Peintre à ses premières heures, Fabiaan Van Severen se consacre désormais à la création de meubles. Rencontre avec un designer belge doté d’un sacré sens pratique.

C’est au 58 de la Krijgslaan, dans les quartiers verdoyants des faubourgs de Gand, que Fabiaan Van Severen a décidé d’aménager son showroom. Ce vaste espace très dépouillé, installé dans une ancienne station service datant des années 1950, met superbement en valeur les créations du designer belge. A quelques jours de l’inauguration de son espace à vivre et à rêver, le maître des lieux explique à Weekend Le Vif/L’Express sa conception personnelle du design.

Weekend Le Vif/l’Express: Pourquoi n’avez-vous pas persévéré dans la voie de la peinture?

Fabiaan Van Severen: Je suis né dans une famille de peintres. Mon père, qui jouit d’une certaine notoriété en ce domaine, m’a enseigné de nombreuses techniques dès mon enfance. J’ai ensuite poursuivi des études de peinture à Saint-Luc (Gand). Très rapidement, je me suis rendu compte que je n’en ferais jamais mon métier. L’art est vraiment trop abstrait et moi, j’ai un caractère résolument pragmatique. Je me rappelle avoir réalisé une installation dont j’étais assez fier. Mais, par la suite, je ne savais pas comment la faire évoluer. Ce n’est pas comme les meubles, qui suscitent sans cesse de nouvelles interrogations. En outre, la création de meubles impose des compromis entre la forme, la matière et leur utilisation. C’est un défi permanent et j’aime relever les défis.

Quelles ont été vos premières réalisations?

Dans ma jeunesse, je pratiquais beaucoup de voile et j’ai eu envie de construire mon propre bateau. Pour y parvenir, j’ai suivi des cours de soudure. Le travail du métal m’a séduit et, pour arrondir mes fins de mois, j’ai commencé à réaliser des châssis de fenêtre et des escaliers pour différents architectes. Dans le courant des années 1980, j’ai organisé la mise en scène d’une discothèque gantoise, le LP. Il s’agissait du premier endroit vraiment high-tech de Belgique. Toute la décoration reposait sur des matériaux très bruts de décoffrage comme le béton, le verre et les fers à béton. Je n’imaginais pas encore faire du design mon métier. Plus tard, on m’a donné l’opportunité de créer des meubles pour une brasserie. Cette expérience m’a définitivement persuadé de devenir concepteur de mobilier.

Avez-vous des matériaux privilégiés?

J’ai fait mes premières armes en travaillant le métal et il reste mon matériau de prédilection. Je maîtrise sa technique sur le bout des doigts et j’en fais tout ce que je veux. Mais, comme je suis plutôt curieux de nature, j’adore me lancer dans de nouvelles expériences. C’est ainsi que j’ai appris à travailler le bois, le verre, la pierre, le cuir et même le plastique. Actuellement, j’essaie de travailler le polyéthylène. J’ai choisi cette matière parce qu’il s’agit du plastique le moins polluant.

Quelles sont vos sources d’inspiration?

Je me nourris de tout ce qui m’entoure. J’apprends également beaucoup de choses en discutant avec les gens qui achètent mes meubles. De nombreuses personnes m’ont, par exemple, demandé si je ne pouvais pas exécuter une version en bois de ma table métallique  » Fold and Profile « . J’ai beaucoup réfléchi à la question avant d’arriver à une conclusion négative. La table originale a été pensée pour le métal, et donc il n’est tout simplement pas logique de la décliner en bois. Mais cela m’a donné envie de dessiner une table dans ce matériau. Pour cela, j’ai dû réapprendre la technique du travail du bois afin de l’utiliser au mieux. Pour le modèle  » Grand Ecart « , j’ai voulu créer un meuble de dimensions généreuses tout en utilisant le moins de matière première possible. En effet, le bois devient de plus en plus rare et je me sens très concerné par l’écologie. Or une grande table doit être équipée d’un plateau très épais si l’on ne veut pas qu’il plie en son milieu. Pour pallier ce problème, j’ai appliqué la technique utilisée pour la construction des ponts. J’ai soigneusement calculé les forces de tension et ce sont les pieds de la table qui exercent la traction nécessaire à la rigidification de l’ensemble.

