Destination vantée par les industriels du voyage, la Crète n’en reste pas moins une île méconnue où les traditions séculaires sont encore bien ancrées. Il suffit simplement de partir à leur rencontre…

Perdue au sud de la Méditerranée, la Crète exhibe fièrement ses 260 kilomètres de longueur lascive sous le soleil de la Grèce, sa mère patrie. Entre tradition et modernité, authenticité et rentabilité, l’île explore aujourd’hui différentes pistes touristiques dans le souci d’une séduction parfaite, alliant les découvertes les plus savoureuses aux dérives urbanistiques les plus déplorables sur la côte qui s’étire de la capitale Heraklion à la station balnéaire de Malia. Pour peu que l’on s’y aventure, la Crète offre pourtant aux voyageurs curieux des paysages d’une beauté et d’une diversité époustouflantes et surtout un art de vivre séculaire encore bel et bien palpable. Ses trésors naturels et culturels ne sont pas toujours à la portée du premier car touristique venu et, pour l’apprécier pleinement, il faut oser explorer ses chemins de montagne escarpés, pousser les portes des églises oubliées et se perdre, avec bonheur, dans des villages reculés où même l’électricité est un luxe inconnu.

Voilà pourquoi il est conseillé, dans l’hypothèse d’un court séjour crétois, de mettre entre parenthèses le rivage nord de l’île pour se concentrer davantage sur le sud de la destination et, en particulier, sur les extrémités ouest et est. Cela dit, il serait tout à fait déplacé de proscrire complètement cette même côte nord de tout voyage prolongé. Des sites extraordinaires et des villes charmantes jalonnent en effet le parcours touristique dit  » nordiste  » sur toute la longueur de son littoral ciselé. Ainsi, la cité historique de La Canée, au nord-ouest de l’île, mérite, par exemple, que l’on s’y intéresse tout particulièrement. Ancienne capitale de la Crète, elle tranche radicalement avec son âme romantique et sa dimension humaine. Son vieux port respire encore la nostalgie d’une époque révolue et son coeur historique entraîne volontiers le promeneur dans une délicieuse aventure architecturale où les maisons pittoresques des ruelles tortueuses naviguent entre le style vénétien et l’influence arabe. Culturelle, elle peut servir de port d’attache reposant et de tremplin animé dans l’exploration de la région environnante. Au départ de son rivage tranquille, on partira volontiers à la découverte de la presqu’île d’Akrotiri toute proche et souvent désertée des itinéraires touristiques classiques. Protégée au sud par une base militaire qui explique son relatif isolement, cet appendice vallonné renferme, entre autres, deux joyaux orthodoxes perdus dans une nature rocailleuse qui valent assurément le recueillement : le monastère de Moni Gouvernetou fondé au XVIe siècle et, surtout, le monastère d’Hagia Triada édifié un siècle plus tard et dont l’intérieur richement décoré se révèle plutôt spectaculaire.

A deux pas de La Canée, une autre possibilité de randonnée sportive et originale attend également les voyageurs curieux. Imaginé par un Belge qui a décidé, il y a six ans déjà, d’installer ses pénates à Nio Chorio, le concept de vacances  » See you soon in Crete  » ( lire l’encadré pratique en page 58) offre en effet diverses possibilités de tourisme différencié dans la partie ouest de l’île. De la randonnée d’un week-end en moto au circuit d’une semaine en jeep 4 x 4 en passant par le trekking de quelques jours dans les montagnes sauvages du sud, les programmes concoctés par Jean-Philippe Delhaye tentent de concilier habilement la découverte authentique de régions peu visitées avec des moyens de locomotion qui peuvent parfois paraître agressifs au premier abord mais qui se révèlent être une formule idéale pour sortir des sentiers battus. Dynamiques, ses itinéraires partent toujours à la rencontre des traditions et des métiers oubliés, en s’arrêtant ici chez un horticulteur isolé, là chez un fabricant de fromages ancestraux, dans le respect de la nature crétoise et de ses habitants accueillants. Comme à Milia, par exemple, où deux familles ont redonné vie à un hameau d’une douzaine de maisons abandonné depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Isolé dans les reliefs de l’ouest de l’île, ce minuscule village a été restauré il y a quelques années et reconverti en un délicieux hôtel de caractère où le temps semble s’être arrêté. L’architecture traditionnelle des vieilles bâtisses en pierre, l’éclairage à la chandelle, la cuisine au feu de bois, le chauffage au feu ouvert (pour les soirées fraîches) et le calme incroyable des environs apaisants confèrent à l’endroit un charme désuet qui propulse l’hôte privilégié quelques siècles en arrière. Un régal!

