Les créateurs n’ont pas seulement une imagination débordante. Il semblerait qu’ils possèdent aussi le don d’ubiquité : ils sont en effet de plus en plus nombreux à lancer des lignes bis. Plus girly, moins chères que leurs grandes soeurs, ces cadettes ont tout pour plaire. Portraits de famille.

A quoi reconnaît-on qu’une ligne de vêtements a  » grandi  » ? A son envie de faire des petits ! Tout se passe en effet comme si, une fois la popularité et le succès commercial rencontrés par leur griffe principale, les créateurs ne pouvaient s’empêcher de donner vie à une  » petite dernière « . Dernier exemple en date : K Karl Lagerfeld, lancée à la mi-janvier au Bread & Butter de Barcelone, le salon des marques branchées. Plus espiègles, plus accessibles aux jeunes, plus douces dans leurs prix, ces secondes lignes démarrent souvent en flèche. Parfois sans qu’aucune communication ne soit faite autour de leur naissance.  » Quand Vanessa Bruno a lancé Athé, en 2000, on n’a pas eu besoin de faire de pub, confirme Marie-Anne Capdeville, chargée de communication pour les deux marques. Les clientes sont venues vers Athé en confiance. Aujourd’hui, Athé est devenue une ligne à part entière, qui grandit sans qu’on ait à s’en préoccuper.  » Et qui, avec près de 30 % du chiffre d’affaires, contribue largement au succès financier du groupe, à l’instar de Marc, qui pèse pour moitié dans les ventes de Marc Jacobs. Ou encore comme Sonia by Sonia Rykiel (le tout nouveau logo de l’ex-Sonia), qui enregistre des progressions de vente de 20 à 30 % chaque année depuis 2000.

Interdites de podiums ?

Besoin de peu de publicité, donc, et aucune nécessité d’organiser des défilés pour faire connaître les modèles : mis à part Marc by Marc Jacobs et Blugirl, petite s£ur de Bluemarine, aucune des lignes bis n’a droit aux catwalks.  » Recentrage sur l’international « ,  » crainte de cannibaliser la saison principale  » ou encore  » mise en place trop coûteuse pour permettre deux défilés différents « , les explications varient mais l’option est la même pour (quasi) tous les créateurs. Qu’on n’en déduise surtout pas que les lignes bis sont considérées comme les parentes pauvres des marques : souvent, on a l’impression qu’elles offrent au contraire un terrain de jeu moins balisé à leurs géniteurs, qui y laissent exploser leur impertinence. Un exemple ? Alors que la dernière collection de John Galliano pour Dior prenait un virage vers le classique et que sa ligne principale s’assagissait doucement, galliano, sa griffe bis lancée ce printemps, oscille entre glam’rock et sport chic, avec toute l’extravagance que ses fans attendent du génial John.

Même tendance pour Maison Martin Margiela ligne 10, Bui de Barbara Bui ou McQ, lancée l’hiver dernier par Alexander McQueen, qui y décline des pièces plus  » trash  » que celles de la ligne principale, ou pour Sonia by Sonia Rykiel.  » Même si l’on y retrouve les codes Rykiel, comme les couleurs, la maille ou les rayures, l’inspiration de Sonia est plus ludique, plus flashy, développe Nathalie Rykiel. On y propose entre autres des imprimés  » fruits « , une touche british, où l’humour et le côté  » déglingué  » ont la part belle. C’est moins rive gauche et plus jeune, avec des modèles que j’aime qualifier de déjantés. Côté prix, comptez de 600 à 800 euros pour un pull Rykiel, alors qu’on a déjà un Sonia pour 190 euros.  »

Beau et bon à la fois

Esprit girly et prix de 30 % à 50 % moins élevés que pour la première griffe, tous les éléments sont réunis pour que les lignes bis séduisent une jeune génération de fashionistas, aux revenus plus faibles mais pas moins fans de marques. D’autant que les prix plus doux ne sont en aucun cas synonymes de moindre qualité : c’est grâce au choix de matières moins précieuses et de coupes plus simples que les créateurs arrivent à faire baisser les coûts. C’est le cas chez Isabel Marant, dont la ligne Etoile offre depuis 2003 des basiques où l’on retrouve du jersey, du voile de coton ou de la popeline. Ou de See by Chloé, avec un tee-shirt à 100 euros ou une petite robe (Lindsay Lohan les adore !) à partir de 250 euros. Paul & Joe Sister mise sur le coton et le denim, R.E. D de Valentino et M de Missoni bannissent aussi la soie et le cachemire.

