Sofie d’Hoore, pour le denim. Aleksandra Paszkowska, avec des matières innovantes. Marina Yee, en déclinant le vintage. Valérie Berckmans, Marie Cabanac ou Satya par engagement… La mode belge se met au vert.

Tilleul chez Dior, gazon chez Kenzo, kaki chez Dries Van Noten, anis chez Cathy Pill et carrément fluo chez Girls From Omsk… Longtemps boudé par les créateurs, le vert dans toutes ses nuances entre par la grande porte dans les collections été 2007. Mais la tendance ne se limite pas à une question de couleur. Aujourd’hui, après avoir conquis les frigos et pris d’assaut les salles de bains, la marée verte gagne les garde-robes. Alors que la planète n’a jamais été aussi près de l’asphyxie, la mode mise de plus en plus sur le  » close to nature « . Même la grande distribution n’y échappe pas. Phénomène inimaginable il y a quelques années, les Zara, H&M et autres grands gourous de la production de masse proposent cette saison des mini-collections en coton bio. A côté de cela, certains créateurs belges, petits poucets aux antipodes de ces géants  » verts « , flirtent avec l’éthique depuis plus longtemps. Même si leur démarche reste parfois confidentielle.  » La mode et l’éthique ont souvent été vues comme deux mondes incompatibles, souligne Valérie Berckmans, installée depuis septembre dernier dans le très trendy quartier Dansaert, QG des créateurs bruxellois. La mode était perçue comme quelque chose de superficiel et consumériste par le commerce équitable, et l’éthique traînait une réputation de préoccupation écolo-baba, loin des tendances. Mais les choses sont en train de changer, des passerelles se créent.  » Pour preuve, le Belgian Fashion Fair, salon destiné aux professionnels de la mode dont la deuxième édition s’est tenue à Bruxelles fin janvier dernier, et son aile Fair Fashion Fair, où les créateurs ont présenté leurs vêtements et accessoires  » équitables « .

Bruxelles, Paris, New York et São Paulo

Sur le plan international, on pointe aussi le succès de l’avant-gardiste Ethical Fashion Show, lancé à Paris en octobre dernier : septante-cinq griffes, parmi lesquelles bon nombre de belges, y étaient représentées. On peut déjà parier sur la réussite de l’édition de ce mois de mars. Même engouement à So Ethic, la section fairtrade de Prêt-à-Porter Paris, autre grand raout de la mode qui s’est tenu au début de ce mois. A New York, au même moment, les créateurs les plus en vue se mobilisaient pour le projet Limited Edition, destiné à rassembler des fonds pour The Climate Project d’Al Gore. Paul & Joe et Marc Jacobs, entre autres, ont ainsi créé une collection en édition limitée disponible dès cet été, tandis que Gwyneth Paltrow, Christy Turlington et Kate Moss ont chacune sérigraphié des tee-shirts exclusifs. Mais si les créateurs se mettent au vert dans la Big Apple comme à Paris et Bruxelles, on est encore loin d’une démarche globale, comme on l’a observée lors de la semaine de la mode qui a eu lieu fin janvier dernier au Brésil. La vingt-deuxième édition de la São Paulo Fashion Week était en effet placée sous le signe de l’éthique chic. Les visiteurs y étaient invités à calculer le volume de gaz carbonique qu’ils émettent chaque année et recevaient des conseils pour réduire leur empreinte biologique. Les organisateurs, quant à eux, ont planté plus de quatre mille arbres dans une zone dévastée de la forêt tropicale, afin de neutraliser l’impact de l’événement sur l’environnement. Sur les podiums, enfin, le cuir végétal, le coton bio et les teintures naturelles étaient à l’honneur. D’autres stylistes ont carrément joué la carte des matériaux alternatifs, avec des étoffes réalisées à partir de bouteilles en plastique recyclées.

Des clichés tenaces

La récup’, Marina Yee connaît. Et elle n’a pas attendu la tendance actuelle qui pousse les bobos à la  » no-conso  » pour s’y mettre. A tel point que la marque de fabrique de la plus vintage des  » Six d’Anvers  » consiste à créer des modèles à partir de vêtements déjà portés.  » Je suis très réceptive à l’humain, à l’éthique, à l’engagement, nous dit-elle. Des principes sur lesquels tout le monde est d’accord, mais que trop peu appliquent, en particulier dans l’univers fashion !  » Prof à la section mode de Saint-Luc à Tournai, elle invite aussi les écoles de stylisme à faire travailler les étudiants au départ de coton fairtrade plutôt que sur du  » made in Hong Kong « .  » Malheureusement, la recherche d’un faible coût prime sur l’intérêt envers une démarche plus juste « , regrette Marina Yee. Parmi les freins à l’expansion d’une mode éthique, la créatrice pointe notamment le cliché hippie qui colle encore au commerce équitable mais aussi le choix restreint de tissus.  » Les créateurs sont des gens gâtés, ironise-t-elle. Ils sont habitués à une qualité, à une diversité, et ne sont pas prêts à entendre, comme le disent encore trop souvent les labels éthiques, que  » du coton c’est du coton « . La gamme bio est trop basique, l’éventail des teintes encore trop pauvre.  »

