De Dubai à Las Vegas, en passant par l’Australie ou la Russie, des établissements gigantesques s’érigent pour en mettre plein les yeux. Oui mais les yeux de qui ? Ces géants sont-ils le reflet du tourisme moderne ? Tour d’horizon en compagnie d’un pro de la nuitée.

Sans grande surprise, c’est à Las Vegas que se trouve aujourd’hui le plus grand hôtel de la planète : depuis qu’il s’est doté d’une  » petite  » annexe de 3 000 suites de luxe en 2008, le magnifique The Venetian surclasse haut la main tous ses concurrents, avec pas moins de 7 050 chambres disponibles. Le lieu fait rêver. D’abord par son décor extérieur, qui dévoile des canaux et des ponts, ainsi qu’une réplique du Campanile, tour la plus réputée de la place Saint-Marc de Venise. Ensuite par l’immensité de ses intérieurs : au-delà de son casino somptueux, on croise notamment plusieurs piscines, pas moins de seize restaurants, un spa, le musée de cire de Madame Tussauds et un vaste centre commercial à parcourir sur l’eau, à bord de gondoles. Un géant parmi les autres, qui ne peut même pas se vanter d’être le plus clinquant sur ce boulevard surnommé Strip (parce qu’on y repart dévêtu… de son argent), où dansent les fontaines du Bellagio, tournoient les montagnes russes du New York et s’illumine la pyramide du Luxor, autant d’établissements majestueux qui font de cette grande ville américaine une destination à 40 millions de visiteurs annuels.

C’est toujours à Sin City que, d’ici 2018, sortira de terre le complexe hôtelier baptisé Resorts World Las Vegas. Qui, parmi ses extravagances, comptera une copie de la Grande Muraille de Chine, voire un parc avec des pandas. Un projet d’envergure qui devrait créer des emplois par milliers (environ 13 000) et relancer à lui seul l’activité économique de la cité du jeu. Bien sûr, le style  » chinois  » de l’endroit n’a pas été choisi par hasard : on le doit à la multinationale malaisienne Genting Group qui, active dans ce secteur mondial depuis un demi-siècle, n’est pas du genre à se tromper de cible. Et connaît exactement le potentiel des fameux  » marchés émergents  » dont les décideurs du tourisme doivent désormais graisser la patte de plus en plus vigoureusement. Kurt Renold, directeur général du Sheraton de Bruxelles, précise :  » Il faut séduire tout le monde. Et même si Las Vegas possède déjà les plus grands hôtels de la planète (NDLR : six des dix plus grands), elle ne peut pas nier le poids de ces nouveaux clients, chinois notamment, et ce tout en continuant à faire parler d’elle avec des projets flamboyants…  »

DE VÉRITABLES VILLAGES

Si ces colosses mènent la belle vie, c’est aussi parce qu’ils offrent ce qu’on pourrait appeler du  » tout en un « . Autrement dit : des chambres confortables, bien sûr, mais aussi une myriade d’activités et de facilités qui permettent à leurs hôtes de ne jamais devoir quitter les lieux pour passer des vacances agréables. Le plus grand complexe d’Asie, baptisé le First World Hotel, l’a compris depuis son ouverture en 2000 à Genting Highlands, en Malaisie. Prenant exemple sur ses cousins du Nevada, il déploie non seulement un gigantesque casino, mais aussi des magasins à gogo, un grand parc aquatique, un cinéma, un théâtre, une salle de concert, un centre de remise en forme et des bars disséminés un peu partout dans ses vingt-huit étages. En 2016, le lieu se dotera même d’un nouveau joujou qui risque d’appâter un public toujours plus large : le premier parc d’attractions de la Terre conçu par les studios américains de la 20th Century Fox. Autrement dit, il s’agit là d’un véritable village, où les couples comme les familles trouvent leur bonheur en matière de loisirs. Bien entendu, pour remplir leurs 6 118 chambres, les gestionnaires s’adressent également à toutes les bourses : de l’entité standard (moins de 50 euros la nuit) à la suite de luxe avec vue sur la montagne (à partir de 125 euros), il existe une petite dizaine de types de conforts et de tarifs.

 » L’idée est non seulement de créer des resorts ultracomplets, d’attirer les businessmans comme les vacanciers, mais aussi de les convaincre à venir en toutes saisons ! Vu leur taille, ces structures doivent réunir tous ces ingrédients pour être rentables. D’ailleurs, aujourd’hui, même les établissements plus petits doivent créer des offres supplémentaires, comme les spas. Le but est que l’hôtel devienne une destination en soi « , explique Kurt Renold. Une observation qui se vérifie notamment à Dubai, ville de tous les possibles : malgré des étés torrides qui n’attirent pas forcément les foules, les leaders du marché déploient des arguments tellement scintillants que leurs palaces se remplissent malgré tout. Bien sûr, on le sait : là-bas, ce ne sont pas les moyens qui manquent, pas plus que l’imagination des bâtisseurs à qui l’on confie des bâtiments aux budgets quasi illimités. Non pas pour faire un pied de nez aux températures, mais uniquement pour faire mieux que partout ailleurs.