Dans la même veine, Agnès b., pionnière des secondes lignes avec Lolita, a elle aussi toujours imaginé des modèles dans lesquels les plus jeunes se sentent à l’aise, tant au niveau des matières que des coupes.  » Il ne s’agit pas d’une sous-ligne ou d’une sous-production, insiste Marie Schneier, collaboratrice d’Agnès b. Dans les deux cas de figure, tout est produit en France. Simplement, pour Lolita, on se pose beaucoup plus de questions sur les détails, de manière à simplifier la fabrication. Par exemple, on n’y trouve pas de double piqûre.  »

En imaginant sa seconde ligne il y a vingt ans et en la relançant il y a deux saisons, Agnès b. entendait également s’inscrire dans une démarche généreuse. Elle avait en effet en tête le film  » Lolita  » (1962) de Stanley Kubrick, et l’image de cette toute jeune fille portant des vêtements très  » dame « .  » A l’ époque, se souvient Marie Schneier, très peu de choses existaient pour celles qui étaient déjà sorties de l’enfance mais pas encore réellement femmes. Ou alors, c’était excentrique et cher. Agnès, qui affectionne tout particulièrement la période de l’adolescence, a voulu proposer une garde-robe dans laquelle on se sente bien, même si l’on n’est pas particulièrement à l’aise dans son corps.  » Aujourd’hui, on note que ce sont souvent via leurs mamans, fidèles à Agnès b., que les jeunes filles découvrent Lolita. Et ça marche fort, en Europe comme au Japon.

La  » bis « , l’accessoire et la principale

Il faut dire qu’en Asie, peu de marques visent la jeune clientèle. D’où le plébiscite, aussi, de Sonia by Sonia Rykiel, qui ne possède qu’une boutique en nom propre à Paris, mais en a deux à Pékin, une à Taïwan et une en Corée ! Phénomène assez rare, puisque les secondes lignes sont le plus souvent distribuées dans les multimarques, à l’inverse de leurs grandes s£urs qui jouent la carte de l’exclusivité. Hormis chez Isabel Marant ou Vanessa Bruno, on ne les retrouve jamais côte à côte. Une dichotomie dont l’explication est… double. Tout d’abord le désir évident d’afficher l’indépendance des deux labels. Ensuite, la volonté de répondre aux habitudes de consommation du public visé par ces griffes jeunes, friand de multimarques et de grande distribution. Car les grands noms ne concèdent que du bout des lèvres que leurs lignes bis représentent aussi une manière de contrer les Zara, Massimo Dutti et autres Mango. Depuis quelques années, pour des prix modiques et une qualité pas aussi médiocre qu’on voudrait parfois le faire croire, ces mastodontes de la fringue s’inspirent sans vergogne des tendances lancées par les créateurs. Entre les lignes principales très chères et élitistes, sorte de nouvelle haute couture, et les modèles made in China de la grande distribution, un important segment du marché n’attendait donc que les consommatrices plus jeunes, moins en quête de luxe et moins fortunées.

Les  » bis  » poussent tellement vite et bien qu’elles développent aussi, cerise sur le gâteau, des mini-lignes d’accessoires : Baby Jane, seconde ligne de Cacharel, est ainsi en mesure d’offrir un total look, avec sac et chaussures. Même chose pour Sonia, bien que Nathalie Rykiel prône plutôt la mixité et insiste sur le côté  » détournable  » de Sonia, qu’elle préfère panaché qu’en silhouette complète. On y trouve maintenant des broches, bracelets, deux paires de chaussures… Outre les accessoires, Marc by Marc Jacobs, tout comme See by Chloé, a carrément développé une collection  » cruise « , comme les lignes principales. Autonomes, dotées d’une personnalité propre, choyées par les créateurs qui leur ont donné vie et par ailleurs adorées d’un public branché, les secondes griffes ont de quoi rendre leurs aînées jalouses. Aujourd’hui, les petites ont tout d’une grande.

Delphine Kindermans

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