A quoi reconnaît-on un meuble dessiné par Fabiaan Van Severen?

A sa simplicité et à son évidence, j’espère! J’envisage la simplicité comme un tout. Cela doit couler de source, depuis le dessin d’un meuble jusqu’à sa fabrication et à sa commercialisation. La chaise  » Crossed Legs « , par exemple, est épurée à l’extrême. Les pieds métalliques en croix sont conçus de telle façon qu’ils permettent de tendre le cuir. L’ensemble se met en place très naturellement. Pour moi, une chaise, ce n’est pas une structure de bois enrobée de mousse et de tissu ou de cuir. Ce n’est qu’un vulgaire assemblage. Il faut utiliser les matières pour en tirer la quintessence. Le cuir est une matière noble qui mérite d’être exploitée pour ses qualités intrinsèques. Simplement tendu, sans adjonction de mousses ou de ressorts, il offre un excellent confort. Je me base sur les caractéristiques des matériaux pour créer mes meubles. Un design réussi se doit aussi de respecter la fonction première de l’objet.

Y a-t-il encore des barrières techniques qui vous empêchent d’aller au bout de vos idées?

Oui, bien sûr et c’est très motivant. Je peux ainsi tenter de trouver des solutions innovantes pour continuer à progresser. Pour le moment, je me livre à des expériences sur le polyéthylène afin de lui conférer une certaine rigidité. J’essaie, par exemple, de le combiner avec le métal ou encore d’utiliser des techniques comme le pliage et le profilage. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime me rendre dans des ateliers de production pour voir fonctionner des machines. Elles constituent une inépuisable source d’inspiration.

Comment avez-vous pensé le lit que vous avez créé pour Anker Bedding?

En général, il y a peu de choses à ajouter aux meubles existants. Le marché regorge d’objets bien pensés. Dans le cas du lit, je désirais surtout tirer le meilleur parti des possibilités qu’offre l’usine Anker Bedding. Car c’est cela aussi le job d’un designer. Mon lit est un objet qui ne sert pas uniquement à dormir. S’il assure de parfaites conditions de couchage, il offre également une excellente position de repos pour lire ou regarder la télévision. A cet effet, le lit est pourvu d’un dossier fixe. L’éclairage est un autre aspect important. Je n’aime pas les lampes de chevet, et rares sont celles qui dispensent un éclairage de qualité. J’ai donc eu l’idée de créer des tables de nuit éclairantes qui diffusent une lumière douce et agréable tout en supprimant les zones d’ombre.

Comment envisagez-vous le futur du design?

Je ne me pose pas la question. Les idées fusent lorsque je planche sur un projet concret. Je pense que les meubles connaissent déjà une fin d’évolution. Certaines dimensions comme la hauteur sont déterminées par notre taille et il est impossible de les modifier. A l’heure actuelle, beaucoup de designers créent des lignes qui ne se justifient pas… Leur démarche est un peu gratuite. La création d’une forme nouvelle constitue une démarche passionnante si elle a une raison d’être. En matière de mobilier, la mode ne m’intéresse pas. J’entends créer des meubles qui seront encore d’actualité dans dix ans. D’ailleurs, cela me réjouit de constater que mes premières créations se vendent toujours. Leur caractère intemporel leur permet de se fondre dans tous les intérieurs. Je pars en effet du principe qu’un bon meuble contemporain peut se placer sans problème dans une maison Art déco, par exemple. Un bel objet, c’est comme un vêtement; il suffit de trouver le basique que l’on porte avec plaisir… jusqu’à son usure complète.

Le public belge est-il friand de mobilier contemporain?

Dans l’ensemble, les Belges ont tendance à apprécier le style classique. Ils ont besoin de temps pour s’habituer à la nouveauté. Nos voisins hollandais sont plus impulsifs. Ils craquent très facilement pour des meubles carrément originaux. Mais, souvent, c’est un peu par snobisme, pour le prestige d’une marque ou d’un créateur de renom. Quand les Belges achètent un meuble, ils le choisissent pour la vie. Je trouve cela émouvant.

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Propos recueillis par Serge Lvoff.

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