La mode est surtout une histoire de longueur. d’avance. Pour les collections printemps-été 2010, les créateurs américains ont été plus innovants que jamais. Visite en coulisses, à New York. Pour l’avant-dernier rendez-vous à Bryant Park, avant le déménagement, en septembre prochain, de la Fashion Week au Lincoln Center.

Photos : Jorge-Rafael Paula-MolinaL’ordre circule via les oreillettes des agents de sécurité : « On n’attend pas !  » New York, septembre dernier. Il est 19 h 58, deux minutes avant le début du défilé Marc Jacobs (lire aussi en pages 64 à 67) printemps-été 2010. Les derniers arrivés montent quatre à quatre les marches de l’imposante armurerie de New York. Cartons en main, les invités sont stoppés net par une haie de videurs, avant d’avoir pu rejoindre leur siège. C’est la bousculade. Une créature masquée essaie de fendre la foule, au bras de son chevalier servant. Elle n’ira pas plus loin. Recalée, la chanteuse pop Lady Gaga, toujours extravagante en loup noir clouté, petit chapeau bibi et gants de pilote de course, assistera debout au défilé. Sur la touche, comme une débutante ! Madonna aura eu plus de chance. Très discrète, elle sera la dernière placée et la première repartie…

Malgré ce début précipité, Marc Jacobs a gâté ses fans. Un défilé spectacle. Le décor est celui d’un vaste mausolée moderne, entièrement blanc. Les mannequins s’avancent à petits pas, à la manière de geishas ou d’équilibristes sur une corde invisible. C’est l’explosion des genres. On ose tout, à condition que ce soit superposé : des volants et des frous-frous sur des robes et des jupes, des cols jabots, des corsets apparents sur des chemises sages, des shorts cyclistes scintillants, une robe en laine, des découpes  » écailles de poisson  » ajourées sur des robes et des manteaux, des sarouels, du court et du long, du bouffant et du cintré.

à la sortie, c’est l’euphorie. Le soulagement également, pour l’équipe de Marc Jacobs. Le sprint final a duré trois semaines, à raison de 16 heures de travail par jour.  » On a un peu le tournis, confie Miranda, qui travaille sur les imprimés. Nous n’avons pas dormi depuis tellement longtemps. On vient de terminer la collection, il y a une heure à peine.  » Pourquoi ce timing si serré ?  » Si nous commencions plus tôt, la collection serait dépassée à l’heure qu’il est. La mode tourne tellement vite. Tout ce que vous voyez sur les défilés, ce sont des idées fraîches. « 

Prendre son temps

Action ! Le rythme chronométré de la Fashion Week se poursuit toute la semaine, sur les podiums mais aussi en coulisses. Chaque créateur a trois heures exactement pour boucler son show. Trois heures durant lesquelles il faut régler l’éclairage, la musique, coiffer, maquiller et habiller les mannequins backstage. Asseoir le public. Et 30 minutes pour vider les lieux. Pas étonnant que de plus en plus de créateurs tournent le dos à ce rendez-vous très expéditif. C’était le cas de Peter Som, qui nous proposait, lui, de faire une pause en optant pour une  » présentation « , un format plus économique et aussi plus convivial. On pénètre dans un loft épuré du centre-ville, à la rencontre de filles magnifiques, habillées de tenues lumineuses et scintillantes. Comme dans un atelier, on peut prendre son temps pour voir et même toucher les tissus.

Nostalgie des stations balnéaires des années 20 ? La collection est vintage et rétro à souhait. Deauville est dans tous les esprits, ainsi que les clichés du photographe français Jacques-Henri Lartigue (1894-1986). Ces belles demoiselles portent des petits tailleurs pied-de-poule pastel, de grandes culottes hautes en guise de short, des tops rayés d’inspiration marine, des jupes tulipes et des blouses à pois en soie. Peter Som voulait de la couleur et de la gaieté. Il y parvient avec des impressions florales, des rayures, du jacquard turquoise et même une touche léopard.

L’atmosphère est détendue et les invités baguenaudent. Anna Wintour, elle aussi, se prend au jeu. La puissante rédactrice en chef de Vogue Etats-Unis découvre la collection accompagnée du styliste, sa tasse de café à la main. Elle a même laissé au vestiaire, ses sacro-saintes lunettes noires, dont elle est toujours affublée aux premiers rangs des supershows. Lasses, après deux heures debout sur une estrade, les mannequins ont des fourmis dans les jambes.  » Je préfère l’adrénaline des défilés « , confie l’une d’elles.

