Plus encore que ses jungles mystérieuses et ses plantations de thé mythiques, ses plages blondes et désertes, la  » perle de l’océan Indien  » possède une richesse qui la rend inoubliable : son peuple, fier et joyeux. Une destination émouvante, à découvrir au plus vite !

« J’ai visité le paradis « , s’extasiait Anton Tchekhov quand il parcourut Ceylan, en 1890. La citation trône avec son portrait dans le hall de l’hôtel Galle Face, qui est à Colombo ce que le Taj Mahal Palace est à Bombay : un symbole de splendeur et de poussière. Ses couloirs fanés ouvrent sur la mer et sur les quais, qui, au soleil couchant, se couvrent de badauds. Il n’y a qu’un tout petit ruban de plage, mais qu’importe : les ados se poussent dans l’eau en riant, avant d’aller croquer crabes frits et beignets de crevettes face aux gros rouleaux de l’océan Indien.  » Hello, where are you from ? « La question fuse à tout moment, les sourires sont encore plus nombreux. Au Sri Lanka, jamais seul, constamment materné, le voyageur fait l’expérience d’une incroyable douceur. Difficile d’imaginer que ce peuple vient de traverser trois décennies de cauchemar – vingt-sept ans de guerre civile (entre 80 000 et 100 000 morts, selon l’ONU) et, en 2004, un tsunami qui a coûté la vie à 35 000 personnes.

Sur les routes déjà reconstruites qui sillonnent le centre de l’île – moins endommagé par la guerre que le nord et l’est -, le bitume trace un lacet impeccable entre des jardins de bananiers et de frangipaniers, tableaux dignes du Douanier Rousseau. L’air, humide, est une quintessence d’Asie – mélange capiteux de parfums des fruits et des fleurs. Jaunes, vertes ou bleues, les anciennes maisons coloniales paressent sous des hibiscus géants. Quatre cent cinquante ans de présence portugaise, hollandaise puis britannique ont façonné le paysage. Jusqu’à Kandy, trois heures de route font défiler rizières, hameaux proprets et les silhouettes de femmes en sari blanc, d’hommes en longyi imprimé façon tartan, d’enfants en uniforme immaculé. Subjugués par leurs sourires, nous les suivons jusqu’à l’école pour les voir s’agenouiller sous le Ficus religiosa, réplique de l’arbre sous lequel Bouddha parvint au nirvana. Vision idyllique et idéalisée, sans ordures ni vaches sacrées.

Apparaissant entre les collines nappées de forêts, des pagodes bâties au bord du lac de Kandy semblent reposer comme à l’époque de Lord Mountbatten, le dernier vice-roi des Indes. Sa demeure est d’ailleurs toujours là, à deux pas des halls défraîchis du Queens Hotel, et surtout du temple de la Dent du Bouddha. C’est le saint des saints religieux et spirituel, le vrai coeur du pays, où la foule vient jour et nuit adorer une relique. Son accès, aussi protégé qu’une frontière, rappelle le souvenir de l’attentat des Tigres de libération de l’Eelam tamouls qui endeuilla la ville en 1998 et combien ici la douceur est fragile.

La route grimpe dans les collines parfumées en direction des célèbres plantations de thé. A une centaine de kilomètres de Kandy et 1 300 mètres plus haut, les voici. Tapissées à perte de vue de buissons ronds, d’hévéas et de pins, les collines et les montagnes déroulent des paysages d’estampes. Mais les noms des  » estates « – Palmerston ou Somerset, Mayfield ou Drayton – rappellent qu’on est plus près de Big Ben que du mont Fuji. C’est ici, sur 2 000 hectares de cultures en terrasses, qu’est produit le fameux thé, cueilli à la main depuis le XIXe siècle. Au coucher du soleil, la route enchantée prend fin entre des manoirs Tudor et des jardins manucurés : c’est Nuwara Eliya, la  » petite Angleterre « , où les riches Cinghalais perpétuent les traditions des anciens colons britanniques, du tea timeaux courses de chevaux. Comme eux, on met sa petite laine pour jouer au whist devant le feu de cheminée du Grand Hotel. Le lendemain, on redescend vers l’océan Indien et les plages. La route file droit vers Galle, le long d’un ruban blond étincelant de lumière. Ourlé de cocotiers et de palmiers, ce rivage parfait est aussi beau qu’on l’imagine, mais curieusement désert.

La voiture traverse des hameaux fantômes, souvenir du tsunami : les rescapés ont été relogés à 2 kilomètres des côtes, devenues depuis comme un cimetière sans épitaphes. Sur les remparts du fort de Galle, deux jeunes pêcheurs athlétiques jouent à rejoindre les tortues et les dauphins une vingtaine de mètres plus bas. Ranga avait 18 ans quand la grande vague a tiré la mer jusqu’à l’île d’en face, chose inouïe. Il raconte comment les gens ont envahi la plage pour ramasser les poissons.  » Moi, j’ai foncé vers la ville. Dans la rue, j’ai été rattrapé par la vague qui revenait, regardez la cicatrice qu’elle m’a laissée sur l’épaule ! Mon grand-père vendait les poissons au marché, on ne l’a jamais retrouvé. Mais mon père, qui pêchait en haute mer, n’a rien senti.  » Puis il touche le sol, se signe, et s’élance en riant, bras en croix, dans l’écume et les rochers, sous les applaudissements de la foule.

PAR NATHALIE CHAHINE

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