Sans renier son glorieux passé, Tournai entre dans la modernité. Boutiques de mode et de déco ultratendance, bars branchés et restaurants gastronomiques sont aujourd’hui superbement mis en scène dans les boucheries,brasseries ou filatures d’autrefois. Promenade dans la Cité aux cinq clochers et découverte de son patrimoine. au goût du jour.

Fondée il y a plus de 2000 ans, elle est avec Arlon et Tongres, l’une des plus vieilles villes de Belgique. Durant le Moyen Âge, elle a joué un rôle historique, économique, religieux et culturel prépondérant au sein du comté de Flandre. Elle a été la cité de Clovis, le roi des Francs, de Luc Varenne, le plus volubile des commentateurs sportifs, et d’Henri Vernes, l’auteur prolixe de la saga Bob Morane. Dépoussiérée, Tournai se profile aussi ces dernières années à la pointe du lifestyle : un endroit agréable où se promener, manger un bout et venir faire son shopping. Le plus souvent dans des murs gorgés d’histoire.

 » Je me souviens de grandes catastrophes, de stupides démolitions. Il en survient encore d’ailleurs aujourd’hui, fait remarquer Jacky Legge, chargé de la valorisation du patrimoine à la Maison de la culture de Tournai, mémoire vivante de la Cité aux cinq clochers. Je constate néanmoins des signes encourageants. Avant, nous avions conscience du patrimoine. Maintenant, beaucoup ont aussi saisi son intérêt. Le savoir-faire manuel dans la décoration est devenu hors de prix. Dès lors souvent, aujourd’hui, on conserve ce qui peut l’être et on y ajoute une touche contemporaine. « 

Quand on descend de la Grand-Place, entre le beffroi et l’Office du tourisme, un énorme bâtiment marque l’entrée du piétonnier. Magasin fashion, Le Loft a ouvert en avril 2008 au rez-de-chaussée de l’ancien bureau des Postes. Splendide enveloppe, la façade n’a pas changé. Elle a conservé tout son cachet. A l’intérieur, les vêtements griffés ont remplacé les guichets et les sacs de courrier. Le 25 novembre prochain, la Fédération belge des entreprises de la distribution et du commerce récompensera l’immeuble commercial le plus réussi du pays. Le Loft figure parmi les finalistes.

D’habitude, quand on se promène dans une ville historique plus ou moins chamboulée par des travaux de rénovation, on essaie vaille que vaille d’en éviter les échafaudages. Mais du côté de Notre-Dame de Tournai, on a décidé de valoriser le chantier actuel en un argument touristique. Un parcours permet ainsi aux curieux de découvrir la cathédrale sous ses aspects les plus méconnus avec une vue, à quarante mètres de hauteur, sur des parties jusque-là invisibles de l’édifice. On visualise ainsi les déformations des colonnes qui témoignent de son instabilité. On circule au-dessus de l’espace de fouilles archéologiques. Et, depuis les échafaudages, on observe le travail des artisans et ouvriers qui £uvrent à la réfection des toitures et façades.

Flâner sur les quais

Jusqu’à l’invention des techniques de réfrigération moderne, les produits frais comme la viande et le poisson ne pouvaient, pour des raisons d’hygiène, être débités et vendus dans des immeubles particuliers. Tournai possédait son marché. Un auvent de pierre et de verre avec un kiosque pour la criée, tous deux installés le long de l’Escaut. On raconte que pendant l’Ancien Régime, les plus avares des échevins, tenus d’organiser régulièrement des banquets pour leurs collègues, se précipitaient dès l’arrivée des bateaux et, quand le poisson n’était pas cher, annonçaient à la cantonade qu’ils invitaient à faire bombance. La halle couverte a été démolie et d’agréables terrasses de café – on vous recommande La Fabrique – ont depuis pris sa place. Le quai du Marché au poisson est aussi – les plus jeunes diront même surtout – devenu l’un des hauts lieux de la vie nocturne tournaisienne. Un quartier bercé par un éclairage original et peu énergivore.

Le 17 sur quai, une boutique de prêt-à-porter, y a récemment ouvert ses portes dans une ancienne boucherie où sont préservés de vieux carrelages muraux. Dans cette boutique, pour Elle comme pour Lui, on trouve des marques comme Armani Jeans, Isabel De Pedro, Fleur de sel, Petit baigneur. Tout comme des accessoires et des bijoux fantaisie. On peut aussi, sur rendez-vous, rencontrer la patronne Françoise Daix, elle-même.

