Très attendu, le biopic  » non officiel  » de Bertrand Bonello consacré à Yves Saint Laurent arrive sur nos écrans ce 24 septembre. Les costumes, on s’en doute, y jouent un rôle central. Un travail de reconstitution visuelle minutieux signé Anaïs Romand.

Pierre Bergé espérait l’interdire. Ni plus ni moins. En dépit des manoeuvres d’intimidation de celui qui fut l’associé et le compagnon d’Yves Saint Laurent jusqu’à sa mort en 2008, des menaces de procès qu’il publia sur son compte Twitter, arguant du droit moral qu’il détient sur l’oeuvre du créateur, son image et la sienne, le Saint Laurent de Bertrand Bonello a malgré tout vu le jour. Et son refus de se presser pour sortir avant la version de Jalil Lespert a même, finalement, été récompensé par une sélection officielle au dernier Festival de Cannes. A y réfléchir, la complexité même du personnage, son côté  » romanesque et viscontien  » valaient bien deux films. Et certainement pas une guerre de tranchées – une de plus, après celle sans pitié qui opposa le Coco avant Chanel d’Anne Fontaine au Coco Chanel et Igor Stravinsky de Jan Kounen – soldée pour les deux productions par de solides coupes de budget. Voir le sien quasiment réduit de moitié – des 15 millions d’euros annoncés, Bertrand Bonello n’en aura que 8 – n’arrêta pourtant pas le cinéaste qui se trouva confronté à un autre problème. A défaut de pouvoir lui interdire toute reproduction des modèles Yves Saint Laurent – le film a en effet reçu la bénédiction François-Henri Pinault, le patron du groupe Kering qui détient la griffe aujourd’hui -, Pierre Bergé lui ferme les portes de la Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent, lui empêchant ainsi l’accès aux archives de la maison. Une contrainte dont la créatrice de costumes Anaïs Romand a su tirer plus que le meilleur. Explications.

Saviez-vous dès le départ que vous auriez le droit de reproduire tous les modèles d’Yves Saint Laurent que vous vouliez ?

Evidemment ! Et nous ne sommes pas non plus partis de rien. J’ai eu la chance d’avoir dans mon équipe Olivier Châtenet. Ce collectionneur privé – il possède plus de 3 000 pièces Yves Saint Laurent vintage, principalement du prêt-à-porter – a fait la démarche de venir vers nous parce qu’il aimait beaucoup le travail de Bertrand Bonello. Didier Ludot, pour sa part, a même accepté de me prêter trois robes haute couture de sa collection personnelle. N’oublions pas qu’il s’agit d’abord et avant tout de cinéma. Les personnes qui nous ont aidés ont tout simplement refusé d’entrer dans les querelles de Pierre Bergé.

Etait-ce la première fois que l’on vous demandait de recréer l’univers d’un créateur de mode ?

Oui. Et habiller Yves Saint Laurent et tout son entourage, c’était franchement intimidant. Alors je me suis accrochée au scénario. Il fallait que la mode soit présente mais comme une évidence, que les acteurs se glissent dans les vêtements avec naturel et nous séduisent en 2014. J’ai toujours oeuvré dans une optique de cinéma. Je fais un travail de costumière, pas de créatrice de mode. Ici, tout passe par l’image en mouvement. On n’est pas du tout dans le cas de figure où des pièces immobiles vont être scrutées dans la vitrine d’une exposition. L’impression de réalité vient aussi du mélange de toute la mode de cette époque-là portée par les nombreux figurants dans les scènes où il y a beaucoup de monde.

En quoi était-ce différent que de faire les costumes d’un  » simple  » film d’époque ?

C’était à la fois passionnant de devoir reproduire au mieux pour l’écran le travail de quelqu’un et en même temps assez ingrat car votre part créative est plus limitée, justement parce qu’il faut respecter au mieux ce que ce créateur a voulu faire. Tout l’art consistait ici à donner l’illusion d’avoir en face de soi des robes haute couture qui tiennent le coup à l’image… réalisées sans les moyens de la haute couture ! Le travail en amont de Bertrand Bonello et de Josée Deshaies (NDLR : le chef-opérateur) pour décider des moments où la caméra allait s’attarder sur les matières, d’autres où le mouvement allait aider, des plans plus lointains qui pouvaient permettre des  » trompe-l’oeil  » m’a permis de traiter ces collections dans l’optique d’un film.

