Homologue féminine de Mike Tyson et Mohammed Ali, l’athlète Ouest-flandrienne a réussi, au printemps dernier, ce qu’aucun(e) Belge n’avait jamais fait avant elle : décrocher un titre de championne du monde de boxe en catégorie poids légers. Une fille d’agriculteurs qui garde la tête sur les épaules et rêve de nouveaux défis.

C’est aujourd’hui la championne du monde incontestée de sa discipline, en catégorie poids légers. Pour accéder à ce titre, il restait à Delfine Persoon, après trois autres sacres internationaux, à s’emparer de la ceinture du World Boxing Council – une prouesse qu’elle a réussie le 20 avril dernier, en battant aux points l’Argentine Erica Anabella Farias, surnommée La Pantera. Sans se départir de son calme coutumier, notre compatriote, âgée de 29 ans, a gagné son match, fait suturer son sourcil droit, subi l’incontournable test de dopage et bu sa première Kriek depuis des mois… avant d’aider à ranger le hall des sports de Zwevezele. Quatre jours plus tard, elle reprenait le cours de sa vie professionnelle à Bruges, où elle est inspectrice à la police des chemins de fer.  » Nous nous occupons des voyageurs qui fraudent, des objets perdus, mais nous intervenons aussi partout en Flandre-Occidentale, lorsqu’il y a un souci : une barrière de passage à niveau défoncée, un accident entre une voiture et un train, des dégâts aux caténaires, une vache sur les rails, etc.  »

Delfine travaille à temps plein, généralement dans l’équipe du matin, de 6 à 14 heures, ce qui lui permet de consacrer ensuite quelques heures à l’entraînement.

DES POINTES AUX GANTS

Née à Roulers le 14 janvier 1985, Delfine a grandi à la ferme où ses parents continuent à élever des porcs et cultiver des légumes, et où elle a appris très jeune à bosser dur.  » À près de 60 ans, mon père commence à se ménager, mais autrefois, il ne rentrait jamais avant 23 heures, se souvient-elle. Il se lève aux aurores pour s’occuper des bêtes, prend son petit-déjeuner entre 8 heures et 8 h 30 heures, puis disparaît sur son champ pour semer ou repiquer poireaux, choux-fleurs et céleris-raves. La production maraîchère demande vraiment un boulot intensif. Ma maman n’a jamais voulu que nous fassions ce métier et nous poussait beaucoup à réussir nos études. Ma grande soeur Herlinde a un diplôme d’ingénieur industriel et moi d’éducation physique. Jasmine, notre cadette, est actuellement en dernière année pour devenir kiné. Aucune de nous trois n’a jamais eu de seconde session.  »

S’occupant de la ferme, les parents de la boxeuse n’avaient guère de temps à consacrer à leurs enfants. C’est donc une tante qui emmenait les filles Persoon à la danse avec les siennes.  » J’ai pu commencer dans le même groupe que ma soeur, de deux ans mon aînée, et il paraît que j’étais plutôt douée…, concède Delfine. Mais cela ne me permettait pas d’évacuer toute mon énergie et ma mère a rapidement eu ras-le-bol de me voir revenir toutes les semaines avec des collants troués. Herlinde voulait faire du judo, une activité où elle pouvait se rendre en vélo, et je l’ai accompagnée du haut de mes 6 ans. Une lésion chronique du dos (trois disques usés, un mal de famille) m’a toutefois forcée à stopper à 18 ans. J’ai donc commencé le tennis, en partie sur le conseil de mon père, parce que c’était un sport « qui rapportait ». Mais ce n’était pas mon truc !  »

Delfine est trop modeste lorsqu’elle évoque sa carrière de judoka. Admise dans une prestigieuse école anversoise de cette discipline, elle a collectionné les victoires et les titres dans les compétitions belges et s’est régulièrement distinguée dans des tournois internationaux, allant jusqu’à se classer quatrième aux Jeux olympiques de la Jeunesse à Murcia, en Espagne. Certains voyaient déjà en elle la nouvelle Ulla Werbrouck lorsqu’elle a dû, sur ordre du médecin, abandonner prématurément son judogi. Neuf ans après ce coup dur, la toute première championne du monde de boxe belge en catégorie poids légers semble pourtant plus forte que jamais. Deux Belges seulement ont eu l’occasion de se battre pour ce titre que Delfine Persoon vient de remporter. L’autre était Jean-Pierre Coopman, le Lion des Flandres, qui était déjà double champion d’Europe lorsqu’il a dû s’incliner en 1976 devant Cassius Clay, alias Mohammed Ali.