Niché dans une ancienne boulangerie-pâtisserie, ensuite occupée par un antiquaire, Le Giverny est une des tables les plus réputées de la ville. Bâchette de homard au miel de lavande, aumônière de ris de veau et d’écrevisse, cocotte de perdreauà La maison propose une cuisine gastronomique abordable (32 euros en semaine pour le menu du jour). Autre lieu, autre esprit. Sur la rive opposée, la Seconde Guerre mondiale a mis fin aux activités de la brasserie Bara construite à la fin du xixe siècle. Inoccupé jusqu’au début des années 90, le bâtiment a été menacé de démolition. Aujourd’hui, il a finalement accouché d’appartements, de lieux alternatifs et surtout du Corto Malté. Bar, restaurant ? L’usage hésite. On y déguste une soupe. On y savoure tartines salées, plats du jour et supertapas à petits prix dans un décor design et cosy fait de bois, de pierres venues des carrières toutes proches et de verre. En prime, c’est la seule terrasse au soleil en bord de fleuve.

Jardin secret

Besoin de se réchauffer ? Magasin de vins et spiritueux, restaurant de terroir, bar à vins, Vins par ci, Vins par là a pris place dans une ancienne filature de lin construite au début du xixe siècle. Elle a arrêté ses activités avant la Seconde Guerre mondiale et les tentatives de relance ne se sont jamais révélées fructueuses. Casterman s’est ensuite servi des lieux comme entrepôt mais c’est l’imposant et sympathique Jean-François Damien qui leur a offert une deuxième jeunesse.  » Nous occupons l’ex-salle des machines, s’enthousiasme-t-il. Nous avons conservé ce qui pouvait l’être. Au sol, les pierres bleues d’époque. Au plafond, les supports métalliques qui servaient à faire passer les fils. Il m’a toujours semblé bien plus facile et intéressant d’aménager un endroit qui possède un vécu, une âme.  » Cet endroit, Jean-François Damien se l’est approprié de façon très originale : 6 800 bouteilles de vin vides y forment un impressionnant mur de verre.  » Ça a pris du temps… Nous avons d’abord dû les boire « , a-t-il coutume de plaisanter. Tous les plats, traditionnels et typés, sont accompagnés de suggestions vinicoles. La cave, elle, accueille concerts de blues et soirées poésie.

Grâce à Internet, Passé Composé vend au Japon, en Nouvelle-Zélande, aux États-Unis. Mais il reste sans doute l’un des secrets encore un peu trop bien gardés de la cité hennuyère. Aménagé dans une ancienne imprimerie, jadis entrepôt de peintres, planquée derrière des maisons de maître, l’endroit s’est fait pour spécialité la décoration et les antiquités. Le tout dans un esprit très actuel. L’original, le décalé, le bois brut décapé ou délavé, les miroirs recomposésà

 » On nous a contactés un beau jour pour des meubles d’imprimerie, se souvient Sylvie Delannoy. Mon mari est parti y jeter un coup d’£il. Nous n’avons pas acheté les meubles mais nous avons acquis le bâtiment dont il est tombé amoureux.  » Un superbe espace au cachet inimitable, aujourd’hui régulièrement utilisé pour des séances de shooting par des maisons de mode, magazines et photographes. Passé Composé a pour particularité de louer certains de ses objets, soit à emporter soit à utiliser sur place, et entend conjuguer les plaisirs. Le 14 novembre prochain, le photographe Vincent De Ruyter y exposera quelques-unes de ses £uvres.  » Nous allons développer ce genre de portes ouvertes, accueillir par ailleurs des peintres, des sculpteurs, histoire de s’assurer une certaine visibilité et de faire découvrir les artistes qui nous touchent « , informe Sylvie Delannoy.

A ne pas rater non plus, LesTables de Muche-Vache dressées dans une maison de maître qui peut se targuer d’un riche passé. Au départ château d’hiver, elle a servi de filature, de chocolaterie et de menuiserie avant de devenir un restaurant gastronomique où le chef et son équipe cuisinent devant les fourneaux de la cuisine ouverte. Tournai se dévore. Et pas seulement des yeux.

Carnet d’adresses en page 69.

Par Julien Broquet

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