Un appartement-loft dans une ancienne savonnerie bruxelloise. Ici, ce sont les matériaux bruts qui dominent… pour le plus grand bonheur des locataires, amoureux d’architecture.

Gauthier Coton peut être satisfait. Les nouveaux locataires des lieux, à Bruxelles, dont il a signé la transformation sont de véritables amoureux d’architecture, animés d’un niveau d’exigence élevé. Pour preuve, leur précédente résidence était située au sommet d’une des plus belles tours de la Potsdamer Platz, à Berlin.

Originaires de Göteborg en Suède, Mats et sa compagne font partie de ces cadres qui voguent de pays en pays au gré de leurs nominations successives.  » Lorsque nous arrivons dans une nouvelle ville, la compagnie nous met entre les mains d’une agence immobilière chargée de nous « aider » à nous loger, confie Mats… qui a procédé tout autrement en prenant l’initiative des démarches.  » Il y a, non loin de mon bureau, un cuisiniste réputé. Je suis entré dans le magasin et j’ai expliqué ce que je recherchais : l’originalité, l’espace, tout ce qui peut faire penser à un loft. Spontanément, la maison m’a communiqué l’adresse de cinq personnes, des clients ou des auteurs de projet qui travaillent avec elle. « 

C’est ainsi que Mats rencontre Cécile et Emmanuel Degrève. D’origine binchoise, le couple fait partie de ces investisseurs immobiliers au profil nouveau, tourné vers la réhabilitation des sites industriels désaffectés. Les Degrève ont acquis l’ancienne savonnerie Couvreur. Située au coeur de Schaerbeek, celle-ci représente un complexe de 3 500 m2 de bâtiments, achevés au début de la Seconde Guerre mondiale et désertés depuis vingt ans.

L’ensemble du chantier est confié au jeune architecte Gauthier Coton.  » Dès le départ nous avons décidé de faire cohabiter quatre fonctions : le logement, sous la forme de neuf lofts, des bureaux, une salle culturelle et un restaurant, explique-t-il. En fait, on voulait imaginer une petite cité, sorte de nouveau quartier dans la ville. J’avoue volontiers que ce dernier point était un peu utopique. Car même si le quartier s’est amélioré fortement en deux ou trois ans, je ne vois pas encore qui prendrait le risque d’ouvrir un restaurant dans ce coin de Bruxelles. « 

Gauthier Coton s’attaque tout d’abordau plan d’ensemble, c’est-à-dire l’affectation des espaces. L’imbrication des plateaux n’étant pas régulière, on ne peut imaginer une répartition systématique et logique par niveaux, éventuellement lotis en deux ou trois espaces.  » Je tiens beaucoup à m’inspirer de l’esprit d’un lieu, souligne l’architecte. Chose qui paraîtra curieuse, ce sont les locaux disponibles qui m’ont poussé à déterminer les 9 entités de loft. Pour l’anecdote, un immense silo cylindrique en béton, qui accueillait le savon liquide, a été valorisé dans différents lofts. Ici en salle de bains, là en cuisine. « 

Le loft de Mats, lui, illustre bien la manière dont le propriétaire des lieux et l’architecte ont conçu la rénovation. Les matériaux existants – essentiellement la brique mise à nu et le béton – ne sont jamais masqués. Au contraire, le traitement qui leur a été réservé les met superbement en valeur.

 » Les sols sont en plancher de chêne teinté, poursuit Gauthier Coton. Celui-ci a été déposé sur la chape existante, ce qui permet de faire passer tous les câbles, les tuyaux. Mais, pour des raisons tant esthétiques que pratiques, les pourtours des pièces sont longés par des tôles en acier rainurées, telles qu’on en utilise à l’intérieur. Il suffit de les enlever pour retrouver aisément les connexions des branchements.  » Tous ces éléments se retrouvent dans le volume principal, sans doute le plus impressionnant par ses dimensions et par le fait qu’il réunit les trois fonctions classiques des trois pièces en enfilade typiques à Bruxelles : le salon, la salle à manger et la cuisine.

Les occupants ont opté pour un mobilier très dépouillé, valorisant lui aussi l’architecture du loft. Vue du salon, la cuisine s’expose au regard. Mais l’élément le plus remarquable est le plan de travail: une immense tablette quadrangulaire en béton poli au quartz et teinté dans la masse qui sépare l’espace repas de l’espace cuisine proprement dit. Et comme s’il fallait marquer encore cette césure, une dénivellation coupant la pièce dans sa largeur passe par le point médian. Côté salle à manger, les locataires ont disposé des chaises et côté cuisine des tabourets de bar, garnis de gomme caoutchoutée. Ils peuvent ainsi manger haut perché de manière informelle et rapide ou dresser la table pour prendre le temps de se restaurer dans un siège confortable.

Pour les réceptions, reste la possibilité d’utiliser la longue table d’une seconde salle à manger, une pièce théâtralisée. Mats et sa compagne ont en effet choisi un imposant lustre candélabre. Comme nombre d’autres mobiliers, il provient du catalogue de la firme allemande Gunther Lambert. Epatante elle aussi: la structure d’une fenêtre en béton. A la différence des ouvertures en façade, qui ont été remplacées par des châssis contemporains, celle-ci a été conservée. Clin d’oeil à l’univers du Web, elle est éclairée par trois bougeoirs en forme de W en béton que ces Suédois ont trouvé chez Ikea.

L’espace de la salle à manger d’apparat – qui pourrait aussi servir de salon de télévision ou de salle de jeux – n’existait pas en tant que tel. Il est le produit d’une intervention de Gauthier Coton.  » Il représente le solde d’un grand espace communiquant avec le couloir d’entrée, précise l’architecte. Il fallait y abriter deux fonctions : la salle de bains et les toilettes. J’ai choisi de les mettre dans deux parallélépipèdes distincts, aménagés au milieu du carré existant… Un peu comme les nomades du désert peuvent installer leur tente dans un palais. Dans ce cas, j’aime que ces volumes semblent déposés sur le sol. Ils n’ont donc aucun point de contact, ni avec les murs ni avec le plafond. Le soir, leur lumière s’échappe vers la pièce par leur plafond transparent. Et pour être en phase avec les matériaux existants, leur coque est réalisée en cimentage brut, simplement verni pour donner plus de consistance à cette matière.  » Ainsi architecte et occupants ont-ils réussi à donner à ce loft une atmosphère particulière, tirant à merveille partie des matériaux bruts.

Carnet d’adresses en page 128.

Texte et photos: Jean-Pierre Gabriel

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