Les eighties et leurs paillettes, tailles étranglées, épaules carrées. Les années 90 et le jeu sur les volumes… Autant de gimmicks régulièrement revisités par les créateurs. Décryptage.

Flash-back sur le catwalk de Jean Paul Gaultier, lors de la présentation de sa collection printemps-été 2013. Dans un smoking noir déstructuré, une fausse Grace Jones déboule, avant de laisser la place à un Michael Jackson, perfecto rouge, gant doré et chaussettes blanches, suivi de peu par les avatars de Madonna, Annie Lennox et Boy George. Un hommage aux pop stars des eighties qui ne manque pas de réveiller des souvenirs dans la salle et engendre, dès lors, un tonnerre d’applaudissements, à la fin du show. Cette décennie n’a pas été choisie par hasard par l’enfant terrible de la mode française. C’est à cette époque que ce dernier fait le plus parler de lui, lorsqu’il dessine par exemple les costumes de scène de personnalités comme Madonna.  » C’est un des créateurs les plus importants des années 80, indique Florence Müller, historienne de mode à l’IFM, l’Institut français de la mode. Il y a donc une légitimité à ce que ce soit lui qui propose une relecture de cette période.  »

Ce mouvement revival n’est évidemment pas neuf. Il y a trois ans, le label italien Dolce & Gabbana remettait au goût du jour les épaules carrées en vogue dans les années 40 et 80. A l’été 2011, ce sont les seventies qui étaient célébrées par de nombreuses griffes. Un an plus tard, les fifties étaient portées aux nues par Prada. Le signe d’un manque criant de créativité ?  » Pas du tout, considère Florence Müller. S’il est vrai qu’il n’est pas toujours facile de proposer des idées inédites jusqu’à dix fois par an, il faut bien se dire qu’il n’existe pas de créations ex nihilo. Ces retours en arrière sont dès lors indispensables au renouvellement de la mode.  »

Tout le monde s’inspire de ce qu’il a vu, entendu, senti.  » Ces cycles ne constituent pas un défaut propre à notre époque, poursuit l’historienne. C’est quelque chose qui a toujours existé.  » Même les looks des années 60, proposés par Courrèges, Cardin, Paco Rabanne ou Mary Quant, et souvent considérés comme révolutionnaires, ont largement été soufflés par les années 20, lorsque les jambes et les bras commençaient à se dénuder, le look garçonne, à apparaître…

UN VENT DE NOSTALGIE

Généralement, ce sont leurs années de jeunesse qui stimulent les créateurs. A moins qu’ils ne puisent leur inspiration dans une époque qu’ils n’ont pas connue et qu’ils imaginent de façon sublimée. Pour autant, l’adhésion du public ne se fait pas toujours du jour au lendemain.  » Plusieurs relectures sont nécessaires pour que le revival soit accepté, indique la Française. Cela peut s’étaler sur plusieurs saisons, voire des années. Ces citations du passé sont d’autant plus difficiles à intégrer qu’elles interviennent lorsque la tendance initiale est encore portée par certaines personnes de la rue.  » On les retrouve à la fois sur les ringards et les pointus… A noter, toutefois, que ces références ne sont jamais littérales, c’est d’ailleurs là leur intérêt.  » Ne fût-ce que parce que certains détails – le maquillage, la coiffure ou la typologie des mannequins – ont fortement évolué, souligne Florence Müller. De ces années révolues, les créateurs vont extirper certains éléments seulement, qui les intéressent plus particulièrement.  » Des années 90, c’est le mouvement minimaliste qui est principalement retenu.  » Avec la réinterprétation qui en est faite depuis plusieurs saisons, le message est différent. L’apport de la couleur, façon color blocking, enlève le caractère austère et froid de la décennie citée. Le rendu est également plus pragmatique ; on imagine un beau vêtement portable qui va plaire.  » Pour les eighties également, le temps a fait son oeuvre. On ne garde souvent que l’impression de fête, avec les paillettes, détails flashy et vêtements près du corps. Et qu’importe si le noir avait aussi la cote à ce moment-là…

 » Ces mouvements temporels permettent des mutations inédites, conclut l’experte. On prend différentes époques qui a priori n’ont rien à voir entre elles, pour les croiser et les faire muter. C’est d’une richesse inouïe.  » Et ce ne sont pas les consommateurs qui diront le contraire, eux qui sont toujours friands de nostalgie et peuvent ainsi échapper à la trivialité du quotidien, en se rêvant star du clubbing des années 80.

PAR CATHERINE PLEECK

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