En pratique, comment avez-vous procédé ?

J’ai commencé à travailler sur le projet certainement plus de six mois avant le début du tournage. A la lecture du scénario, on se rend rapidement compte de ce qui va être filmé de près ou de loin, de ce qui sera plus statique… Cela permet de déterminer quels seront les vêtements dont il faudra peaufiner davantage les détails. Je me suis aussi appuyée sur l’extraordinaire documentation d’époque que possède Olivier Châtenet, ce qui m’a permis d’éviter de passer trois mois à faire des recherches en bibliothèque ! Heureusement aussi, la mode Saint Laurent m’était familière, notamment grâce aux nombreuses expositions qui lui avaient été consacrées.

Est-ce vrai que vous aviez votre propre atelier de fabrication ?

En effet ! Pendant trois mois, nous avons fait un gros travail de coupe, d’échantillonnage de tissus sans jamais tricher sur les matières nobles car rien ne peut remplacer la lumière et le tombé d’une vraie soie. L’autre pôle costumes devait se charger d’imaginer la garde-robe des différents rôles, en tenant compte du fait que ces personnages avaient réellement existé et en s’assurant que les vêtements puissent être portés par les acteurs qui allaient les incarner. Pour certains d’entre eux, il s’agissait d’un mélange de pièces authentiques des bonnes années du créateur, 60-70, de reproduction ou d’originaux d’autres designers comme Chloé, Cacharel, Emmanuelle Khanh ou même Renoma, une marque qu’il aimait beaucoup. Pour Gaspard Ulliel (NDLR : Yves Saint Laurent dans le film) par exemple, nous avons trouvé dans la collection d’Olivier Châtenet un smoking et plusieurs costumes qui lui allaient parfaitement. Amira Casar, qui interprète Anne-Marie Muñoz, la directrice du studio, et Aymeline Valade, qui joue Betty Catroux, sont en total look Saint Laurent tout le temps. C’est une vraie chance que nous ayons trouvé pour elles ce qu’il nous fallait parmi les pièces d’Olivier Châtenet. En revanche, Léa Seydoux, avec ses formes, ses hanches et ses seins, n’a pas du tout la morphologie androgyne qui convient à la mode spécifiquement Saint Laurent des années 70, pendant lesquelles Loulou de la Falaise est arrivée dans la maison. Les femmes qu’il habillait le mieux n’avaient pas trop de poitrine, de longues jambes et de bonnes épaules.

En quoi le fait de ne pas avoir accès aux archives et de ne pas pouvoir utiliser des créations originales, pour la reconstitution des défilés notamment, vous a-t-il compliqué la tâche ?

Certaines informations nous ont manqué, je pense notamment à des données techniques sur la manière dont fonctionnaient les ateliers dont étaient issus les vêtements. J’aurais aimé pouvoir toucher les tissus, me faire une idée des  » vraies  » formes, partir des patronages originaux. Pour la centaine de pièces haute couture que nous avons reproduites en vue des deux scènes de défilés – ceux de la collection 40 de janvier 1971 et de celle titrée Opéra-Ballets Russes, en juillet 1976 – comme pour les petits inserts qui montrent des pièces emblématiques de la fin des années 60, nous avons dû partir le plus souvent de photos de magazines. Afin d’être le plus fidèle possible, nous avons même réimprimé des tissus dont il a fallu redessiner les motifs et retrouver les couleurs… sans avoir l’original sous les yeux. En revanche, je pense que tourner avec des pièces d’archives haute couture aurait finalement généré un autre type de contraintes. Dans nos copies, les mannequins pouvaient bouger librement, attraper des tissus, les faire voler. Ce n’était pas du tout statique. Toutes les difficultés rencontrées m’ont aiguillée et poussée à toujours chercher des solutions. J’avais ce cadre très strict à respecter de la mode et des images d’archives, mais ce que nous avons fait, c’est avant tout un film, pas des défilés de haute couture.

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PAR ISABELLE WILLOT

 » Habiller Yves Saint Laurent et tout son entourage, c’était intimidant.  »

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