L’expérience est connue en psychologie : si vous demandez à une personne de ne surtout pas penser à un ours blanc, elle finira par y penser paradoxalement beaucoup plus que si vous ne lui aviez rien demandé du tout. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Un peu comme si on cherchait à retrouver sans cesse ce que l’on veut ou plutôt ce que l’on doit délibérément fuir. Pareil pour la mode. Si vous demandez à une fashion victim de ne surtout pas suivre les dernières tendances vestimentaires (histoire, par exemple, de ménager son portefeuille), il y a de fortes chances qu’elle redouble d’efforts pour épouser au mieux le look smart du moment. En l’occurrence, ce n’est pas la silhouette ours blanc, mais c’est le blanc tout court qui s’impose, cette année, comme la couleur-phare de l’été ( lire pages 124 à 133). Bref, la mode vampirise l’individu. Elle le rend accro et se révèle délicieusement insidieuse. Tout comme elle est  » superficielle, risible et dispensable « , pour reprendre les termes caricaturaux généralement avancés par les casseurs de mode. Certes. Mais la mode est aussi et surtout un lien social. Un long fil invisible qui relie les personnes d’une même époque sur un territoire plus ou moins délimité. Autrement dit, la mode est l’instantané textile d’un point précis de l’espace-temps, le Polaroid élégant d’une société définie par la même culture. Aïe, le mot est lancé. Et en terre modeuse, on aurait presque peur de voir un extrémiste de l’intelligentsia bien-pensante sortir son revolver… Et pourtant, la mode EST culturelle, qu’on le veuille ou non. Doublement culturelle. Parce qu’elle traduit, d’une part, la démarche artistique d’un créateur qui a choisi de s’exprimer par le vêtement (là où d’autres passionnés choisissent la peinture, la musique ou le cinéma) et, d’autre part, parce qu’elle reflète forcément l’air du temps humé par ses contemporains. Oui, mais la mode est tricheuse, me direz-vous, sceptiques. Car elle ne retient que le beau, les mannequins et le rêve. Pas toujours. Elle est aussi, parfois, le témoin de nos belles imperfections et le relais de notre superbe banalité. A l’instar du bouillonnant John Galliano qui, cette saison, a créé l’événement en invitant, sur le podium de sa marque éponyme, jeunes et vieux, minces et gros, nains et jumeaux à porter ses dernières créations flamboyantes ( lire pages 56 à 68). Une belle bande de freaks élégants dont le message semblait être que la mode est forcément accessible à tous et peut donc se moquer, à l’occasion, des traditionnels canons de la beauté formatée. Jolie façon de dompter l’ours blanc, momentanément.

Frédéric Brébant

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content