DES PROJETS HALLUCINANTS

 » Dubai, c’est de la folie, s’incline notre interlocuteur. Je pense que cette frénésie ne peut pas continuer éternellement. Mais là, avec l’Exposition universelle de 2020 en ligne de mire, ils veulent montrer de quoi ils sont capables.  » Le fameux Burj Al Arab en forme de voile géante, construit sur une île artificielle à la fin des années 90, avait marqué une première escale vers la démesure : ses 321 mètres de hauteur ont longtemps fait de lui l’hôtel le plus élevé… du globe. Il a été dépassé en 2012 par un compatriote : le JW Marriott Marquis, dont les 355 mètres de hauteur abritent quelque 1 608 chambres (dont quatre suites royales à deux étages) et une bonne dizaine de bars et restos. Attention, tout de même : dans ce cas-là, le gigantisme a un prix. Dans le premier, la nuitée ne s’échange pas en dessous de 900 euros… hors-saison. Et dans le second, il est difficile de s’en sortir pour moins de 250 euros pour l’offre standard. Mais encore une fois, à Dubai, l’argent n’est qu’un détail. En témoigne l’immense Atlantis qui, sous ses 1 539 chambres, propose des suites sous-marines dont les fenêtres donnent directement sur les poissons. Dans le même ordre d’idées, The Water Discus verra la moitié de son volume immergé : logements, restaurant et boîte de nuit seront totalement en osmose avec les eaux du golfe Persique…

A plusieurs milliers de kilomètres de là, c’est dans l’hémisphère sud que s’apprête à naître un géant d’une autre catégorie : l’Aquis Great Barrier Reef Resort. L’Australie sera son hôte et la barrière de corail constituera son décor. Autrement dit, ce temple du loisir entend s’imposer comme l’un des mieux situés de la planète. Mais ce n’est pas tout. Le complexe affichera six étoiles à son compteur. Il possédera son propre aquarium, une lagune artificielle, un casino (tiens donc), un golf 18-trous, deux théâtres et même un stade pouvant accueillir 25 000 personnes pour faire venir quelques stars ou des shows de renommée internationale. C’est un homme d’affaires… chinois, Tony Fung, qui en détiendra les clés. Et qui pourra se vanter, lors de l’ouverture prévue en 2019, d’avoir fait vaciller le Venetian de Las Vegas en proposant pas moins de 7 500 chambres, s’octroyant ainsi le titre de  » plus grand hôtel du monde « .

QUID EN EUROPE ?

Dans nos contrées, cette grande épopée vers le  » toujours plus haut, toujours plus grand  » n’a jamais vraiment démarré. L’établissement qui dispose du plus important nombre de chambres s’appelle Izmailovo et il se situe à Moscou depuis 1979. Ni extravagant, ni vraiment beau, il a le mérite de rappeler que, parfois, à l’origine, ces géants sont bâtis pour répondre à des demandes éphémères. Ainsi, ses 5 000 entités ont d’abord servi à accueillir les Jeux olympiques soviétiques de 1980, avant que ses services ne se développent au fil des années. Kurt Renold précise :  » L’Europe n’a pas de grands espaces pour construire de tels complexes. Toute la Méditerranée est déjà occupée et, à côté de ça, on manque de place, même dans les villes. En Belgique, c’est carrément incomparable : le Sheraton de Bruxelles, qui est le plus grand en Belgique, dispose de 511 chambres et emploie environ 180 personnes. Allez au Sheraton de Macao, en Chine, et vous passez à 3 896 unités pour 2 000 travailleurs… En fait, ce qui est compliqué chez nous, c’est de se développer. La raison est simple : le prix de la nuit est très bas par rapport à d’autres pays, donc il est difficile de grandir.  »

Si la démesure semble donc vouée à d’autres continents, elle pointe une certitude : le tourisme international se porte bien. Depuis 2010, il augmente en moyenne de 5 % par année, aussi bien en Amérique qu’en Asie… et en Europe. Cela dit, attention : s’ils constituent des indicateurs, ces géants sont loin de s’imposer à l’échelle mondiale. Certes, ils attirent une clientèle de masse, qui ne l’oblige pas forcément à se ruiner. Mais à côté de cela, aujourd’hui, les vacanciers se tournent également vers des  » produits  » beaucoup plus exclusifs. D’abord les adresses de luxe, qui vendent la sensation de se sentir seul au monde dans un lieu beaucoup plus paisible. Ensuite les fameux échanges d’appartements ou de villas entre particuliers, popularisés par des sites comme Airbnb.  » Ce sont des types de tourisme qui ne s’affrontent pas forcément, mais qui existent de façon parallèle, termine Kurt Renold. C’est d’ailleurs pareil avec les croisières : on peut parcourir la Méditerranée à bord d’un gigantesque paquebot ou descendre le Mékong sur un petit bateau de dix cabines.  » Voilà exactement ce qu’offre le voyage moderne : le choix du privilège et, surtout, le privilège du choix… qui est de taille !

PAR NICOLAS BALMET

 » Le but est que l’hôtel devienne une destination en soi.  »

 » Les vacanciers se tournent également vers des  » produits  » plus exclusifs.  »

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