Barbara Witkowska Journaliste

Dans la capitale catalane, on ne dort jamais. On fait la fête et on consomme la culture et l’architecture sans modération. Lors du Printemps du design, les créateurs envahissent la ville. Tour d’horizon des plus belles expos.

A Barcelone, les styles s’entrechoquent, se bousculent, se fondent et se marient : le romain, le gothique et puis le plus étonnant de tous, le plus singulier, tant il vous plonge d’emblée au coeur de la réalité de la ville : le  » modernisme  » dû à Antonio Gaudí et à ses acolytes, disciples et rivaux. Si la tradition donne le ton, la ville ne cesse de lorgner vers le futur. L’architecture d’avant-garde s’impose et le design explose. Ce dernier se développe avec beaucoup de brio et de panache tout au long du XXe siècle. Des écoles de haut niveau attirent les talents les plus pointus, l’Institut du design industriel ouvre ses portes en 1957. Les Jeux olympiques de 1991 donnent une dernière et formidable impulsion à cet épanouissement créatif. La première édition du Printemps du Design a donc lieu en 1991. La manifestation rencontre d’emblée un succès considérable et sera reconduite tous les deux ans, en alternance avec le Printemps de la photo. Pendant plusieurs mois, des initiatives à caractère très différent se succèdent et se télescopent : expositions, show-room, conférences, forums, débats, actions de rue… Objectif ? Présenter les créations récentes des jeunes talents, rendre hommage à l’oeuvre des plus grands créateurs de notoriété internationale, mais surtout mettre en évidence la place importante que le design occupe dans notre vie, ainsi que sa capacité de nourrir et  » booster  » la culture et la tradition catalane dans son aspect le plus novateur.

Le Printemps du design n’est pas un salon. Les expositions ne se succèdent pas, à la queue leu leu, dans un seul endroit. Elles sont dispersées à travers toute la ville et ont pour écrin des endroits prestigieux, historiques, tous dignes d’intérêt. A Barcelone, l’ancien se marie toujours admirablement bien avec le moderne. Une opportunité de rêve pour découvrir différentes facettes de cette ville attachante, à l’allure enfiévrée.

Mendini: fantaisie et liberté

Commençons par l’avenue Diagonal, une très longue artère chic et aérée. Au fond d’un magnifique parc, rythmé par des plantes exotiques et des fleurs rares, se trouve le Palais royal de Pedralbes (Palau Reial de Pedralbes). Cette merveille d’architecture, gracieuse et précieuse, abrite, notamment, le musée des Arts décoratifs. Dans cet écrin d’exception, sous la bannière  » Entre les arts  » ont été mises en scène les créations étonnantes d’Alessandro Mendini, le célèbre architecte, peintre et designer italien. Né à Milan en 1931, Mendini a signé des objets quotidiens et des meubles les plus fous, dessiné des maisons d’avant-garde, modernisé des parcs, dirigé des revues de décoration les plus prestigieuses, assuré la direction artistique de Swatch… Après une carrière riche et éclectique, il continue à enseigner le design, à l’Ecole des arts appliqués à Vienne. Son univers ? La poésie, la couleur, l’insouciance et le monde de l’enfance. L’oeuvre de Mendini échappe à toute classification définitive, à toute étiquette. Elle est à la fois abstraite et figurative, traditionnelle et novatrice, expressive et contemplative. La forme géométrique donne naissance à la forme libre : la fantaisie et la liberté débouchent sur la rigueur et le compromis. Les couleurs explosent. Inspirée des palettes chromatiques du cubisme, du futurisme et du pointillisme, la couleur devient, chez Mendini, un véritable manifeste. Mendini crée, mais aussi « recrée ». Son  » re-design  » consiste à intervenir sur des objets existants, quotidiens, en les personnalisant et agrémentant d’éléments décoratifs extravagants et outranciers, parfois un peu kitsch, pour les libérer ainsi de la banalité dérisoire de la production en série. L’exemple le plus significatif ? Ce fauteuil Proust, datant de 1978, et interprété en plusieurs versions chromatiques. Bref, Mendini s’éclate, s’amuse. Et nous aussi. On voit la vie en rose, en se promenant parmi les créations de Mendini. Son univers drôle, ludique, empreint d’une poésie enfantine, tranche dans ce décor extrêmement précieux et raffiné du XIXe siècle. Le contraste est époustouflant, le résultat superbe…