Lorsque Delfine a commencé la boxe, à 22 ans, elle n’a pas osé en parler tout de suite à ses parents.  » Ils s’imaginaient que j’allais faire du fitness. Pour mon premier match, je leur avais raconté que j’allais encourager un ami… Mais quand je suis rentrée avec un oeil au beurre noir, j’ai bien dû leur avouer que c’était moi qui étais montée sur le ring. Ils n’étaient pas vraiment ravis, craignant que je ne me retrouve à fréquenter des marginaux, mais je peux vous assurer qu’on ne trouve pas de racaille dans les clubs de boxe.  » La jeune femme sait toutefois que ses parents n’accepteront jamais vraiment sa passion.  » Ils gardent leurs critiques pour eux, mais ils ne feront rien pour m’encourager. Mon père estime que la vie est faite pour travailler et gagner de l’argent. Pour lui, mon hobby n’a donc aucune utilité. Et ma mère sautera certainement au plafond le jour où j’arrêterai, même si elle m’envoie un SMS avant chaque combat pour me dire d’être prudente. Quand je me suis battue pour le titre de championne du monde, ses amies ont pratiquement dû la traîner de force. Malgré un calmant, elle a passé les dix reprises le visage dans les mains, jusqu’à ce que tout soit fini.  »

UNE ASCENSION ÉCLAIR

C’est en réalité à l’école de police, qu’elle a rejoint après ses études, que Delfine Persoon a découvert ce qui deviendrait sa passion.  » Malgré mon goût pour l’aspect « sport de combat », j’avais au départ les mêmes préjugés que les autres, je pensais que c’était un monde de délinquants et surtout pas pour les femmes. Pourtant, cela me tentait, pas pour faire de la compétition mais simplement pour garder la forme.  » Après six mois, elle monte pour la première fois sur le ring et gagne d’emblée le match. En l’espace d’un an, elle remportera douze victoires en autant de combats, deviendra championne de Flandre, puis de Belgique, et battra les leaders néerlandaises et françaises de la discipline. Elle décrochera finalement son titre de championne d’Europe sur ses terres, à Lichtervelde.  » Mon entraîneur m’a alors suggéré de tenter le championnat du monde, raconte la star du ring. Il existe quatre grandes ligues de boxe : WIBF, IBF, WIBA et WBC. J’ai remporté les trois premiers titres. Il ne me manquait plus que celui du WBC, le plus prestigieux, celui de la plus grande fédération mondiale, qui était détenu depuis quatre ans par l’Argentine Erica Anabella Farias.  »

La Pantera est une adversaire rusée qui multiplie les accrochages, agit peu et évite autant que possible de gaspiller son énergie… Mais Delfine est une dure à cuire. En judo, elle affirmait déjà qu’elle n’aurait pas hésité à casser le coude à un adversaire. Charmante en temps normal, Delfine se métamorphose en une véritable tueuse dès qu’elle monte sur le ring.  » C’est comme si je devenais une autre personne. Je me bats pour gagner et pas question de faire dans le sentimental, car il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur : c’est moi ou l’autre. Si mon adversaire est à moitié sonnée, je lui donne un coup supplémentaire pour être sûre qu’elle ne se relève plus. J’irai immédiatement voir comment elle va après le match, mais au moment même, il faut maîtriser ses émotions.  »

C’est pourquoi, avant la rencontre, la sportive évite toujours autant que possible les contacts avec ses adversaires.  » Certaines sont venues me lécher la joue, me cracher devant les pieds ou faire semblant de m’étrangler pour me déstabiliser… Et cette guerre psychologique, ce n’est pas mon fort « , avoue-t-elle. Pour se préparer à son combat contre Farias, elle a pris quatre semaines de congé au boulot pour s’entraîner comme une vraie pro, cinq heures par jour à se battre contre des armoires à glace pour développer sa force et sa résistance.

