Située dans la Manche, à l’est de Guernesey, et à quelques kilomètresseulement à l’ouest des côtes du Cotentin, l’île de Sercq se découvre à pied, à vélo ou… en calèche ! Dépaysement garanti et vivifiant entre longues balades dans les landes et thé brûlant accompagné de scones.

Le bateau, qui part de Guernesey, zigzague entre écueils acérés et roches affleurantes dont les abords de l’île sont hérissés. À l’approche du port, on découvre non sans surprise les 5 km2 de Sercq, festonnée de falaises abruptes qui s’élèvent parfois à plus de 100 m au-dessus de la mer. L’île, avec un naturel devenu rare, est émaillée de vues à couper le souffle et de sentiers dont les à-pics plongent sur des criques minuscules et sauvages. Au fond de baies étroites, des petites anses abritées prolongent les rencontres parfois brutales entre mer et falaises déchiquetées. Les chemins aux parcours abrupts et les sentiers ventés serpentent dans les bois et les landes d’ajoncs avant d’atteindre les rivages dans une douceur climatique pourtant surprenante. Un microclimat existe bien ici. Pas de gel, mais un air vivifiant,  » tempéré « , disent les Sercquiais, oubliant les colères marines.

Promenadesà en chars à bancs

Le matin, le minuscule port de Maseline, le seul en eau profonde, déverse son petit lot contingenté de touristes randonneurs et amoureux de la nature, qui viennent passer la journée. Ici ni voiture ni taxi, cela fait partie du charme de l’endroit. Des chars à bancs tirés par un tracteur vous brinquebalent sur le haut du plateau et vous déposent sans façon au carrefour de La Collinette où se trouve le centre animé de l’île.

Après, à vous de choisir : calèche confortable, accompagnée de ses plaids écossais, pour un rythme tranquille au son des sabots de l’imposant cob bercé par l’accent rauque du cocher ; bicyclettes (en très bon état) pour une balade dynamique ou… votre bonne paire de chaussures de marche pour une grande randonnée où vous croiserez quelques antiques tracteurs autorisés seulement pour les travaux agricoles et les transports de marchandises. Il faut se perdre sur les chemins enchâssés d’arbres inclinés par le vent et flâner dans les ravissants jardins de la Seigneurie, se promener de Petite à Grande Sercq reliées par La Coupée. Cet insolite isthme étroit ne fait que trois mètres de large et surplombe un vide d’une centaine de mètres ! Ici et là des petites fermes proprettes, des cottages fleuris, des bocages préservés et partout rhododendrons, azalées, genêts et camélias font de Sercq un jardin extraordinaire. Paradis des naturalistes dont les plus audacieux exploreront des grottes gigantesques accessibles lorsque la marée le permet. Pour le salut de votre âme, ne ratez pas un petit détour par l’église Saint-Pierre dont les prie-Dieu et les coussins ont été brodés par les gardiens du phare de la Pointe Robert.

Les boutiques ? Bien sûr qu’il y en a. La plupart d’entre elles se trouvent sur The Avenue – c’est comme cela que les Sercquiaises ont baptisé avec humour cette microscopique et unique rue principale. Jalonnée de petites échoppes, de rares épiceries, d’un salon de coiffure, de bijoutiers sans oublier les boutiques de souvenirs et d’artisanat local où se mêlent pulls en laine, poteries en grès et bois tourné. Les petits bistrots fleurent bon les effluves de pâtés en croûte et de tourtes artisanales, les salons de thé exhalent les parfums subtils des thés verts et des scones maison. Et dans cet insolite décor de film des années 50, il faut repérer les deux banques, qui ressemblent plus à des petits cottages fleuris qu’à des réserves de la Brink’s… bien sûr sans distributeur automatique !

Au petit matin, l’île semble vous appartenir

Il faut passer une nuit sur place car le temps s’arrête en fin de journée quand les touristes sont repartis. Un moment privilégié de silence dans une nuit d’encre, les petites rues n’étant pas éclairéesà La flamme vacillante d’une lanterne de calèche rentrant vers l’écurie, le tintement de la sonnette d’un cycliste, il est temps de prendre un dernier verre dans l’un des deux pubs de l’île où une pancarte pince-sans-rire rappelle aux non-fumeurs  » qu’il y a plein d’air frais dehors « . La cloche sonne, indiquant l’heure de rentrer dans un des nombreux Bed and breakfast, hôtels de charme ou chambres d’hôtes à la décoration toute britannique, parfois un peu désuète, mais qui participe au dépaysement espéré. Après un vrai petit déjeuner  » britannique « , savourez le matin car l’île est à vous, et aux 610 habitants qui s’échangent des politesses matinales et houspillent les écoliers enfourchant à la hâte leur vélo d’où dépasse leur lunch box.

Féodalité et paradis fiscal

Les Anglais ne pouvant rien faire comme tout le monde, Sercq a été pendant des centaines d’années gérée par un système féodal et certaines lois datant du xvie siècle sont restées inchangées. Les îliens doivent allégeance à sa majesté la Reine… qui porte le titre de  » Duc de Normandie  » ! L’île s’autogouverne, s’autofinance et possède sa propre législation (parfois moyenâgeuse), mais a parfaitement assimilé les régimes fiscaux contemporains, tout en restant loyale à la Couronne d’Angleterre. En 2007, on recensait 23 000 sociétés domiciliées à Sercq et quelque 500 boîtes aux lettres de sociétés offshore. Pas d’impôts sur le revenu, mais un impôt sur le capital et le foncier. Mais ce n’est pas pour sa fiscalité que nous aimons Sercq. Plutôt pour son caractère authentique et bien marqué, son patois anglo-normand qui la démarque des autres îles anglo-normandes, son style décalé, sa nature spontanée et authentique, et ses petites maisons à l’échelle de l’île. Victor Hugo, qui l’a observée pendant ses dix-huit années d’exil du haut des fenêtres de son atelier aimait décrire :  » ces morceaux de France, tombés dans la mer récupérés par l’Angleterre  » ! Sark en anglais, Sercq en français. Et rappelez-vous : ne dites surtout pas à un habitant de l’île qu’il est anglais !

PAR CLÉOPHÉE DE TURCKHEIM / PHOTOS : JEAN-MARC PALISSE

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