La limitation dans les couleurs est un obstacle que connaît bien Martine Ernoux, fondatrice de Satya et lauréate 2006 d’un des deux Be Fair Awards, prix récompensant les meilleures initiatives belges dans le domaine du commerce équitable. En vraie passionaria de l’éthique, la styliste ne se contente pas de recourir à des tissus bio : il faut aussi que ceux-ci soient tissés à la main dans des conditions respectueuses de l’humain (elle travaille avec Agrocel, partenaire indien d’Oxfam) et teints à partir de colorants végétaux.  » Avec ces couleurs-là, on ne s’inscrit pas dans une démarche où priment les diktats de la mode, qui change de gamme tous les six mois, reconnaît Martine Ernoux. On est forcément moins éphémère, car les couleurs sont limitées : j’ai à ma disposition de l’indigo, du kaki, de l’orangé et du jaune safrané. Mais de toute façon, on ne peut pas faire du pur fashion si on veut répondre aux critères éthiques comme la durée de vie d’un produit, sa production artisanale…  »

Un point de vue que Marie Cabanac, qui a lancé sa griffe Ethic Wear en 2003, approuve tout en le nuançant :  » Il est vrai qu’on inverse le processus de consommation habituel, dans le sens où le vêtement est conçu de manière à durer le plus longtemps possible. Mais ce n’est pas pour cela qu’on ne propose pas de nouveaux modèles ou qu’on ne suit pas les tendances. Et les gens achètent !  » Dans sa boutique de la rue des Chartreux, dans le quartier  » modeux  » de la capitale, elle propose sa griffe mais aussi d’autres lignes répondant aux critères bio et équitables. Selon elle, les obstacles rencontrés par qui veut défendre une mode  » verte  » sont autres :  » Les fournisseurs sont plus difficiles à trouver que dans la mode conventionnelle. Quand on en choisit un, on doit faire preuve de beaucoup de rigueur pour s’assurer que toute la chaîne respecte nos valeurs, tant sur le plan environnemental qu’au niveau des conditions de travail. Par ailleurs, dès la conception du vêtement, j’imagine des coupes qui nécessitent un temps de travail réduit : toute ma ligne, à l’exception d’une expérience-pilote menée à Calcutta, est réalisé en Belgique, où le coût salarial est parmi les plus élevés au monde. Mais les contraintes amènent à développer l’imagination et la création.  »

Convaincus mais pas extrémistes

De son côté, Sofie d’Hoore, styliste belge qui monte, prône une certaine dichotomie. Elle se dit sensible à la démarche éthique, qui en outre  » correspond bien à l’image assez pure, simple « , qu’elle souhaite imprimer à sa collection. Mais pas prête pour autant à proposer une ligne entièrement bio. Selon elle, les popelines de coton extraordinairement fines qu’elle affectionne ne sont, par exemple, pas le point fort des producteurs bio, plus au fait des tissus bruts.  » Par contre, leur denim rend très bien. En général, je ne suis pas très jeans mais là j’ai été conquise « , s’enthousiasme Sofie d’Hoore. Depuis, elle souhaite introduire ce tissu dans la partie  » sport  » de sa collection. Elle a donc demandé au label Max Havelaar de travailler en direct, pour éviter le souci de l’approvisionnement, toujours plus délicat s’il se fait en dehors des grands salons dont les créateurs sont coutumiers.

Les matières modernes pour lesquelles elle a opté avec Y-dress pourrait laisser penser qu’Aleksandra Paszkowska se situe en dehors du courant  » écolo « . Erreur : la Belge qui s’est imposée sur le marché international insiste sur la nécessité d’être cohérente, avec elle-même et avec sa clientèle.  » Dans ma vie comme dans ma collection, explique-t-elle, la spontanéité et le bien-être sont mes fils rouges. Je mets donc un point d’honneur à ce que ceux qui travaillent pour Y-dress, de la vendeuse au producteur de tissu, évoluent dans des conditions équitables.  » Toute sa production se fait donc en Europe, avec des matières certifiées aux normes. Il y a quelque temps, Aleksandra Paszkowska a aussi découvert la viscose de bambou, tissu  » nature friendly  » qu’elle utilise beaucoup.  » Pour les pièces plus sport, je ne condamne pas le synthétique, précise-t-elle. Contrairement aux idées reçues, certaines matières techniques sont peu polluantes et nécessitent peu d’énergie pour être produites.  »

Clients éclectiques

Si Valérie Berckmans propose actuellement une collection à 30 % bio, elle entend bien poursuivre dans la voie de l’éthique.  » Le chanvre et les teintures végétales ne me correspondent vraiment pas, reconnaît-elle. Mais, en cherchant bien, j’ai récemment trouvé une très belle gabardine de soie. Tout se développe, notamment par le biais de distributeurs comme Stof en Aarde, qui ont compris que branchitude et respect de la planète sont compatibles. Je mise aussi sur la récupération, avec les pulls achetés aux puces et dans les ventes de stock que je fais feutrer pour y découper des mitaines et des écharpes. J’espère ainsi pouvoir présenter une collection à 70 % éthique très rapidement.  » Visionnaire, Valérie Berckmans ? En tout cas à la pointe de la tendance, à en croire la récente étude menée en France par le cabinet Ethicity. 65 % des sondés s’y disent prêts à privilégier des griffes  » qui ont une véritable éthique « , contre 47 % il y a deux ans à peine. Et, surprise, les 62 % d’acheteurs potentiels de cette mode  » conscientisée  » sont loin d’être tous des militants pro-écolo (14 %) ou des altermondialistes (21 %). La majorité d’entre eux sont des citoyens ordinaires de Chic Planète.

Delphine Kindermans

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