La première collection de Derek Lam pour Tod’s insuffle un esprit délicatement jeune et féminin à la luxueuse griffe italienne. Un style casual chic, à l’image de la soirée en tête-à-tête que le créateur nous a accordée.

Même dans l’univers frénétique et hyprasophistiqué de la mode, il est des moments magiques où le temps suspend son cours et où la simplicité reprend ses droits. C’est le cas en cette douce fin d’après-midi italienne, lorsque Derek Lam, styliste new-yorkais des plus en vue – il vient d’être élu créateur de l’année, catégorie  » accessoires « , par le Council of Fashion Designers America, vous tend son verre de prosecco en souriant, accompagnant son geste d’un généreux  » cheers !  » La scène se passe sur une terrasse de pierre ocre de Montecosaro, petit village accroché au flanc d’une des collines des Marches. Au loin, noyés dans la brume, les Apenins se découpent sur le ciel orange, rocs majestueux veillant sur les innombrables usines où l’on travaille le cuir depuis des lustres. Si le styliste se trouve aujourd’hui loin de l’agitation de la Big Apple, c’est que, comme chaque mois depuis sa nomination au poste de directeur de la création  » femme  » chez Tod’s en novembre dernier, il rend visite à la maison mère, à Casette d’Ete. La journée a été dense : parmi mille autres choses, il a fallu approuver les prototypes de sacs et chaussures de la collection été 2008. Aussi le charmant monsieur Lam s’octroie-t-il quelques instants pour profiter de la douceur de l’air qui baigne cette région du centre de l’Italie, rebaptisée  » Little Toscany  » par les Anglo-Saxons.

C’est ici que Tod’s a vu le jour, au tournant du xxe siècle. Au départ de la petite fabrique de chaussures de son père, Dorino Della Valle a développé, dans les années 1940, un véritable groupe. Aujourd’hui, c’est son fils Diego qui en a repris les rênes. Président et CEO avisé, il emploie 2 200 personnes au sein de la holding Tod’s, dans laquelle on retrouve, outre la marque éponyme, les labels en croissance constante que sont Hogan, Fay et Roger Vivier. Habitué à travailler non seulement en famille, mais aussi de manière totalement intégrée, notamment via un bureau de style interne, c’est la première fois que le géant italien de l’accessoire de luxe fait appel à un créateur de renom pour diriger ses collections. Un beau défi pour Derek Lam, qui, dans son envol créatif, doit nécessairement tenir compte de l’héritage de la marque.  » Les Italiens, et Tod’s en particulier, sont très fiers de leur patrimoine et de leur maîtrise du métier, confie-t-il. Mais ils ne sont pas  » figés  » pour autant. Ils se placent dans la contemporanéité, de sorte qu’ils sont capables de combiner savoir-faire traditionnel et technologie moderne pour arriver à une vision totalement nouvelle de l’article très haut de gamme. Ce qui correspond assez bien à ma conception du luxe.  »

Une certaine idée de l’élégance

Une convergence de vues qui n’a rien de surprenant : entre les créations du New-Yorkais et les accessoires de la griffe italienne, un même fil rouge, fait d’élégance subtile, et une conception commune de la mode, qui se doit d’être  » smart casual « . Et puis la collaboration entre Tod’s et son nouveau directeur de la création s’est installée en douceur, puisque Derek Lam est en charge, depuis trois saisons déjà, du design de la ligne de vêtements féminins de la marque. Et il semble que Diego Della Valle, pourtant habitué à garder un £il sur tout ce qui touche à sa société, de la conception du bâtiment qui l’abrite depuis 1998 à l’approbation des modèles de chaque collection, laisse les coudées franches au créateur.  » Nous discutons beaucoup, confirme Derek Lam, et son expérience de trente ans m’est très bénéfique. Il donne parfois des conseils pragmatiques, sur la pose d’une lanière qui rendrait le sac plus facile à porter, par exemple. Ou sur les différents cuirs et leurs usages respectifs. Mais il ne m’a jamais imposé de contraintes, notamment commerciales, qui seraient de nature à freiner mes élans créatifs.  »

En s’impliquant dans la création pour Tod’s, l’Américain espère  » proposer des choses élégantes, raffinées, en phase avec ce que vit une femme en fonction des différents moments de la journée. Je pense qu’en ajoutant une dimension ludique aux créations, on va séduire des filles plus jeunes, en plus de la clientèle traditionnelle de la marque. Sienna Miller (NDLR : nouvelle égérie de la campagne femme pour l’ hiver 07-08 de la griffe), par exemple, est fan des manteaux que j’ai dessinés pour Tod’s. J’aimerais que des filles de sa génération se sentent tout à fait à l’aise par rapport à la griffe et développent une relation privilégiée avec celle-ci « . Pour l’hiver 07-08, le styliste propose par exemple le sac Pashmy dans une version Nylon, ou l’emblématique mocassin Gommino, dont la semelle aux 133 picots a fait la réputation de Tod’s de par le monde, en satin coloré. Une mini-révolution pour une griffe qui a fait du travail des cuirs les plus précieux sa marque de fabrique.