Mies van der Rohe: sobriété et pureté

Une brève balade à travers le parc du Palais royal nous mène vers un univers complètement différent. Un pavillon sobre et dépouillé accueille l’exposition, dédiée à un tout grand maître de l’architecture contemporaine. Intitulée  » Mies van der Rohe – architecture et design à Stuttgart, Barcelone et Brno « , elle réunit les plus beaux sièges de l’architecte, dessinés entre 1927 et 1931. Le point fort ? Ils sont présentés dans le contexte des bâtiments (photos, plans, maquettes…) pour lesquels ils ont été dessinés : le siège MR10 pour l’immeuble d’habitation du Weissenhof à Stuttgart, la chaise longue pour la villa Tugendhat à Brno et la fameuse chaise avec repose-pieds dénommée Barcelona pour le pavillon allemand de l’Exposition universelle de Barcelone (1929). Architecte allemand naturalisé américain, Mies van der Rohe fait son apprentissage sur le tas, en travaillant pour différents architectes. Ses projets successifs, tous novateurs et variés, lui confèrent rapidement une grande notoriété. Mies van der Rohe dirigera, ainsi, le célèbre et prestigieux Bauhaus, jusqu’à sa fermeture en 1933. Dans son travail, il mise sur les nouvelles technologies et, surtout, sur l’utilisation de l’acier et du verre. Les trois créations citées plus haut expriment et résument le mieux l’essentiel de sa démarche : ossature d’acier, grandes baies vitrées et espaces continus où dialoguent l’intérieur et l’extérieur. Sobriété, dépouillement, pureté… Rappelons ici que Mies van der Rohe est l’auteur de la fameuse devise  » less is more  » (qu’on traduit par  » moins c’est plus  » ou  » c’est en dépouillant que l’on ajoute « ). Cette devise a fait le tour du monde et est, plus que jamais, d’actualité…

Ingo Maurer: le grand maître de la lumière

Retour en ville. La balade nous conduit vers les Ramblas, la plus célèbre avenue et le centre nerveux de Barcelone, datant du XVIIIe siècle, qui descend jusqu’au port. On lève le nez pour admirer, au passage, le Christophe Colomb, debout sur sa boule, le regard tourné vers les Amériques. Le centre d’art Santa Monica est à deux pas. Dans cet ancien couvent, l’atmosphère est singulière, empreinte de silence et de spiritualité. Ingo Maurer, le grand maître de la lumière, a choisi d’éclairer à sa façon, pendant plusieurs semaines, cet espace magnifique. L’artiste bavarois s’est donc occupé personnellement de la mise en scène d’une splendide exposition, intitulée  » Passion pour la lumière « . Cette passion est née chez Maurer durant son enfance, passée au bord du lac de Constance. Les crépuscules pourpres, dorés et violines y sont, paraît-il, incomparables… Acclamé unanimement comme  » poète de la lumière « , Maurer ne dessine pas de  » lampes « . Il crée des oeuvres d’art qui dispensent la lumière, jouent avec l’ombre et nous tiennent compagnie. Légères et aériennes, volumineuses et plus  » présentes « , parfois teintées d’humour, ces créations sont atypiques. Originales et novatrices, elles portent aussi de drôles de noms. Ya Ya Ho met en scène des éléments qui se déplacent horizontalement. Dans Tijuca, une petite boule de lumière tourne, danse, vole et glisse entre deux tiges métalliques. Porca Miseria est ce lustre amusant, réalisé avec de la vaisselle en porcelaine brisée et des couverts. Les lampes MaMoNouchies, en papier, rendent hommage aux techniques ancestrales japonaises. Symbiose fascinante d’imagination et de fonction…

