Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Artiste suisse établie à Bruxelles, Félicie dessine un bestiaire aux émotions humaines. Son talent visuel s’illustre aujourd’hui sur la pochette de Close The Evil Eye des Tellers. Mais il avait déjà été remarqué par le cinéasteaméricain Wes Anderson qui l’avait embauchée pour son Fantastic Mr Fox.

« Pendant les cinq mois passés à Londres à travailler sur le film d’Anderson, la nuit, je rêvais de renard.  » Félicie rit en dévoilant une double rangée de petites porcelaines blanches. Blonde, jolie et menue, elle se raconte volontiers dans le cadre d’un resto à tofu et autres végétarismes à racines. Quand on aime autant dessiner les animaux, on évite probablement de les manger. Et puis, cette future trentenaire – en février prochain – travaille en compagnie de rituels : le papier par exemple.  » Je ne pourrais jamais dessiner sur un ordinateur, j’ai besoin d’utiliser le même crayon et de ressentir la sensation physique du papier – mmmmhhh – et si ce n’est pas le bon, je le remarque d’emblée. J’en utilise beaucoup et j’ai besoin de le gommer et de le gommer encore, jusqu’à atteindre le résultat qui me plaît. J’aime travailler dans le détail, comme en cuisine. Je cherche le moment où je suis tellement absorbée que j’atteins une forme d’osmose, une quasi-méditation. « 

Wes Anderson, cinéaste original et coloré ( The Life Aquatic with Steve Zissou, The Darjeeling Limited) a dû sentir la nature profonde du coucou helvète…  » J’ai reçu un e-mail m’informant qu’Anderson voulait adapter un livre de Roald Dahl – petite, j’avais lu tous ses bouquins – et qu’il aimerait me faire faire des essais. J’ai pensé que c’était une blague. D’autant qu’il me demandait, par exemple, de dessiner « un renard empaillé qui ressemble physiquement à Roald Dahl », puis un autre qui ressemble à George Clooney (qui double le film).  »

Une fois incorporée au team londonien, Félicie croque, dessine, trace, noircit, pendant cinq mois, des centaines de bébêtes de ce diabolique film d’animation.  » Chaque personnage nécessite dix dessins et cinquante retouches de costumes, tout est envoyé à Wes qui doit – littéralement – apposer son cachet  » Wes approval « . Le papier certifié est alors transformé en marionnette de 25-30 cm de hauteur par une compagnie de Manchester. Le personnage principal, le renard, est reproduit à une quinzaine d’exemplaires : chaque poil de fourrure est (é)mouvant.

Quand Anderson débarque enfin physiquement dans les studios londoniens, après avoir dirigé Fantastic Mr Fox (le film est sorti en février dernier en Belgique) de Los Angeles, puis de Paris, c’est l’épiphanie. Félicie, lead character designer, a droit à une entrevue perso où elle épate le maître via une histoire de West Side Story. L’une des rares références pop d’une enfance suisse où le ton est davantage aux baroqueux du XVIIe siècle.  » Je viens d’une famille fribourgeoise,mes parents sont tous les deux musiciens, spécialisés en musique ancienne, désireux de bousculer les idées convenues.  » Papa conjugue ses travaux à l’orgue et à la cornemuse, maman chante et manie le luth. Félicie elle-même rêve de viole de gambe mais finit au violoncelle, le catholicisme familial non contrit lui donnant une attention pour le sacré. Ses idoles ? Même pas Jordi Savall.  » Les bibliothécaires de la Ville de Fribourg qui semblent tellement calmes et travaillent dans un lieu apaisé, caressé de musique douce.  »

Mais le petit lutin – qui a deux s£urs – n’est pas le lac de Genève : après des études aux beaux-arts de Bruxelles, elle reste dans la capitale belge avec laquelle elle partage le goût de la  » mélancolie « , faisant vibrer sa double passion, le dessin et la musique.  » J’ai joué dans le groupe Hank Harry, trimballant même mon violoncelle sur la scène de Dour, et puis j’ai travaillé dans l’animation, notamment sur le film Max & Co.  » Ces temps-ci, ayant terminé une jolie pochette chargée d’onirisme pour The Tellers, elle finit aussi son premier court-métrage de réalisatrice, bombinette tournée en 16 mm noir et blanc léchée par des parfums d’animation. Cette fille ira loin. On parie ?

www.feliciehaymoz.com

Philippe Cornet

Je ne pourrais jamais dessiner sur un ordinateur, j’ai besoin d’utiliser le même crayon et de ressentir la sensation physique du papier.

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