Cet été, la citadine réinvente les codes du folklore avec raffinement. En paysanne chic, elle fait souffler un brin de romantisme sur le macadam.

Dolce & Gabbana campant une néofermière, qui l’eût cru ? C’est pourtant coiffés de chapeaux de paille (ou de cheveux ébouriffés, façon  » fin de sieste canaille dans les foins « ) que les mannequins de la griffe italienne ont présenté la collection printemps-été. Une saison fraîche cousue de dentelles blanches de coquelicots et de robes imprimées fleurettes, qui jette aux oubliettes l’allure supersexy ayant bâti la réputation de la marque milanaise. Pas de doute, il se passe quelque chose du côté des étables, lieux très improbables choisis par le duo D & G pour shooter leur dernière campagne de pub, au milieu des poules, des bottes de foin et des charrettes…

Nombre de créateurs ont, comme eux, cultivé leur jardin et l’ambiance  » Petite Maison dans la prairie  » avec des panoplies aux palettes délicates d’où jaillissent des pétales de toutes dimensions. Micro-imprimés Liberty chez Anna Sui et Philosophy d’Alberta Ferretti, petits coquelicots chez Cacharel, marguerites épanouies chez Gucci… les semis sont partout. Et d’abord chez les maîtres du genre pour cet été : Christian Lacroix et Jean Paul Gaultier. Ces deux provinciaux s’en sont en effet donné à c£ur joie, imaginant des créatures romantiques, rose aux joues mais chic intact.

Dans la fiesta champêtre de Gaultier, lors de son défilé de prêt-à-porter, les filles cheminaient sur un sol jonché de paille fraîche tandis que carillonnaient des cloches. Le créateur a voulu  » poser son regard antisnob sur les gens de la campagne, qui sont beaux même dans leur maladresse vestimentaire « , décrypte Lionel Vermeil, proche collaborateur du couturier. Celui-ci fantasme une province où les gens s’endimanchent encore avec une coiffe de bigouden en paille, un chapeau plat à la niçoise ou un boléro brodé d’épis. Les grandes blouses virginales côtoient des imprimés de vichy rouge et blanc et des coquelicots piqués à la cheville, à la boutonnière ou portés nonchalamment à la main. Même ses célèbres marinières sont incrustées de dentelles au crochet et de petits volants. Il ne manque plus qu’une chaleur moite pour annoncer un été à la ferme ! Moiteur que Christian Lacroix anticipe en emballant ses belles à l’£il brillant de fichus chamarrés pour se protéger, sans doute, du cagnard d’Arles…

 » La mode folklore chic, ce rustique traité avec élégance, explose cette saison « , commente Thomas Zulberman, styliste femme au bureau de style Carlin International. Citadines à bout de souffle, cette mode bouffée d’air pur va vous sauver !  » Je cherche à apporter la fraîcheur des chemins à l’orée des villes « , raconte ainsi Marion Vidal, créatrice de bijoux. Cette trentenaire, néo-Parisienne née dans un petit village près de Montpellier, a imaginé des pendentifs en forme de cosses de petits pois à l’émail brillant. Sa collection, un rêve de déjeuner sur l’herbe, est d’ailleurs baptisée  » Pic-nic  » et compte, outre les sautoirs, des sacs-paniers en bois tressé rouge et blanc, clin d’£il au damier des nappes vichy.  » C’est un pique-nique pour urbaines, explique-t-elle. Mon pendentif apporte un peu de cette fraîcheur et de cette sensualité dont on est privé en ville.  » Ses cosses gourmandes, bijoux bruts et graphiques, sont moulées dans une céramique douce, exquise sur la peau.  » Mes bijoux sont rassurants. Ils viennent de la terre et en portent la force.  »

Ce vent bucolique souffle aussi sur la déco. Pour fêter l’anniversaire du Lafayette Maison à Paris, son créateur Michel Roulleau convie  » des marques très campagne, jardin d’Ulysse, Maison de famille, Comptoir de famille, qui s’adressent aux urbains rêvant de recréer en ville l’ambiance de leur petit coin de Bretagne ou du Luberon « . Dans cette tendance, il pointe le retour des grandes tablées, de l’authentique en ameublement (spectaculaire percée du bois) et des accessoires typiquement  » campagne  » (il y a peu, on aurait dit  » ploucs « …) : gros bols, cruches, carafes en verre ou en émail, rotin, vieux pots à lait.  » Face à une mondialisation galopante, on éprouve le besoin de retrouver ses racines et du réconfort dans un monde de brutes. Cette tendance, je la sens énorme !  » prophétise-t-il.

Newstalgie

Autre illustration de notre furieux besoin de vert : la folie du jardinage en ville. Plus un citadin bobo parisien qui n’investisse son balcon de 3 m2 pour cultiver son mesclun ou sa batavia perso. La marque Nature & Découvertes en fait un de ses nouveaux fonds de commerce avec, par exemple, des graines de petite  » carotte ronde parisienne  » (sic), tandis que chez nous en Belgique, Secrets du Potager imagine des petits coffrets  » L’Apprenti Jardinier  » ou  » L’Ami des Oiseaux  » pour amoureux de la nature en mal d’inspiration. Et, quand on ne bêche pas sur son balcon, on croque de toute façon des légumes bio dans des  » néo-épiceries  » ou dans des restos  » néo-terroir  » célébrant le retour des  » vraies saveurs « …

Vincent Grégoire, directeur du département art de vivre au bureau de style Nelly Rodi, a inventé le néologisme idoine pour qualifier ce mouvement : la  » newstalgie « .  » Les élites bobos avancent un rétro dans la main, précise-t-il. On vante la tradition avec, heureusement, un twist de modernité. On veut bien vivre dans le Perche, mais avec l’ADSL. On célèbre les régionalismes, le pays d’où l’on vient ; on idéalise la campagne. Et on loue les valeurs simples et authentiques : le temps qui s’écoule, la douceur de vivre, le patrimoine, le culte des ancêtres, le cocon familial…  » N’est-ce pas Jean Paul Gaultier qui, sur sa paille chic, a fait défiler une famille traditionnelle – le père, la mère et les deux enfants ?

Enfin, Marithé et François Girbaud célèbrent ce printemps la déesse Nature dans une publicité provocante. Une paire de ciseaux piquée dans la mousse et un réquisitoire choc :  » Mère Nature n’a rien à faire des vêtements que nous portons, de nos portefeuilles bien garnis, de nos diplômes, de nos priorités. Elle se vengera sans pitié, car nous l’avons rendue stérile et aride par l’infamie de notre avidité.  » La mode en donneuse de leçons écolo, on n’est pas obligé d’y croire. Mais prenez-en quand même de la graine (de foin…) : la robe Liberty, cet été, vous n’y couperez pas !

Katell Pouliquen

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