Véronique Leroy aurait pu être étiquetée  » made in Antwerp « . Mais la jolie Wallonne a raté l’examen d’entrée de la prestigieuse Académie flamande, au grand bonheur du Studio Berçot, à Paris, qui exhibe aujourd’hui fièrement la petite Belge dans la liste de ses anciens étudiants diplômés. Née à Liège en 1965, Véronique Leroy débarque en effet dans la Ville lumière à l’âge de 19 ans pour mener à bien ses rêves de styliste. A l’époque, la section  » Stylisme et Création de mode  » de La Cambre n’existe pas encore et la jeune fille décide donc de s’exiler à Paris, faute de feu vert anversois. Trois années de Studio Berçot rondement menées et la voilà déjà, dès 1986, assistante du couturier renommé Azzedine Alaïa. Véronique observe, apprend et peaufine consciencieusement son sens de la coupe.

L’expérience est enrichissante et rejaillit d’ailleurs sur ses propres créations développées dans l’ombre. En 1989, Véronique Leroy devient la première francophone à remporter le réputé concours belge de la Canette d’Or, succédant notamment aux Anversois lauréats des trois premières éditions, An Demeulemeester, Dirk Van Saene et Dirk Bikkembergs, membres de la fameuse bande des Six. Son nom commence à circuler dans les milieux branchés, mais la jeune femme préfère attendre patiemment son heure avant de se lancer dans l’arène des défilés. Elle décide donc de poursuivre sereinement son expérience parisienne aux côtés de créateurs confirmés. Après avoir passé trois années chez le maître Alaïa, elle intègre l’atelier de la créatrice française Martine Sitbon alors au sommet de sa gloire. Elle y passe deux années de collaboration précieuse qui la positionne, une fois pour toutes, sur la rampe de lancement de sa propre marque de vêtements.

Le pas est franchi en 1991 : Véronique Leroy inscrit sa collection éponyme sur le calendrier des défilés parisiens et retient d’emblée l’attention de la presse. Si la jeune Liégeoise bénéfice indéniablement, à l’époque, de l’effet  » made in Belgium  » suscité par les Six d’Anvers, elle n’en demeure pas moins la seule responsable de sa réussite. Ses silhouettes vives, gorgées d’une  » sex attitude  » et rehaussées d’une pointe de vulgarité audacieusement contrôlée, tranchent résolument avec le minimalisme ambiant et font un tabac dans les hautes sphères de la mode. Délibérément spectaculaire, l’entrée de Miss Leroy est tout de suite remarquée sur les podiums parisiens et la jeune femme prend de plus en plus d’assurance. Au fil des saisons, la nouvelle Belge de Paris aiguise son style, gagne en notoriété et force finalement le respect de ses collègues de défilés.

Après cinq années de succès respectable, Véronique Leroy tente de passer à la vitesse supérieure pour mieux diffuser sa marque à travers le monde. Elle s’associe avec un financier en 1996, quitte son modeste atelier du XXe arrondissement et s’installe sur la très luxueuse avenue Montaigne, à Paris. Malheureusement, cet embourgeoisement soudain se répercute sur son travail vestimentaire et la presse finit par bouder la Belge assagie. Ses acheteurs fidèles sont également désarçonnés par sa collection de l’été 1997, les ventes ne suivent pas et le divorce est rapidement prononcé entre la créatrice et l’investisseur providentiel. Eprouvée, Véronique Leroy ne baisse pas les bras pour autant et se fait un point d’honneur à rebondir rapidement. Elle quitte ses appartements trop chics du VIIIe arrondissement, intègre un vieil atelier du quartier de la Bastille et crée une nouvelle société qu’elle autofinance tant bien que mal.

Rapidement, la trentenaire retrouve ses points de repère et se bat, comme à la première heure, pour sortir une nouvelle collection à temps. Le défi est relevé pour la saison de l’été 1998 et Véronique Leroy stabilise lentement sa petite entreprise. Dès l’hiver suivant, les rédactrices de mode s’enthousiasment pour la fraîcheur retrouvée de la créatrice belge qui devient à nouveau  » très tendance  » sur la planète fashion. Son approche de la femme, hédoniste et sexy, radicale et sensuelle, plaît ; Véronique Leroy a repris la voie de ses vrais désirs momentanément oubliés.

Depuis les rebondissements qui ont secoué son histoire stylistique, la Liégeoise de Paris poursuit tout doucement son petit bonhomme de chemin. Fonctionnant toujours selon la règle de l’autofinancement, elle dispose aujourd’hui d’une cinquantaine de points de vente internationaux qui vont du Japon aux Etats-Unis, en passant par le Liban, la Russie et, bien sûr, quelques pays européens. Ironie du sort : les silhouettes de Véronique Leroy ne sont vendues que dans une seule boutique belge qui ne se trouve ni en Wallonie, ni même à Bruxelles, mais bien à Anvers sous la fameuse enseigne Louis…

Après avoir passé la première moitié de sa vie à Liège et la seconde à Paris, Véronique Leroy s’avoue ravie, in fine, du parcours accompli et s’affirme, plus que jamais, viscéralement belge :  » J’habite à Paris depuis l’âge de 19 ans, mais je suis belge dans les gènes, affirme-t-elle haut et fort. Je suis la plus française des stylistes belges, la moins commerçante aussi ( rires), mais ma construction mentale est 100 % belge, même si je trouve mon bonheur en France.  » Et lorsqu’on s’aventure à lui demander si l’appellation  » Mode c’est belge  » est illusoire ou non, celle qui fait joliment rimer sexe et cortex au sein de ses créations textiles répond dare-dare :  » Oui, la mode belge existe vraiment. Et je ne veux surtout pas entrer dans la débat La Cambre contre Académie d’Anvers : cela fait trop guéguerre communautaire ! A vrai dire, je ne me sens héritière d’aucun de ces deux courants, pour peu qu’ils existent réellement, car je me sens belge tout simplement. Donc oui, la mode belge existe et même si elle est difficile à définir, je dirais qu’elle est un bon  » mix  » entre la mode française, d’une part, et la mode italienne, d’autre part. En fait, les créateurs belges ont cette conscience de la réalité industrielle et commerciale que les Français n’ont pas et que les Italiens possèdent ; et ils développent en plus ce sens de la créativité si cher aux Français et qui est en revanche moins présent chez les Italiens.  » Un double atout que cultive, avec talent et depuis longtemps, la double Véronique.

Frédéric Brébant

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content