Icône rééditée ou nouvelle production, cet objet qui ne manque pas d’assise mérite bien le prix d’excellence du design. Démonstration.

De la chaise de bébé à la chaise roulante, l’homme est un animal assis. Qui, chez lui, passe la majeure partie de son temps d’éveil calé sur son fondement et dont les deux tiers des congénères, plongés dans la vie active, travaillent posés sur leur séant (parfois même sur un siège éjectable, mais c’est une autre histoire). Pour satisfaire à cette diversité d’usages et asseoir leur réputation de  » ténors du barreau « , les créateurs rivalisent d’ingéniosité.  » Toute idée authentiquement originale, toute innovation en matière de design, toute nouvelle utilisation de matériaux, toute nouvelle invention technique destinée au mobilier semble trouver son expression la plus forte dans le siège. » Tel était déjà l’avis, dans les années 1950, de l’Américain George Nelson, l’inventeur de Pretzel (éditée par Herman Miller), une chaise en contreplaqué parmi les plus légères de l’époque : on la soulevait  » avec deux doigts seulement « .

Presque un siècle auparavant, en Autriche, Michael Thonet perfectionnait et industrialisait le cintrage du bois à la vapeur, une technique employée pour la fameuse chaise n° 14 (1859), qui permit de réduire les coûts de production tout en imposant une nouvelle élégance.  » Pour la première fois, une démarche industrielle rendait les arts décoratifs accessibles au grand public « , explique le designer Jean-Marie Massaud, qui considère la n° 14 comme la chaise idéale dans l’histoire du design. Honteusement copiée, celle-ci reste néanmoins l’un des fleurons du catalogue du fabricant allemand Thonet. Aux côtés d’autres pionnières, en tubes d’acier cette fois, de Marcel Breuer et de Ludwig Mies van der Rohe (1927). Récemment rééditées, la LCW (1945), fruit des recherches des Eames sur le moulage du contreplaqué en série, et la Panton Chair (1959), du Danois Verner Panton, premier siège moulé par injection en un seul matériau, connaissent une nouvelle jeunesse chez Vitra. Avec quelques concessions aux goûts du jour : la LCW s’affiche en rouge et la Panton, version polypropylène, a gagné en matité et en légèreté. Elle est aussi trois fois moins chère que la Panton Classic en fibre de verre. De même, aujourd’hui colorées, laquées et à quatre pieds, la Fourmi et la 7, des best-sellers de la firme danoise Fritz Hansen, s’ajoutent désormais au produit originel en bois tripode. Ces séries, créées respectivement en 1951 et 1955 par Arne Jacobsen, ont été fabriquées en 2000 à plus de 226 000 exemplaires. Parmi les indémodables, on pourait encore citer, chez Knoll International, Tulipe (1955), d’Eero Saarinen, campée solidement sur son unique pied, et Diamond (1950), de Harry Bertoia, un pur bijou en fils d’acier  » traversés par l’espace, faits principalement d’air, comme des sculptures « .

La technologie aidant, on ne compte plus les sièges novateurs, par les matières employées et par leur forme – celle-ci dépendant beaucoup de celles-là – que les éditeurs contemporains maintiennent, parfois depuis leur création, dans leur catalogue ou dont ils redécouvrent ponctuellement les vertus. Face à ces classiques aussi à l’aise dans les musées que dans nos maisons contemporaines, les designers seraient-ils tentés de s’asseoir sur leurs lauriers ?  » L’objet a déjà tellement été pensé et repensé que créer aujourd’hui une chaise remarquable relève du coup de maître ou de l’anecdote « , déclare Jean-Marie Massaud, lui-même auteur d’O’Azar, une chaise ultralégère en plastique injecté au gaz, une technique employée dans l’aéronautique.  » Pourquoi créer, encore et toujours, de nouvelles chaises? On n’en a pas besoin : la Fourmi est parfaite, estime le designer Ron Arad. Mais ce qui motive les designers, c’est le processus de création, intellectuel et technique. » D’où la pléthore de formes inventées par cet Israélien basé à Londres, repéré il y a vingt ans pour ses pièces de collection en acier et sollicité aujourd’hui par les majors de l’édition pour des modèles très démocratiques. Témoin, la Fantastic Plastic Elastic ou FPE (Kartell, 1999), soit deux tubes d’aluminium retenant une feuille de technopolymère, vendue moins de 154 euros (6 212 F), à quelque 30 000 exemplaires dans le monde, en 2000. Pas mal pour un marché où le contemporain ne représente que 5% des achats de meubles.

Mais l’avant-gardisme de Ron Arad ne rencontre pas toujours le même écho : en 2000, à Milan, Cassina avait présenté des chaises pliantes s’encastrant comme des tiroirs à l’intérieur de la table lorsqu’elles ne sont pas utilisées. Le projet Table Eats Chair n’a jamais dépassé le stade du prototype : trop cher à produire… et sans doute trop décalé.  » Il y a des chaises faites pour s’asseoir et d’autres conçues sur l’idée de s’asseoir ou de l’individu assis… « , résume Ron Arad, philosophe. Voilà peut-être pourquoi certains designers vont jusqu’à inventer, tel Philippe Starck, l’objet archétypal annonciateur de sa propre disparition. En l’occurrence La Marie, une assise en polycarbonate ultrasobre, ultralégère, totalement transparente et exceptionnellement résistante, malgré son apparente fragilité. Pour le créateur, qui répète à l’envi qu’il y a trop d’objets,  » la transparence permet de vider l’espace « . Et de siéger dans tous les styles d’intérieur sans détonner ni ruiner le propriétaire…

A moins de 138 euros (5 567 F), La Marie a séduit, en 2000, 50 000 consommateurs dans le monde. Starck avait déjà réussi un exercice de style similaire avec l’élégante Miss Trip (1996, Kartell), une chaise associant un dossier, des pieds en bois, pour plaire aux tradi, et une assise en polypropylène teinté, pour séduire les modernes. Une remarquable démonstration soutenue par un prix on ne peut plus démocratique : environ 154 euros (6 212 F). C’est encore lui qui a présenté au dernier Salon du meuble de Milan, en avril 2001, l’une des chaises les moins chères du marché : Slick Slick (XO), fabriquée en polypropylène par injection assistée au gaz. En cinq couleurs et à 72 euros (2 904 F). Si Kartell et XO sont connus pour leurs petits prix, le très chic Molteni & C se met, lui aussi, à la portée des petits budgets avec Alfa, une chaise dedans-dehors à 210 euros (8 471 F). Un bijou brillant et soyeux signé par l’Allemand Hannes Wettstein, carrossé comme une formule 1 grâce au SCM, une résine polyester renforcée de fibre de verre, le matériau habituellement utilisé pour les ailerons stabilisateurs de bolides. Maxidesign et miniprix : de plus en plus de créateurs et d’éditeurs font le grand écart. Sans trop de mal grâce aux plastiques, polypropylènes, polycarbonates, technopolymères, qui permettent des fabrications en très grande série à un coût très compétitif. Une heureuse évolution qui, au moment où notre appétit pour le contemporain se confirme, contribue à soutenir les recherches tous azimuts des éditeurs, avides des nouvelles formes générées par les matériaux les plus innovants.

A lire :  » 1000 Chairs « , par Charlotte et Peter Fiell, Taschen (2000).  » Chairs « , par Charlotte et Peter Fiell, coll. Icons, Taschen (2001).

Carnet d’adresses en page 72.

Béatrice Brasseur

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content