Comme Jean Paul, John, Karl et les autres

Pour un créateur rodé au travail en (quasi) solitaire, entrer dans un groupe de cette envergure présente des avantages indéniables. D’une part, l’association avec une marque de luxe connue en Asie, aux Etats-Unis et en Europe n’apporte pas seulement une dimension supplémentaire à cette dernière : elle offre aussi une plus grande visibilité à Derek Lam, toute bénéfique pour sa griffe. Ce ne sont pas Marc Jacobs, Jean Paul Gaultier, John Galliano ou Karl Lagerfeld, tous investis à la fois dans leurs propres collections et dans un label prestigieux, qui diront le contraire. D’autre part, s’intégrer dans une grande structure induit un confort de travail. Ainsi, il suffit souvent de lancer une idée pour que tout se concrétise très rapidement, jusqu’à la création même d’un prototype.  » La réactivité qu’on trouve ici est impressionnante, souligne le styliste dans un sourire. A tel point que j’ai déjà été tenté de dire : stop, c’était juste une idée !  »

Une manière de travailler totalement différente de celle qu’il applique pour sa ligne en nom propre.  » En général, mon équipe et moi, on procède par essais-erreurs. On tente un truc, on revient en arrière. On avance à tâtons.  » A noter que, malgré un emploi du temps encore plus chargé depuis qu’il a pris ses nouvelles fonctions chez Tod’s, le styliste n’entend absolument pas faire passer sa griffe personnelle au second plan. D’autant que, depuis leur lancement en 2003, les vêtements estampillés Derek Lam se sont taillé une place de choix sur le marché très convoité du prêt-à-porter de luxe. Parmi les fashionistas, séduites par la justesse des coupes et l’élégance des silhouettes imaginées par l’Américain, il se murmure même qu’aucun autre n’a son pareil pour dessiner un trench au tombé aussi parfait. Il faut dire que le styliste, qui travaillé douze ans aux côtés de Michael Kors dès sa sortie de Parson’s College, a été à bonne école. Et s’il a attendu aussi longtemps avant de voler de ses propres ailes, c’est parce que, avoue-t-il  » je n’avais pas envie d’assumer de telles responsabilités avant cela. Quand j’ai quitté San Fransisco pour New York, j’étais bien décidé à profiter de ma jeunesse. Ce que j’ai fait, et c’est une excellente chose : maintenant, j’ai d’autres envies – développer ma ligne propre en fait partie – et je n’éprouve aucun regret « .

Les racines d’une vocation

On ne voit donc que très rarement Derek Lam dans les soirées ou les restos branchés où la jet-set semble s’être donné rendez-vous. En homme de goût, Derek Lam préfère les plaisirs discrets et raffinés au luxe ostentatoire. A l’instar de la cantina qu’il a choisie pour dîner ce soir-là, connue des seuls habitants des environs, et qui propose une cuisine italienne savoureuse et authentique, à base des ingrédients locaux les plus fins. Attentionné, le créateur commande un excellent vin, en italien.  » Quand je travaillais pour Michael Kors, je suis régulièrement venu en Italie, où se faisait une partie de la production, se justifie-t-il. Je devrais le parler nettement mieux que ça !  »

Même si sa modestie en souffre sans doute –  » je n’aime pas cette image snob que se donnent certains stylistes, mais qu’on ne retrouve pas, par exemple, chez les Six d’Anvers  » – le directeur de création de Tod’s reconnaît parler aussi  » un peu le chinois « . Sa mère a mis un point d’honneur à ce que lui et ses deux s£urs apprennent la langue de leurs racines. C’est aussi son histoire familiale qui explique, en partie, la vocation de Derek Lam.  » A la base, je voulais faire de l’art, se souvient-il. Mais j’avais aussi besoin de m’inscrire dans le concret. Ma famille ayant toujours travaillé dans la confection, la mode m’a semblé une manière toute naturelle de concilier mes deux attentes.  » De ses origines multiculturelles, l’Américain garde également une fascination pour  » le mélange des communautés, très présent à New York mais plus encore à Hong Kong. Quand j’y ai travaillé, j’ai adoré côtoyer des Français, des Indiens, des Britanniques, des Belges aussi… D’un point de vue personnel, c’est très enrichissant.  »

Déjà, le campanile sonne les douze coups, comme pour rappeler à Derek Lam que demain, sa journée commence tôt. Dans son bureau de Casette d’Ete, les stylistes qui l’entourent auront mille questions à lui poser, d’autres prototypes réalisés par les artisans de Tod’s devront être approuvés, des dossiers passés en revue avec Diego Della Valle. En passant la porte de la cantina, le créateur s’avise que les ruelles en pavés escarpées de Montecosaro sont plutôt inadaptées aux escarpins à talons hauts que j’ai cru bon enfiler pour l’occasion.  » Je peux vous proposer de me tenir le bras ?  » s’enquiert-il. Elégant, raffiné et à mille lieues de toute attitude tapageuse, Derek Lam est décidément à l’image des créations qu’il dessine pour la grande maison italienne.

Delphine Kindermans

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