Et sa lésion au dos, dans tout cela ?  » La boxe est à cet égard un sport beaucoup moins lourd que le judo, où on ne cesse de tirer et de traîner son adversaire. Un boxeur n’a pratiquement pas de contacts physiques avec son opposant, bien au contraire : il essaiera autant que possible de le garder à distance. Et mon dos ne me fait plus du tout souffrir : grâce à mon activité, j’ai développé mes muscles ! Il paraît que j’ai un beau petit carré, comme on dit pour les cochons.  »

La championne se soucie-t-elle de son apparence ?  » Comme je me lève à 5 heures du matin et que mon train pour Bruges est à 5 h 30, je n’ai pas vraiment le temps de pavaner devant le miroir, répond-elle en riant. Par contre, quand j’ai un oeil au beurre noir, je le camoufle avec du fond de teint pour éviter que mes collègues le remarquent. Cela dit, les blessures font partie du jeu, chaque sport a ses risques. Depuis que j’ai commencé la boxe, j’ai eu une seule fois le nez cassé ; mon entraîneur l’a remis droit d’un coup en tirant dessus.  »

Sur trente matchs en tant que pro, la Ouest-flandrienne en a gagné vingt-neuf et perdu un seul – par knockout, à cause de cette fracture du nez.  » C’était ma faute. J’étais malade, je ne pesais que 58 kg, soit 3 de moins que mon poids de compétition, et j’avais dû être admise à l’hôpital avec des symptômes de déshydratation, relate la boxeuse. Les médecins m’avaient fermement déconseillé de monter sur le ring, mais des centaines de billets avaient déjà été vendus et je ne voulais pas décevoir mes fans. J’avais reçu une perfusion de liquide la nuit précédant l’événement, je me suis dit que ça irait…  »

UN AUTRE COMBAT

L’épreuve n’a toutefois pas découragé cette fonceuse qui espère rester dans le monde de la compétition encore un an ou deux, voire davantage, mais c’est à son entraîneur Filiep Tampere d’en décider.  » La boxe, c’est ma vie. Mais le jour où ma santé ne me permettra plus de continuer, il sera temps de passer à autre chose. D’avoir des enfants, peut-être. Pour le moment, c’est exclu, car je ne peux pas me permettre de payer une nounou comme Kim Clijsters. Sa carrière sportive lui a rapporté gros. Moi, je dois travailler pour gagner de quoi vivre. Mon emploi, c’est l’assurance d’un revenu stable. En boxe, on ne sait jamais ce qui peut arriver : si je me déboîte l’épaule, je ne retrouverai peut-être plus jamais mon niveau actuel. Tout peut se terminer du jour au lendemain sur un mauvais coup ou une mâchoire fracturée qui ne permet plus d’encaisser.  »

Alors que nos joueuses de tennis ont été adulées pendant des années, Delfine n’est même pas dans le top 3 pour l’élection de la Sportive de l’année.  » Les dirigeants ne s’intéressent qu’aux disciplines de prestige, et la boxe n’en fait manifestement pas partie, observe-t-elle, fataliste. C’est surtout l’inertie du gouvernement flamand qui me met en rogne. Tous les projecteurs étaient braqués sur moi ces derniers mois – j’ai même été invitée par le roi Philippe, ma maman n’en revenait pas ! J’ai aussi été reçue par Catherine De Bolle, la commissaire générale de la police fédérale, qui était tellement fière de moi… Mais impossible d’obtenir ne fût-ce qu’un jour de vacances supplémentaire. Et pas le moindre subside. Aux Pays-Bas et en France, les sportifs de haut niveau travaillent à mi-temps mais sont payés à temps plein, et même en Wallonie, il y a trois boxeurs qui touchent 1 250 euros par mois alors qu’ils ne sont même pas dans le haut du classement mondial ! L’Adeps accorde annuellement 15 000 euros à la ligue de boxe wallonne, son homologue flamande ne touche pas un centime. C’est ma grande frustration. S’ajoute à cela que je suis une femme – pour un homme, cela aurait sans doute été différent – et que je viens de Flandre-Occidentale. Là, c’est la garantie de toujours se retrouver tout au bout de la file.  »

PAR GRIET SCHRAUWEN

 » C’est comme si je devenais une autre personne. Je me bats pour gagner et pas question de faire dans le sentimental.  »

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