Dire au revoir

Si la mode est en mouvement perpétuel, il en est de même de l’organisation de la Fashion Week de New York. Un grand chamboulement se prépare. Les créateurs ont dit au revoir – avec la présentation des collections automne-hiver 10-11, organisée du 11 au 18 février – à l’écrin de verdure de Bryant Park, pour se donner rendez-vous, en septembre prochain, sur le site prestigieux du Lincoln Center for the Performing Arts, siège de l’opéra et du New York City Ballet. Bryant Park était  » la capitale américaine de la mode  » depuis 1993. Suite aux plaintes des riverains, le bail de la société organisatrice, IMG Fashion, n’a pas été renouvelé. Qu’en pense sa directrice, Fern Mallis ?  » C’est une opportunité exceptionnelle pour l’industrie de la mode d’être associée à ce qu’il y a de meilleur dans les disciplines artistiques comme l’opéra, le théâtre, la danse et le cinéma « , s’enthousiasme-t-elle.

Le moment tombe plutôt bien. Bousculée par la crise économique, la mode américaine renoue avec la créativité.  » Tout le monde essaie de travailler de manière un peu intelligente et de ne pas faire des choses stupidement extravagantes « , souligne encore Fern Mallis, qui n’a jamais sa langue en poche. À 70 ans, Ralph Lauren, un des patriarches de la mode américaine, en profite pour dépoussiérer ses classiques. Puisant dans le thème de la récession des années 30, il propose une collection aux images fortes. Sur un air de musique country, les tenues semblent sortir d’un chapitre des Raisins de la colère de John Steinbeck. Ralph Lauren offre une nouvelle vie aux jeans et aux vêtements de travail, usés et rapiécés. La pirouette ? Ces pièces passe-partout sont portées non pas avec des godillots ou des bottes mais sur des talons vertigineux, pour une silhouette affinée. La liquette de grand-père est réinventée en petite robe. Même la salopette se transforme en robe du soir gris perle. On n’oublie pas la soie et le lamé, les indispensables d’une collection Ralph Lauren. Standing ovation !

Faire preuve de créativité

La créativité trouve aussi sa place chez les autres valeurs sûres américaines. Loin de ses figures robotiques de la saison dernière, Narciso Rodriguez innove avec une collection plus fluide et féminine qu’à l’habitude. Feux sur l’Afrique chez Diane von Furstenberg. Des robes décontractées mais qui jouent sur les imprimés forts, safari, léopard, le mélange fantastique de tons, pour des femmes belles et exotiques à souhait. Volonté très artistique chez Calvin Klein et Donna Karan, qui ont eux utilisé une palette plus sobre avec des tons unis. Mais les découpes, les volumes et les tombés témoignent d’une belle technique et de beaucoup de recherche.

Le dernier soir se termine habituellement en apothéose, avec un défilé phare. Il s’agit de Tommy Hilfiger, qui veut finir en beauté après l’ouverture le jour même de sa nouvelle boutique de la 5e avenue. Alors que les curieux et les fashionistas se massent à l’entrée des tentes, les paparazzi ont élu domicile à l’arrière. C’est l’entrée des artistes, le passage obligé des célébrités dirigées directement par le backstage jusqu’aux premiers rangs. Les  » men in black « , des costauds qui assurent la sécurité, sont sur le qui-vive. Il est 19 h 45, un quart d’heure avant le début du défilé.  » Un grand groupe va arriver, explique le chef de la sécurité. Nous voulons lui ouvrir la voie et le faire entrer en toute sécurité. Mettre les caméras et les photographes d’un côté pour que personne ne reçoive un coup.  » Un peu avant 20 heures, Tommy Hilfiger émerge, aveuglé par les flashs et entouré par les paparazzis. Quelques minutes plus tard, il se livre, sourire aux lèvres, au jeu de l’interview express en backstage. Quand on lui demande de révéler ses pensées, il confie :  » Faire démarrer le défilé, et passer au suivant.  » On l’avait presque oublié : la mode n’attend pas !

Par Elodie Perrodil

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content