A la pointe des techniques gastronomiques ultracontemporaines, la cuisine de Sergio Herman, le chef du Oud Sluis, est aussi en parfaite harmonie avec le terroir de la mer du Nord et de son plat pays. Zoom sur la palette gourmande du tout nouveau 3-étoiles néerlandais déclinant légèreté, fraîcheur, acidité et épices.

Le luxueux coffret éponyme  » Sergio « , publié fin novembre dernier, comprend un livret entier déclinant des photos noir et blanc du chef néerlandais Sergio Herman. La démarche, un rien narcissique, a au moins un mérite : faire découvrir à la fois le professionnel surdoué et le jeune homme de 35 ans qui apprécie les sorties en boîte et les créateurs de mode, que ce soit Dries van Noten, voici quelques années ou, aujourd’hui, John Galliano, John Richmond ou Dirk Bikkembergs. Veston de cuir noir ou veste blanche de cuisinier, Sergio régit avec maestria son Oud Sluis. Depuis décembre dernier, il est l’un des plus jeunes chefs récompensé par trois étoiles Michelin.

L’histoire commence avec les grands-parents de Sergio, quand ceux-ci décident de transformer une petite ferme de Sluis en salon de coiffure et boutique de souvenirs. Le tourisme de la mer du Nord se développant, ils songent à servir de petits en-cas sur la terrasse au soleil. La génération suivante, celle du père et de la mère de Sergio, fait évoluer le Oud Sluis en un restaurant de moules cossu et apprécié d’une clientèle… essentiellement belge. Et pour cause, on y vient en bicyclette depuis le Zoute. Sergio va poursuivre la tradition familiale. L’école ne l’enthousiasme guère, encore moins la manière dont les leçons doivent être apprises. Mais un stage d’un mois chez Cas Spijkers, à l’époque le plus célèbre cuisinier des Pays-Bas, se solde par un engagement pour huit mois complémentaires.

En 1990, Sergio revient à Sluis et partage la cuisine avec son père Ronnie. Très vite, l’aîné a la sagesse de comprendre que le cadet doit s’exprimer seul ; ce qui est chose faite en 1992. La carte change alors et les clients aussi.  » Nous avons été malmenés par une partie de notre clientèle qui supportait difficilement l’abandon des casseroles de moules, se souvient Sergio. Ce qui m’a le plus blessé, c’est que ces mêmes personnes étaient des connaisseurs qui fréquentaient de grandes maisons, en Belgique comme en France.  » Bien mal leur en a pris car Sergio a rapidement rejoint la galaxie des superétoilés. Après la première en 1995 et la deuxième en 1999, la troisième étoile vient de lui être décernée, dans l’édition 2006 du célébrissime Guide Rouge Michelin.

L’évolution est certes personnelle. Elle repose ici sur une totale implication, lourde de sacrifices. Pour rien au monde Sergio ne raterait un service. Il se contraint à toujours être aux fourneaux, préférant fermer la maison plutôt que de manquer un service. Sergio évoque aussi l’amitié entretenue avec Alberto, le frère de Ferran Adria, le gourou de la nouvelle cuisine espagnole, venu se restaurer au Oud Sluis, à la suite d’une démonstration qu’il avait effectuée pour des chefs belges et néerlandais. Il en est né une belle connivence. Sergio a tout naturellement été invité dans les cuisines du Bulli des Adria. Il fut alors parmi les premiers à adapter les techniques qui ont fait de l’Espagne l’avant-garde de la cuisine mondiale. Tout est expérimenté au Oud Sluis, des gélifiants comme l’agar-agar ou les alginates aux cuissons à basse température, sans oublier l’azote liquide… Mais Sergio n’abandonne pas pour autant les cuissons traditionnelles, même si les plaques à induction ont remplacé le gaz. Et on le retrouve ainsi quotidiennement devant ses casseroles et poêles.

 » Les quatre cinquièmes de nos plats salés sont à base de poissons et de fruits de mer, souligne Sergio. Nous avons un terroir. On trouve ici de la sole, du turbot, des moules, des huîtres, du homard, de l’anguille, des crevettes, de petits coquillages. Mais ce n’est pas pour autant non plus que je vais renoncer à des coquilles Saint-Jacques de Bretagne, des langoustines d’Irlande ou à du pigeon d’Anjou.  »

Sergio emploie le beurre.  » Pour des rougets ou de la daurade, j’utilise de l’huile d’olive extravierge, précise-t-il. Mais il est vrai que pour la plupart des poissons cuits sur l’arête, je démarre avec du beurre clarifié. Ensuite, vers la fin, j’ajoute du beurre frais, avec lequel je nappe le poisson.  » A noter aussi : le chef du Oud Sluis condimente le poisson de quelques gouttes de citron.

Son credo ? La fraîcheur.  » Dans mon esprit, la personne qui quitte la table doit se sentir légère, clame Sergio. C’est pour cela que dans tous mes plats, de l’amuse-bouche au dessert, vous allez retrouver de la fraîcheur.  » Celle-ci se savoure de plusieurs manières. Revendiquant des influences italiennes et espagnoles, le jeune chef se dit aussi inspiré par le Japon, tant pour les poissons crus (travaillés en tartare, marinés ou mi-cuits) que pour certaines épices comme le poivre sansho, aux délicats reflets citronnés.

 » La fraîcheur peut aussi provenir d’un légume, comme du pourpier ou de l’oseille, s’enthousiame Sergio. Mais j’aime par-dessus tout faire appel à l’acidité que vous retrouvez dans des câpres au vinaigre et bien entendu dans les agrumes, avec le citron, le pamplemousse, le yuzu japonais. Voire dans la citronnelle thaï.  » Ajoutez à cela une approche originale des épices, qui puise ses racines dans le passé commerçant glorieux des Pays-Bas.

Sergio ? Un cuisinier qui mord dans la vie à pleines dents. Lui qui n’a pas peur d’exprimer tout haut ses pensées se voit bien un jour s’installer ailleurs, dans une grande ville. Tout simplement parce qu’il a besoin de ce type d’énergie pour vivre.  » Je suis Néerlandais mais tous mes temps libres sont tournés vers la Belgique, confie-t-il. Anvers est en quelque sorte ma ville de référence. J’aime par dessus tout les petites escapades d’un week-end. Et, pour cela, Barcelone est ma destination préférée.  »

Carnet d’adresses en page 66

Jean-Pierre Gabriel

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