Paulin: le design pop

Traversons les Ramblas et pénétrons dans un dédale de ruelles étroites, parfumées d’un délicieux charme d’antan. Le Nou de Sant Francesc est tout près. Au rez-de-chaussée d’une maison ancienne pleine de caractère s’épanouissent les oeuvres de Pierre Paulin. Né en 1927, Paulin est, sans doute, l’un des créateurs français les plus marquants de l’après-guerre aux années 1980. Un peu oublié par la suite, il redevient, aujourd’hui, furieusement  » tendance « . Et pour cause ! Paulin, c’est avant tout la grande star des années 1960, dont on fête aujourd’hui le grand retour. Précurseur et créateur du design Pop, Paulin est l’un de ses interprètes les plus admirables. A ses débuts, dans les années 1950, il est pourtant influencé par le mobilier scandinave, sobre et fonctionnel. Sa rencontre avec Harry Vagemans, qui dirige à Maastricht la firme Artifort, entreprise de mobilier au savoir-faire irréprochable, lui donnera des ailes. Paulin peut enfin  » s’éclater « , exprimer sa passion pour la  » sensualité flamboyante « , pour les formes dodues, rebondies et moelleuses, pour les lignes courbes et ondoyantes. Organiques. Ses sièges ? Ils sont en forme d’oeuf, de champignon, de pétale ou de pastille. Ses canapés évoquent des vagues ou des dunes, serpentant à l’infini. Il fait bon de s’y blottir, de s’y lover comme dans un cocon. Paulin fait réaliser les structures de ses sièges à partir d’une coque en bois comprimée sous haute pression, ou encore à partir d’une armature métallique enrobée de mousse. Puis les habille de jersey élastique et de couleurs fortes et vitaminées, comme le veut la tendance de l’époque. Drôles, ludiques et pétillants, les modèles Mushroom Chair, Ribbon Chair ou encore Tongue Chair, réalisés en grande série, se vendent comme des petits pains. Plus tard, les goûts évolueront, on se passionnera pour des lignes droites et minimalistes, pour des couleurs sobres et neutres. Pierre Paulin se retire alors dans les Cévennes où il vit une retraite bien paisible. Cet homme un peu austère, très peu médiatique, contemple avec indifférence ce regain d’intérêt pour ses créations, témoins d’une époque exubérante et insouciante, révolue à jamais…

BD Ediciones de Diseno: une pépinière de talents

Dans l’élégante rue Mallorca, nous rendons visite aux BD Ediciones de Diseno : l’une des  » institutions  » du design en Catalogne, à la fois musée, galerie d’art et boutique. Il est de notoriété publique que l’infante Cristina d’Espagne est une inconditionnelle. La maison, d’abord. Une demeure  » Modernista « , conçue, en 1895, par l’illustre architecte Lluis Domènech i Montaner et connue à Barcelone comme  » casa Thomas « , du nom de l’imprimeur qui l’a occupée pendant longtemps. Au début des années 1970, elle est soigneusement rénovée et investie par un groupe de quatre jeunes architectes, sous la férule de  » l’insolent  » Oscar Tusquets. Objectif ? Concevoir et éditer, à l’intention des puristes, des collections de meubles et d’accessoires d’architectes renommés. Un quart de siècle plus tard, l’objectif est parfaitement atteint. BD Ediciones est devenue une marque incontournable et les créations de Antoni de Morgas, Oscar Tusquets, Pep Bonet, Pete Sans et Antoni Arola, notamment, récoltent des suffrages dans le monde entier. Les  » patrons  » de BD Ediciones rendent également hommage aux grands architectes du passé. C’est donc ici que l’on peut trouver des rééditions, signées Antonio Gaudí ou Salvador Dali.

Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content