Un peu plus à l’est et davantage connu des organisateurs de randonnées classiques, le plateau d’Omalos mérite aussi que l’on s’y attarde pour son point de vue panoramique qui embrasse les Montagnes blanches voisines. L’endroit dépeuplé sert surtout de passage obligé pour les voyageurs courageux qui veulent dévaler les célèbres gorges de Samaria, l’une des grandes fiertés naturelles de l’île dont la splendide découverte exige tout de même cinq à six heures de marche. En retournant vers le centre et le nord de la Crète, d’autres étapes beaucoup plus touristiques s’imposent également avant de retrouver les endroits silencieux de l’extrême est de l’île. En vrac, on peut citer la douce ville de Rethymnon et son coeur historique flanqué de maisons vénitiennes, l’incontournable site de Xnossos et les fresques multicolores de son palais minoen (1600 av. J.-C.) ou encore le plateau de Lassithi perché à 800 mètres d’altitude et ses rares moulins perdus dans le cirque montagneux. Davantage préservé des hordes de photographes amateurs, le village perché de Kritsa est une autre halte reposante à quelques kilomètres de la côte nord-est de l’île où les femmes vêtues de noir offrent leur savoir-faire en matière de nappes crochetées et de draps brodés. Même constat pour la petite île de Spinalonga, au large de la station balnéaire d’Elounda, qui était encore, il y a cinquante ans à peine, le refuge des lépreux de Crète. Aujourd’hui, l’ancienne forteresse vénitienne élevée au XVIIe siècle ressemble à un village fantôme emprunt d’émotions fortes et surtout gratifié de vues imprenables qu’il ne faut pas manquer.

Mais c’est un peu plus loin, toujours à l’est, que la véritable douceur maritime de la Crète se savoure réellement. Isolé au milieu de la côte discrète qui s’étire entre les villes balnéaires de Agios Nikolaos et Sitia, le village de pêcheurs de Mochlos est un petit havre de paix pour qui veut prendre le temps de savourer la nonchalance crétoise. Autour de son miniscule port naturel, cinq tavernes se disputent gentiment la vedette en face d’un îlot tranquille où des ruines minoennes sont en cours d’excavation. Le tourisme y a fait récemment son apparition, mais dans des proportions heureusement timides. Sur l’une de ces terrasses qui entretiennent avec bonheur le repos des randonneurs, une guide-botaniste belge y a établi un point de rencontre sympathique pour tous les amoureux de la chlorophylle ( lire l’encadré pratique). Depuis quelques années déjà, Anne Lebrun organise en effet des balades éducatives dans la région orientale qui s’étendent d’une journée de marche à une semaine complète selon le circuit choisi. Sa connaissance de la faune et de la flore méditerranéenne est aiguë et elle réussit le tour de force de passionner les non-initiés grâce à sa science botanique et à son apprentissage rapide des traditions locales. Partisane, elle aussi, du tourisme différencié, elle entraîne volontiers ses accompagnateurs sur les chemins d’une Crète bucolique et au coeur des secrets de fabrication des fiertés gastronomiques de l’île que sont le fromage de brebis et, surtout, la délicieuse huile d’olive. De quoi remettre, à leur juste place, les réelles saveurs d’une destination finalement méconnue.

Reportage : Frédéric Brébant

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