, la super-héroïne pakistanaise, élue personnage de fiction le plus influent de l’année 2013 par le magazine Time, s’attaque ainsi, totalement voilée, à la corruption et aux islamistes misogynes. Attribut de son pouvoir, sa tenue n’a jamais cessé d’évoluer pour incarner l’idéal féminin d’une époque. Ainsi, Woman in Red, la première héroïne costumée et masquée, créée en 1940 par Richard E. Hughes, porte un fourreau rouge qui rappelle celui des femmes fatales. A ses débuts, Black Widow s’inspirera de Veronica Lake, et même Catwoman (qui, dans ses premières apparitions au côté de Batman, arbore une robe au genou avec des épaulettes) est marquée par l’interprétation que le film noir fait de la féminité.  » Il faut toujours maintenir les femmes à une distance prudente, avouera son créateur, Bob Kane, ou elles s’approprient les âmes des hommes.  »

La naissance de Wonder Woman, en 1941, changera cette idée. William Moulton Marston, son inventeur, est un féministe avant l’heure.  » Il pensait que les femmes pouvaient – et devaient – gouverner et développa un discours féministe adressé aux hommes « , dit de lui son éditeur, Sheldon Mayer. Pas étonnant que le costume de cette princesse guerrière vengeresse des femmes soit un mélange de ceux d’une gladiatrice et d’une pin-up. Sous l’influence de Wonder Woman, le reste des super-héroïnes va se métamorphoser, devenant de plus en plus sexy, ce qui leur vaudra les foudres des ligues de vertu sous le maccarthysme (les personnages masculins sont accusés, eux, de donner le goût de  » l’homosexualité, du communisme et de la violence  » aux jeunes lecteurs), puis celles des féministes. Trop tard : elles font déjà partie de l’inconscient collectif. Leur popularité croissante au cinéma et à la télévision ne tarde pas à inspirer les créateurs de mode : en 1968, le visionnaire Paco Rabanne habille Jane Fonda dans Barbarella tout en chaînes métalliques et PVC transparent. Dix ans avant les bodys d’Azzedine Alaïa ou les corsets outrageusement féminins de Thierry Mugler.

PLUS CHIC, MOINS GEEK

Le nouveau millénaire verra l’arrivée d’une génération de super-héroïnes se livrant à des batailles inédites. Physiquement fortes, elles contiennent leur sensualité dans des combinaisons-armures technologiques très androgynes, comme celles de Catwoman interprétée par Anne Hathaway, d’Invisible Woman-Jessica Alba ou de Black Widow-Scarlett Johansson, incarnation de la super-héroïne contemporaine.  » Elle est un mélange de pouvoir, d’humanité, de force physique, d’intelligence et de sensualité que je trouve très attirant… et très féministe « , dit d’elle Iris van Herpen, qui l’a habillée dans le film de Luc Besson, Lucy – l’histoire d’une mule qui, contaminée par la drogue, se transforme en créature vengeresse, en salles en août prochain.  » J’en avais marre des combinaisons moulantes, j’ai donc imaginé pour elle une robe noire avec un corset en veau velours tressé « , poursuit la créatrice néerlandaise, qui s’est fait connaître pour ses robes futuristes, sortes de sculptures en 3D. Plus chics et moins geeks, les futures super-héroïnes ? Peut-être bien. Démonstration d’ores et déjà sur les podiums. Après les robes en Néoprène du printemps dernier, l’hiver annonce la couleur d’une féminité tout en lignes de force. Robes imprimées des personnages de Star Wars chez Rodarte, cuissardes et jupettes en léopard de cybergladiatrice chez Balmain, un hommage à Rihanna, partisane du style, ou longues capes en flanelle… Pas besoin d’aller au rayon déguisement ni d’enlever le haut comme les Femen pour partir en mission…

PAR CHARLOTTE BRUNEL ET MARTA REPRESA

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