Chef trois étoiles, Pierre Gagnaire offre à ses hôtes la subtile précision de ses mets. Lui goûte la saveur des mots.  » Sucré-salé « , un superbe ouvrage, lui rend hommage.

 » Pierre Gagnaire : sucré-salé « , par Bénédict Beaugé, Jean-Louis Bloch-Lainé, Marianne Comolli, Yan Pennor’s, François Simon, La Martinière.

Carnet d’adresses en page 112.

En costume noir sous sa veste blanche de cuisinier, la barbe grise effilée, Pierre Gagnaire, 53 ans, arbore l’élégance sereine d’un David Bowie. Pas sûr, d’ailleurs, qu’il s’offusque de la comparaison, lui qui se souvient avoir passé Sun Ra et les Rolling Stones dans son restaurant de Saint-Etienne. Et qui se réjouit, aujourd’hui, de la mélodie plaquée sur sa carte parisienne par le groupe Aston Villa (sur l’album  » Strange « , la chanson s’intitule  » Slowfood « ). Mais plus, peut-être, que la musique, ce sont les paroles qui nourrissent l’univers de ce chef exemplaire.  » Les mots des autres m’ont fait découvrir que cuisinier pouvait relever de la création « , confirme Pierre Gagnaire. Ceux du chroniqueur gastronomique François Simon évoquent, dans  » Pierre Gagnaire : sucré-salé « ,  » des goûts qui se mettent à grimper comme un furet dans une cheminée.  » L’ouvrage collectif est  » compliqué comme ma carrière « , commente sobrement l’intéressé. Qui s’incline devant les photographies de Jean-Louis Bloch-Lainé, superbes compositions sur fond blanc.  » Je ne voulais ni plat ni assiette « , justifie-t-il. Et l’absence de recettes ? Le chef revendique  » une histoire, un esprit « , plutôt qu’une  » énième version  » de la figure rôtie.

Rien de superflu dans le langage de Pierre Gagnaire, qui privilégie les termes (très culinaires) de  » justesse  » et de  » précision « . Et montre un sens aigu de la formule, lorsqu’il résume ainsi son parcours :  » La cuisine a pris une vraie valeur à mes yeux lorsqu’elle a cessé d’être une répétition aveugle de pratiques apprises sans discernement.  » Devenu cuisinier pour assurer la pérennité de l’auberge familiale,  » par nécessité et par sens du devoir « , il décide, pour échapper à l’ennui, de ne plus se fier qu’à son instinct. Qui l’entraîne, au tournant des années 1970, à imaginer les alliances bar – ris de veau ou saint-jacques – réglisse, devenues des classiques.

Trois établissements û deux à Saint-Etienne (ils n’existent plus), un à Paris û et trois étoiles plus tard, Pierre Gagnaire ose tordre le cou aux discours qu’il juge convenus.  » La vérité du produit, lâche-t-il. Dans la Loire, je n’avais pas de jardin pour apprécier la fraîcheur de tomates gorgées de soleil ! Celles pas terribles dont je disposais, j’étais bien contraint de les transformer. N’est-ce pas l’intention première du métier de cuisinier ? » Et, dès lors qu’il peut accéder à  » 2 kilos de ces superbes fruits, comme le relate François Simon, loin de les banaliser, il lui faut au contraire les sublimer « . Ce qui conduit à un fameux détournement û  » L’un des ingrédients majeurs de la cuisine  » , assure Pierre Gagnaire û d’une tomate au sirop, associée à du citron confit et de la compote de framboise, posée sur une délicate feuille de brick.

Fier d’avoir transmis les valeurs simples  » de l’intégrité, de la sincérité et du travail bien fait  » à ses équipes de Paris et de Londres, le plus sincère des auteurs en cuisine rêve  » de resserrer encore plus [son] propos « , quitte, un jour,  » à alléger la carte « . Mais, auparavant, il compte bien, avec son compère le physicien Hervé This (lire aussi pages 38), lancer un débat autour de l’esthétique du goût. Foi de Gagnaire, ce ne sont pas des paroles en l’air !

Aline Cochard

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